Après avoir versé aux contribuables une somme ponctuelle de quatre milliards en 2021, répétée en 2022, le gouvernement du Québec vient d’annoncer d’autres mesures (aînés, logement, sécurité) qui lui coûteront un peu plus de deux milliards de dollars par année d’ici 2027. On entend souvent dire que ces mesures s’imposent « parce que les Québécois sont les citoyens les plus taxés en Amérique du Nord ».
Cette justification manque de contexte. Il est vrai que la pression fiscale est plus importante au Québec qu’ailleurs au Canada. En 2020, elle atteignait 39 % du PIB au Québec, 36 % en Ontario et 33 % en Colombie-Britannique. Mais les impôts, taxes et tarifs que nous payons n’existent pas dans le vide. Ils poursuivent deux fins : financer nos services publics et réduire le poids de la dette. Le Québec a effectivement choisi de se donner plus de services qu’ailleurs. Les tarifs modiques de l’électricité, des services de garde et de la fréquentation universitaire sont des exemples bien connus. De plus, la réalisation systématique de surplus budgétaires versés au Fonds des générations lui permet d’alléger son endettement. C’est pourquoi les Québécois sont plus taxés que les autres Canadiens. Ils comprennent cet état de choses.
En annonçant ses divers allégements fiscaux, le gouvernement Legault a mentionné qu’ils allaient être financés par une diminution des surplus qui sont alloués au Fonds des générations pour réduire la dette plutôt que par une compression générale des dépenses pour les services. Cette décision est tout à fait justifiée. Car d’une part, l’objectif fixé pour le poids de la dette, soit 45 % du PIB en mars 2026, était déjà atteint en 2022. Et d’autre part, la responsabilité gouvernementale en matière de services publics s’alourdit à vue d’œil. Des secteurs comme la santé, l’éducation et la justice souffrent d’une grave pénurie de personnel. La moitié ou plus des routes et des écoles sont en mauvais état. La transition énergétique accuse un retard majeur. Les maisons des aînés, qui remplaceront les CHSLD, vont coûter deux fois plus cher que prévu. Le développement des soins à domicile est insuffisant.
C’est à se demander si ces cadeaux fiscaux ne nous empêcheront pas de financer les services publics à long terme.
Cerise sur le gâteau, la population âgée connaît une croissance rapide : le nombre de personnes de 65 ans ou plus, auxquelles sont consacrées la moitié des dépenses de santé, va augmenter de 35 % au cours des 15 prochaines années. Le vent des services publics est de face et il souffle très fort.
C’est à se demander si ces cadeaux fiscaux ne nous empêcheront pas de financer les services publics à long terme. Une étude réalisée en 2021 par les chercheurs Yves St-Maurice, Luc Godbout et Suzie St-Cerny, de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, a offert un éclairage fort utile sur cette question. Elle a projeté les finances du Québec à long terme sur la base d’hypothèses somme toute assez plausibles sur la démographie (population par catégories d’âge), l’économie (emploi, productivité, PIB, taux d’intérêt) et le budget (revenus fiscaux, transferts fédéraux, dépenses courantes et en capital, service de la dette).
Selon l’étude, le déficit budgétaire va augmenter progressivement dans les décennies à venir. Les dépenses vont croître plus vite que les revenus. Dans un horizon d’un peu moins de 15 ans, en 2036, le déficit atteindrait 15 milliards de dollars. Si elles étaient maintenues au-delà de 2026, les mesures fiscales annoncées pour 2023 et après ajouteraient 2 milliards à cette somme et porteraient le déficit projeté à 17 milliards de dollars en 2036. Il n’y a pas d’échappatoire : plus on abaisse le fardeau fiscal à court terme, plus le déficit budgétaire à combler à long terme sera considérable.
Les gouvernements à venir auront trois moyens de faire face à cette situation. L’État devra ou bien soumettre ses dépenses à une longue période d’austérité, ou bien laisser sa dette reprendre l’ascenseur, ou encore ajouter progressivement jusqu’à 17 milliards au fardeau fiscal d’ici 2036. Évidemment, aucune de ces options ne sera particulièrement agréable sur le plan politique ou le plan financier. Une accélération des transferts fédéraux en santé, que François Legault réclame avec insistance, permettrait de réduire la facture.
La projection de la Chaire de l’Université de Sherbrooke est naturellement sujette à une certaine marge d’erreur. Mais elle démontre clairement que le jovialisme n’est pas permis. Les finances du Québec n’auront pas un moment de répit dans les prochaines décennies.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de mars 2023 de L’actualité.