
L’été dernier, un sondage de Léger Marketing a permis de constater que, dans les deux tiers des familles québécoises, l’un des parents serait prêt à rester à la maison pour prendre soin des enfants d’âge préscolaire si l’État lui versait une allocation équivalente à la subvention qui est accordée pour une place en garderie subventionnée (CPE ou autre). On parle ici d’une subvention annuelle d’environ 9 000 dollars. L’offre de l’État serait évidemment plus alléchante pour les familles moins nanties, parce qu’elles perdraient moins d’argent que les autres en acceptant cette allocation.
Si le sondage dit juste, on peut estimer à 150 000 le nombre de parents d’enfants de 0 à 5 ans (surtout des mères) qui seraient prêts à quitter l’emploi qu’ils occupent présentement pour rejoindre le contingent des 100 000 parents déjà au foyer. À un salaire annuel moyen de 25 000 dollars, la perte collective de revenu des 150 000 parents qui cesseraient de travailler serait de 3,7 milliards de dollars. L’État québécois, lui, devrait verser 2,3 milliards en allocations de 9 000 dollars aux 250 000 familles participantes. Il ferait évidemment des économies d’aide sociale, de places en garderie et de crédits d’impôt. Par contre, la baisse du revenu collectif de 3,7 milliards le priverait de plusieurs centaines de millions en impôts et taxes. Au bout du compte, le coût net de cette mesure resterait supérieur à 2 milliards.
Cette dépense annuelle supplémentaire de 2 milliards serait un morceau énorme à avaler pour l’État. Cela exigerait qu’il prélève l’équivalent de 500 dollars de plus par année en impôt sur le revenu par contribuable qui resterait au travail. La proposition dépasse manifestement la capacité financière actuelle du Québec et de ses habitants.
Mais il faut aussi la rejeter parce qu’elle est rétrograde sur le plan social. Une bonne garderie fait acquérir aux enfants des aptitudes cognitives, comme écouter, observer, parler, dessiner, compter, lire et écrire. Elle leur apprend aussi la patience, la persévérance, la responsabilité, la discipline, l’estime de soi, la capacité d’interagir avec les autres, la générosité et la maîtrise des émotions. Or, la recherche contemporaine a démontré, cent fois plutôt qu’une, que ce sont les enfants des milieux défavorisés qui profitent le plus de ces services éducatifs. En encourageant principalement les familles moins nanties à délaisser nos garderies subventionnées, nous mettrions en danger le bien-être des enfants les plus à risque du Québec.
Payer les mères pour qu’elles restent à la maison irait aussi à l’encontre de plusieurs décennies d’efforts visant à améliorer la position des femmes à l’intérieur comme à l’extérieur du foyer. En poussant celles-ci à rentrer à la maison à temps plein pour de longues périodes, on donnerait aux hommes le plus beau prétexte pour en sortir et cesser de partager les tâches du ménage et l’éducation des enfants. Et dans un pays où la durée moyenne de vie des couples est inférieure à 10 ans, la cassure prolongée qu’on introduirait dans les carrières des femmes augmenterait le risque financier que représente pour elles une séparation ou un divorce.
S’il avait 400 millions de dollars de plus à dépenser chaque année pour sa politique familiale, le Québec pourrait envisager d’offrir une allocation pour la garde de tous les enfants de 12 à 24 mois qui ne sont pas en garderie subventionnée, mais sans exiger qu’un des deux parents cesse de travailler. La Norvège le fait, mais c’est le pays le plus riche du monde. Il est plus riche que le Québec de 58 %. Pour l’instant, il est plus sage pour nous de construire petit à petit sur les bases que nous avons posées. Instaurer le temps partiel dans les services de garde subventionnés. Investir sans relâche dans la formation du personnel. Augmenter la contribution des familles qui en ont les moyens. Développer peu à peu la maternelle pour les enfants de quatre ans.
ET ENCORE…
La fécondité est maintenant plus élevée au Québec qu’ailleurs au Canada. L’an dernier, il y a eu 64 naissances par tranche de 1 000 femmes de 18 à 44 ans au Québec, et 61 dans les autres provinces canadiennes. Les Québécoises ont aussi été les plus actives : 80 % des femmes de 25-44 ans occupaient un emploi au Québec, contre 77 % ailleurs au Canada. Conciliation travail-famille, vous dites ?