Percé est de retour !

L’emblème de la Gaspésie vit une véritable cure de rajeunissement. Et cette effervescence a pris sa source… dans une microbrasserie.

Photo : Jean-Pierre Huard

Cet été, partez à l’aventure dans les archives de L’actualité pour (re)découvrir les grands classiques estivaux du Québec.

Une microbrasserie située à des centaines de kilomètres des grands marchés de Montréal et de Québec ? En 2007, personne n’aurait parié sur le succès de Pit Caribou, qui ouvrait dans une ancienne usine de transformation de phoques à L’Anse-à-Beaufils, un hameau situé à moins de 10 km du cœur historique de Percé.

Mais contre toute attente, l’entreprise connaît un succès considérable. Sa réputation est telle qu’elle met le village de 3 300 habitants sur la liste des touristes brassicoles, qui roulent des kilomètres, peu importe la saison, afin de goûter aux boissons houblonnées. Le brasseur embauche aussi une main-d’œuvre souvent composée de nouveaux venus, dont certains s’installent à demeure. Résultat : un vent de jeunesse commence à souffler dans cette région qui a plutôt l’habitude de voir partir ses jeunes, et qui n’attirait plus guère les foules de touristes.

Une colonie de fous de Bassan, à l’île Bonaventure. (Photo : Tourisme Gaspésie)

« Tout le monde nous prédisait un échec monumental », rappelle Francis Joncas, aujourd’hui âgé de 38 ans, qui a relevé ce pari risqué avec Benoit Couillard.

En 2012, Pit Caribou déjoue encore les prophètes de malheur en inaugurant, au cœur du village, un pub… ouvert l’année durant, tout un contraste dans une localité qui a l’habitude d’entrer en hibernation. Ce lieu devient le repaire de la faune locale, mélange d’anciens et de nouveaux venus.

Le cap Barré, sur le littoral de Percé. (Photo : Tourisme Gaspésie)

« Je suis arrivé en 2009 et depuis, le réseau de néo-Percéens ne cesse de grandir », confirme Mathieu Fleury, 42 ans, un natif de la Mauricie attiré par la nature gaspésienne. Cet architecte de profession vient d’ouvrir, en compagnie de trois ex-employés de Pit Caribou, néo-Percéens comme lui, une distillerie appelée La Société secrète, établie dans une église datant du XIXe siècle, où fermente maintenant du gin aromatisé aux herbes locales. « Aujourd’hui, on ne considère plus l’éloignement comme un obstacle, mais comme un atout. Les gens veulent goûter à la Gaspésie », clame l’homme d’affaires à l’enthousiasme contagieux.

Pour la nouvelle génération d’entrepreneurs qui s’installent « là où la vague se mêle à la grand-route », pour citer Les sœurs Boulay (natives de New Richmond), Pit Caribou a été la bougie d’allumage de la renaissance de Percé. « Je marche dans leurs sentiers », soutient Jean-François Tapp, 38 ans, qui a acquis l’an dernier Le Coin du Banc, une auberge qui a longtemps été la propriété d’un couple excentrique, originaire de l’île Bonaventure, réputé pour sa résistance aux expropriations découlant de la création du parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé. L’auberge mythique, fermée depuis quelques saisons, est située à une dizaine de kilomètres de l’emblématique rocher.

La passerelle vitrée du Géoparc. (Photo : Louane Williams / Géoparc mondial Unesco de Gaspé)

L’objectif de Jean-François Tapp : faire de son Camp de base, nouveau nom de son auberge comprenant chalets, chambres et bientôt un camping, une destination plein air quatre saisons. Car pas question pour lui de se barricader en hiver. « Je suis de la génération qui rejette la culture du travail saisonnier. On veut exploiter Percé à son plein potentiel et ça passe par un développement hivernal, avec fat bike, escalade de glace et ski hors-piste », dit ce natif de Rivière-au-Renard (Gaspé), bien connu dans la région comme pilote de la série de courses Gaspésia, un ensemble de défis sportifs en course à pied ou à vélo.

Pit Caribou elle-même n’est plus seule dans son créneau : un de ses cofondateurs, Benoit Couillard, a quitté l’entreprise en bons termes pour créer en 2015 la Brasserie Auval et produit maintenant des bières artisanales à Val-d’Espoir, dans l’arrière-pays de Percé.

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Nous sommes à des lustres de la décennie 2000, alors que le moral était à plat à Percé. Les touristes ne passaient qu’en coup de vent. Par rapport à la concurrence mondiale, la belle gaspésienne ne faisait plus le poids, elle qui n’avait pas changé d’un iota depuis des années, voire des décennies. Les hôtels vieillissaient. Les restaurants n’étaient plus à la page. Les boutiques de souvenirs vendaient toutes les mêmes babioles made in China. Il y avait peu à faire, mis à part contempler le rocher de loin, puisque la randonnée jusqu’à son orifice était jugée trop dangereuse pour cause d’érosion, ou observer la colonie de fous de Bassan de l’île Bonaventure.

Benoit Couillard, de la Brasserie Auval. (Photo : Angie Mennillo)

« Nous nous sommes endormis sur nos lauriers, en misant uniquement sur notre cadre naturel enchanteur. Mais ce n’était plus assez », analyse France Lebreux, copropriétaire du restaurant La Maison du Pêcheur. Le constat était évident : « Si on ne faisait rien, on allait toucher le fond », dit-elle.

Ce diagnostic, les commerçants, les élus et la population le partageaient largement. Mais que faire ? Commence le cycle des consultations et des études de faisabilité. Le projet « Percé l’incontournable » voit le jour. Téléphérique dans l’arrière-pays, nouvelle place publique, piscine d’eau salée, alouette, tout est sur la table pour remettre Percé au firmament du tourisme québécois. Mais rien ne convainc un milieu des affaires divisé, où hôteliers et restaurateurs se voient comme des concurrents plutôt que comme des partenaires. Jusqu’à ce que Pit Caribou joue le rôle d’une locomotive.

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Après des années de réflexion (et peut-être quelques soirées au pub Pit Caribou), le milieu des affaires percéen passe à l’action en 2012. Vingt-cinq entreprises, principalement des restaurateurs et des hôteliers, fondent une coop de solidarité en y investissant chacune 10 000 dollars.

Sa mission est de créer le premier géoparc reconnu par l’Unesco au Québec, qui mettra en valeur les richesses du territoire, où s’observent cinq périodes géologiques distinctes. « Dès qu’on a entendu parler du concept du Géoparc [de Percé], en 2012, un déclic s’est produit dans la collectivité : c’était exactement ce qu’il nous fallait », raconte Daniel Lebœuf,  à l’époque propriétaire de la pharmacie locale et aujourd’hui retraité.

Le Camp de base. (Photo : Jocelyne Réhel)

Le concept est aussi gros que l’emblématique rocher. Il comprend le réaménagement de dizaines de kilomètres de sentiers à l’intérieur des terres, la réparation et la construction d’une série de belvédères, un circuit d’interprétation de 23 géosites, la construction d’un pavillon d’accueil, avec exposition et centre de jeux intérieurs pour les enfants, et d’une plateforme vitrée au sommet du mont Sainte-Anne, coiffant la rade de Percé.

Les sceptiques sont nombreux. On avait discuté de tellement de projets de relance, pourquoi celui-ci allait-il se concrétiser ? « Le Géoparc a failli mourir à plusieurs reprises », rappelle Jean-Philippe Chartrand, qui a agi comme consultant. C’était sans compter sur l’acharnement de Cathy Poirier, présidente du conseil d’administration de la coop de 2014 à 2017, qui a mené le projet à bon port tout en gérant son entreprise — le fumoir Monsieur Émile, autre succès, qu’elle a fondé en 2006 avec son mari.

La distillerie La Société secrète. (Photo : Steven Melançon)

En juillet 2016, mission accomplie : le Géoparc ouvre ses portes. La passerelle vitrée suivra la saison suivante, pour un investissement total de 7,5 millions de dollars. L’effet Géoparc se fait rapidement sentir. En 2017, un raz-de-marée de visiteurs deferle à Percé. « Nous avons connu un taux d’occupation de 100 % en juillet et août 2017. Du jamais-vu dans notre histoire ! » dit Nathalie Blouin, vice-présidente des ventes et du marketing des hôtels du groupe Riôtel.

En avril 2018, c’est la consécration : l’Unesco reconnaît officiellement le troisième géoparc mondial du Canada, après Stonehammer, au Nouveau-Brunswick, et Tumbler Ridge, en Colombie-Britannique.

En 2017, les visiteurs gardent le sourire, bien que Percé soit alors un énorme chantier. Depuis 2010, une série de tempêtes hivernales, dont les effets dévastateurs sont accentués par la disparition du couvert de glace dans le golfe, ont ravagé le cœur historique du village. Les dégâts sont si importants que quelques commerces, dont La Maison du Pêcheur, ont dû être relocalisés plus loin de la rive au cours de l’été 2017.

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De cette ère de destruction naissent de nouvelles possibilités. La Ville a entrepris des travaux titanesques en vue de protéger son littoral des tempêtes en utilisant une technique éprouvée ailleurs dans le monde : la recharge de plage. À l’automne 2017, quelque 120 000 tonnes de galets, soit l’équivalent de 6 000 voyages de camion, ont été déversées en bord de mer sur 900 m, reconstituant la plage de l’anse du Sud, lessivée au fil du temps par le ressac des vagues qui frappaient l’ancienne promenade en béton. Cette plage 2.0 aura la capacité de dissoudre leur puissance destructrice. Son efficacité a été démontrée l’hiver dernier.

Des employées de Pit Caribou. (Photo : D.R.)

La transformation s’est poursuivie ce printemps, avec l’aménagement d’un parc riverain, d’une promenade, et la construction d’un bâtiment pour le Club nautique, qui occupait jusque-là des locaux hyper-vétustes — construits dans les années 1950 pour servir de vestiaire à la piscine publique voisine, à l’abandon depuis 2009. « Percé présente un tout nouveau visage », affirme Cathy Poirier, 43 ans, qui a accédé à la mairie de la Ville aux dernières élections municipales.

Le renouveau de Percé attire non seulement les touristes, mais aussi les entrepreneurs. « Les commerces, qui ne trouvaient plus preneur depuis des années, ont enfin une relève. Seulement en 2017, sept entreprises ont changé de main », relate Cathy Poirier. Et ce n’est pas fini. La reconstruction du quai, dans un état de détérioration avancé, devrait débuter à l’automne — si les négociations avec son propriétaire, Pêches et Océans Canada, aboutissent. Ce qui devrait créer de nouvelles occasions de développement. D’autres phases sont à venir pour le Géoparc. La cure de jouvence de Percé ne fait que commencer.

Où est l’art ?

La transformation de Percé fait à peu près l’unanimité. Seule voix discordante : Jean-Louis Lebreux, 73 ans, fondateur et directeur du Musée Le Chafaud, qui présente des expositions temporaires en été. Celui-ci déplore que la renaissance de cet emblème touristique fasse complètement abstraction de sa vocation artistique. « Bien avant d’être reconnue par les touristes, Percé a été reconnue par les artistes », rappelle-t-il.

Dès le XIXe siècle, l’esprit des lieux inspire de nombreux peintres, à commencer par l’Américain Frederick James, qui y construit une somptueuse villa sur le cap Canon, près du rocher, en 1886. Un grand nombre de créateurs, dont la peintre américaine Georgia O’Keeffe, y séjourneront.

Dans les années 1960, Percé se targue d’être une capitale culturelle. Peintres, sculpteurs et chansonniers s’y donnent rendez-vous, sous l’influence de l’artiste Suzanne Guité, qui y pilote un des lieux de création artistique les plus importants au Québec. Les hippies, qui y débarquent en autostop, s’y déversent par centaines, charmés par son décor pittoresque, avec ses pêcheurs séchant la morue sur la grève. Pas pour rien que Francis Simard ainsi que Paul et Jacques Rose — les felquistes qui kidnappèrent le ministre Pierre Laporte en octobre 1970 — pensent y trouver, en 1969, un terreau fertile à la propagation de leurs idées révolutionnaires, et y ouvrent la première auberge de jeunesse du Québec, histoire relatée dans le film La maison du pêcheur.

« Les œuvres inspirées par Percé remplissent les collections de nombreux musées », dit Jean-Louis Lebreux, qui réclame une salle d’exposition digne de ce nom afin de pouvoir mettre en valeur le patrimoine artistique de Percé et continuer à le faire vivre. Malgré plusieurs promesses des autorités publiques non tenues depuis plus de 20 ans, il attend toujours la concrétisation de ce projet. « La Gaspésie mérite son musée d’art », dit-il.

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Je ne crois pas que la « seule » voix discordante au sujet de l’art soit celle de Jean-Louis Lebreux. Un peu réducteur peut-être.

Tout ça est bien beau ….Percé centre a été revampé avec des millions en subvention mais tous ces millions ont été investis dans l’industrie touristique et cette industrie offre des mauvaises conditions de travail, au salaire minimum pour une courte période. La ville de Percé doit se sortir de la culture du timbre de chômage, les gens ont besoins d’emplois à temps plein avec des salaires raisonnables. Il faut travailler pour développer le secteur industriel et faire pression pour obtenir notre part d’emploi dans la fonction publique. Il est beaucoup question de déplacer le ministère des pêches en région alors pourquoi ne pas sur le territoire de la ville de Percé.
L’industrie touristique demeure une économie d’appoint pour une région éloignée des grands centres comme la nôtre surtout en l’absence de moyens transports efficaces. Ce qui a été fait est bien mais est loin de régler les problèmes démographiques que vivent les villages autour de Percé centre et qui je le rappel à nos élus font aussi partie de la grande ville de Percé.

Il y a de très nombreuses années que je n’ai mis les pieds à Percé et je trouve que ces nouveaux développements sont extraordinaires. Ce lieu merveilleux méritait qu’on le mette en valeur. Bravo aux innovateurs et longue vie !