Paul Desmarais en cinq temps

Son aura, son empreinte et ses actions auront dominé le milieu des affaires et laissé des traces profondes sur Montréal et le Québec.

Paul Desmarais se prononce devant la commission Kent à Ottawa, en 1981. (Photo: Chuck Mitchell/Presse canadienne)
Paul Desmarais se présente devant la commission Kent à Ottawa, en 1981. (Photo: Chuck Mitchell/Presse canadienne)

Une légende vient de s’éteindre. Paul Desmarais aura été le plus formidable et le plus puissant homme d’affaires francophone de l’histoire de ce pays, peut-être le plus grand de tous. Son aura, son empreinte et ses actions auront dominé le milieu des affaires pendant six décennies et laissé des traces profondes sur Montréal et le Québec.

1. Paul Guy Desmarais, le Québécois

C’est l’histoire d’un Franco-Ontarien qui choisit de s’établir au Québec pour y fonder son empire. Il aurait pu s’établir à Toronto dans les années 1960 ou à Paris où il brasse de grosses affaires depuis les années 1980. Il aurait pu aussi faire ses bagages après l’élection du PQ en 1976, une onde de choc qui avait ébranlé le milieu des affaires et accéléré une migration de certains sièges sociaux vers Toronto.

Non, Paul Desmarais est resté au Québec d’où il a dirigé pendant toutes ces années sa multinationale. Après l’élection de 1976, il a même enjoint les dirigeants d’entreprises à rester à Montréal et il a déclaré pendant la campagne référendaire de 1980 qu’il resterait au Québec quoi qu’il advienne.

Quand René Lévesque veut organiser le premier sommet économique, les gens d’affaires se font tirer l’oreille. C’est Paul Desmarais qui demande aux grands dirigeants d’entreprises du Québec de répondre présents et de participer aux discussions.

Il aura été le plus grand ambassadeur de la région de Charlevoix et c’est à Sagard qu’il a établi son domaine princier dans les dernières années de sa vie. C’est là qu’il est mort.

Si les Weston et les Thompson, les immenses fortunes canadiennes-anglaises, ont de profondes racines britanniques, Paul Desmarais a noué dans la capitale française des relations d’affaires, politiques et culturelles d’une ampleur et d’une profondeur inégalées pour un Québécois.

2. Paul Desmarais, le titan des titans

C’est ainsi que Peter C. Newman, grand journaliste canadien-anglais et auteur des biographies des chefs d’affaires les plus réputés du pays, avait qualifié Paul Desmarais. Ce n’était pas le plus riche, loin de là, ce n’était surtout pas le plus bruyant, mais l’ampleur de sa réussite et l’étendue de son réseau le mettait dans une classe à part.

Contrairement aux Weston et aux Thomson, Paul Desmarais n’est pas né millionnaire. Il commence son ascension avec un autobus à Sudbury, puis une compagnie d’autobus. Les plus âgés se souviennent de Transport Provincial, une entreprise qui est devenue aujourd’hui, après de multiples mutations, Orléans Express.

La rencontre avec Jean-Louis Lévesque, le grand financier canadien-français des années 1950 et 1960, sera déterminante. Lévesque lui procurera les matériaux (un emprunt), les outils (il lui vendra sa holding financière) et les contacts pour bâtir la fondation de ce qui deviendra un empire financier.

Une chose que l’on peut dire de Paul Desmarais, c’est qu’il ne tombait pas en amour avec ses actifs et qu’il n’hésitait pas à s’en départir quand il anticipait un changement de conjoncture ou voyait une meilleure façon d’investir son argent. Il a liquidé ses participations dans les autobus, dans Canada Steamship Lines (bateaux), dans Consolidated-Bathurst (papier) ou L’Impériale Assurance-vie.

En retour, il a consolidé ses positions dans le Groupe Investors, acheté la Great-West et la London Life, mis la main sur les compagnies de fonds d’investissements Mackenzie au Canada et Putman aux États-Unis.

Power Corporation gérait à la fin de 2012 un actif de 527 milliards de dollars et sa fortune personnelle était évaluée à 4,5 milliards de dollars par le magazine Forbes. 30 000 personnes sont à l’emploi de Power Corporation ou de l’une de ses filiales en Amérique du Nord.

C’est ce qu’on appelle faire du millage avec un autobus!

3. Paul Desmarais, l’internationaliste

Paul Desmarais avait une vision mondiale de l’économie.

Il noue des liens avec la Chine communiste en 1978, comme si on lui avait soufflé à l’oreille qu’une véritable révolution économique y était en  gestation. Il y a 35 ans, l’évolution actuelle de ce pays était impensable.

Être le premier à y croire, donne des privilèges. Depuis des décennies, les Desmarais ont des relations privilégiées avec les dirigeants chinois. Power Corporation détient une participation de 4,3% dans Citic Pacific, une holding qui a des intérêts dans les secteurs minier, manufacturier et immobilier en Chine continentale, à Hong Kong et en Australie..

Mais c’est en Europe que l’influence de Power Corporation est la plus forte. Avec son associé et ami Albert Frère, Paul Desmarais a bâti un portefeuille de participations dans certaines des plus belles entreprises européennes. Mentionnons le cimentier Lafarge, actif dans la construction partout dans le monde, GDF Suez, la plus grande société de services au public au monde, Pernod Ricard (au 2e rang mondial pour les vins et spiritueux), ou encore la pétrolière Total, sixième dans son secteur au monde et plus grande entreprise française.

4. Paul Desmarais, l’ultime homme des réseaux

Pour ses adversaires, il était le joueur de l’ombre, prêt à comploter et à tirer les ficelles pour influer le cours des choses.

Paul Desmarais était bien branché, cela est un euphémisme. Il a quasiment inventé les réseaux d’affaires et politiques! Mais pour quoi faire au juste, sinon pour mieux investir et avoir sa disposition toute l’information qu’il pouvait emmagasiner.

Jeune journaliste, j’avais été stupéfait de constater que cette entreprise de Montréal avait mis sur pied un conseil consultatif international, en plus de son conseil d’administration, pour l’informer des grandes question de l’heure. Deux noms m’avaient particulièrement frappé dans cette liste prestigieuse. On y trouvait le cheik Yamani, le ministre saoudien du Pétrole de 1962 à 1986 qui a joué un rôle pivot dans la crise pétrolière de 1973 et Paul Volker, directeur de la Réserve fédérale des États-Unis (la fameuse Fed) de 1978 à 1987, un acteur au centre de la terrible récession du début des années 1980.

Des années après Paul Desmarais, Barack Obama a demandé à Paul Volker de présider son Conseil pour la reconstruction économique après la crise de 2008.

Paul Desmarais était d’une curiosité insatiable et il a cultivé des contacts d’affaires et politiques partout au monde. Il voulait pressentir les enjeux pour  anticiper les occasions d’affaires et mesurer ses risques d’investissement. On a vu à Sagard des anciens présidents français et américains, un ex-chancelier allemand et une liste impressionnante d’anciens premiers ministres du Québec et du Canada, de toutes allégeances confondues. C’est à Sagard qu’on peut voir sur les mêmes images Lucien Bouchard et Brian Mulroney, pourtant irréconciliables depuis Meech.

Paul Desmarais père se déclarait conservateur, mais son fils André est marié à la fille de Jean Chrétien. Paul Desmarais avait une affection particulière pour Lucien Bouchard, malgré ses liens avec Jean Charest et Brian Mulroney. Robert Parizeau, le frère de Jacques Parizeau, a siégé jusqu’en 2012 au conseil de Power Corporation.

5. Paul Desmarais, le philanthrope

Il n’y a pas une campagne de financement importante au Québec et particulièrement à Montréal qui peut atteindre ses objectifs sans l’apport substantiel de Power Corporation ou de la famille Desmarais. Il y a des pavillons Desmarais au Musée des Beaux-Arts de Montréal et à l’université de Montréal et un centre de recherche en finance Desmarais à l’Université McGill. La famille Desmarais est aussi fortement impliquée à l’Institut de cardiologie de Montréal, à la Fondation du CHUM ou à HEC Montréal, pour n’en nommer que quelques institutions.

Jacqueline Desmarais, qui vient de perdre son mari, est une passionnée de musique qui contribue activement à L’Orchestre métropolitain, à l’Orchestre symphonique de Montréal, à L’Opéra de Montréal et à celui de Québec ainsi qu’au Metropolitan Opera à New York. Elle a pris sous son aile de nombreux musiciens ou artistes lyriques du Québec, leur permettant de bâtir une carrière internationale.

Paul Guy Desmarais vouait une admiration sans bornes à sa femme. Je me souviens de l’un de ses derniers discours dans lequel il en faisait la grande complice de son succès. je l’écris de mémoire, mais il disait en somme qu’il aurait pu arriver à la maison un soir en confiant à sa femme qu’il venait d »acheter une compagnie de transport pour la lune et que loin d’en être étonnée ou offusquée elle lui aurait demandé combien il comptait vendre les billets!

Une page d’histoire se tourne. La succession est engagée depuis longtemps et ce sera au tour des prochaines générations de faire fructifier cet héritage.

 

 

 

 

 

 

 

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A part des jobines à Sagard, combien d’emplois Paul Desmarais a-t-il CRÉÉS au Québec?

On est loin des Jean Coutu, Armand Bombardier, Pierre Nadeau et les frères Lemaire qui ont créé beaucoup de choses au Québec. Desmarais?

Un immense empire dont le siège social est à Montréal. Mais à part ca?

Je voulais dire Pierre Péladeau et non Pierre Nadeau évidemment.

Une question à tous: est-ce que La Presse est rentable?

Ca fait des années que Michaud veut avoir des chiffres. Si quelqu’un en a?

Desmarais s’est enrichi grâce aux autres. Il a d’abord hérité de son grand-père.
» Mon grand-père a amassé une grosse fortune à Sudbury où il possédait, avec des associés, un hôtel, des biens immobiliers et toutes sortes d’autres affaires, dont un chemin de fer. »
Desmarais n’était pas un bâtisseur. Il était plutôt de la trempe des rapaces.
« Même en y réfléchissant bien, je ne trouve rien que j’ai commencé à zéro. Commencer à zéro, c’est trop long pour moi. »

« Desmarais n’était pas un bâtisseur. Il était plutôt de la trempe des rapaces. » (sic)

Comme la FTQ???

Ce propos est totalement inapproprié, surtout compte tenu que Monsieur Desmarais est l’un des plus généreux philanthropes (allez voir dans le dictionnaire la signification de ce mot histoire de vous rendre moins stupide et con!) qu’ait connu le Québec.

Bien sûr, un Canadien-Français qui réussit et en plus, qui conserve son siège social au Québec malgré les diatribes d’imbéciles comme vous, ça représente une menace pour votre monde imaginaire et il doit être abattu.

Vous êtes un idiot utile dans le plus pur des styles.

Une personne qui ce porte à la défense d’une des personnes les plus puissantes au monde, c’est ce que je donnerais comme définition d’un idiot utile!

Je répond à M. Ricard, mais le commentaire vaut pour M. Jack2. Bravo! De la belle classe! M. Duhamel mentionne les immenses dons philantropiques et certains trouvent le moyens de remettre en cause la pertinence de l’action de M. Desmarais. Est-ce que ceratins québécois ont un problème avec l’excellence?

@beaulieu

Ce qu’on demande aux riches c’est de payer leurs impôts. La charité relève de l’État et de la générosité personnelle.

Paul Desmarais a accumulé une fortune de 4,500,000,000$. Combien a-t-il payé d’impôts au fil des années? (on ne le saura jamais évidemment à moins que la famille sorte des chiffres)

Ses enfants et petits-enfants vont hériter de cette fortune colossale. Combien vont-ils payer d’impots?

TVA nous apprenait ce soir que le fisc courait après un riche (qui a fait fortune dans le camionage) qui s’était sauvé en Alberta, puis en Floride, sans payer d’impots. Il doit 17,000,000$. On en fait-tu de la charité pour 17 millions?

Paul Desmarais était un homme d’affaire très aguerrit qui avait une soif insatiable de vaincre. Pas de séduire, ni celle de créer. C’est probablement pour cette raison qu’il compensait cette carence en terme de créativité par du mécénat en aidant financièrement celles et ceux qui avaient un certain don pour la création. Incluant d’une certaine manière les politiciens.

Ne serait-ce qu’à ce chapitre, on peut souligner l’action de Paul Desmarais, puisque son aide aura été considérable dans plusieurs domaines, dont celui de la culture et de de l’éducation post-secondaire.

Pour ce qui est de la Chine, la fabuleuse croissance potentielle de l’Empire du milieu était déjà connue au début des années 70, un homme politique remarquable : Alain Peyrefitte, écrivain et sinologue de renommée mondiale publiait dès 1973 : « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » (Éditions Fayard).

En 1973, j’étais encore très jeune mais je savais que de considérables opportunités s’y trouvaient déjà. Paul Desmarais qui était comme l’on sait acoquiné avec le monde des affaires et les sphères politiques françaises se trouvait comme l’on dit au parfum, d’autant qu’en investissant (par le biais de GBL) dans des compagnies françaises « leaders » dans l’énergie (Total) et les produits du bâtiment (Lafarge), il se trouvait de facto avoir un pied en Asie puisque ces compagnies n’ont pas attendues les années 2000 pour s’y investir.

L’association de Paul Desmarais avec le financier Belges Albert Frères dès 1979 notamment dans la holding GBL (Groupe Bruxelles Lambert) ont contribué à lui ouvrir précisément pour vrai les portes de l’Asie.

Enfin, je me trouve un peu mal à l’aise avec des formules du genre : « le titan des titans » qu’on trouve sur ce blogue, tout comme dans le magazine « Les affaires » sous la plume de René Vézina. Comme pour les terriens que nous sommes, le titan en chef si on peut dire, n’est nul autre que Prométhée qui nous aurait créé avec un peu de terre et de l’eau, on trouve d’ailleurs sous une autre forme cette assertion dans l’Ancien testament avec la création par l’Éternel du premier homme Adam (littéralement celui fait d’argile).

Aussi rendons plutôt à César ce qui revient César ; c’est en cette occurrence que Paul Desmarais vînt, qu’il vît, qu’il vécût puis qu’il ne parvînt pas à vaincre la maladie, comme c’est tôt ou tard à peu près le cas pour tout un chacun.

« Début 1989, dans la plus importante transaction financière de l’histoire du Canada, Desmarais vend à des Américains pour plus de 2,6 milliards de dollars la Consolidated-Bathurst, joyau de l’industrie papetière québécoise qui avait profité depuis des dizaines d’années des largesses du gouvernement du Québec. Suit la vente de Montréal Trust pour 550 millions. Voilà un pactole de 3 milliards arrachés aux ressources naturelles et à la sueur des travailleurs et travailleuses du Québec. »
Après tout cela, il est devenu un grand philanthrope. Avec l’argent du peuple.