Plus de Québécois travaillent, mais moins, et c’est tant mieux

La proportion de la population active n’a jamais été aussi élevée, mais les Québécois bossent toujours moins d’heures que d’autres travailleurs au Canada. Et c’est très bien ainsi. 

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

L’ancien politicien et animateur Mario Dumont, diplômé en économie de l’Université Concordia, a récemment fait observer à ses auditeurs que ceux d’entre eux qui réduisent leurs heures travaillées font par la même occasion diminuer le produit intérieur brut (PIB) du Québec. Quelles en sont les conséquences ?

Les plus grands économistes — y compris tous les lauréats du prix Nobel dans ce domaine — ont de tout temps rejeté l’idée que l’objectif de l’économie est de maximiser le PIB. Le but est plutôt de permettre aux gens de mener des vies confortables et heureuses. Un revenu suffisant est essentiel. Mais le temps hors travail consacré à la famille, aux amis et aux loisirs représente un apport inestimable. Si je choisis délibérément de réduire mes heures et que j’accepte de gagner moins d’argent afin de disposer de plus de temps hors de ma vie professionnelle, j’exprime clairement que cet espace libéré à l’horaire vaut plus à mes yeux que le revenu auquel je renonce. Ma décision améliore mon bien-être.

En 2019, dernière année où l’économie a fonctionné de façon normale, les Québécois ont travaillé au total sept milliards d’heures. En proportion, ils ont passé autant de temps à l’ouvrage que les autres Canadiens. Deux différences s’observent toutefois. La première est que nous sommes plus nombreux au Québec à occuper des emplois. La principale raison, c’est notre politique familiale. La meilleure conciliation travail-famille qu’elle permet depuis 25 ans a entraîné une ascension fulgurante, inégalée ailleurs au Canada, de l’activité des femmes sur le marché du travail.

L’autre différence, c’est que même si plus de Québécois que jamais ont un boulot, une fois en poste, ils travaillent moins d’heures par année en moyenne que les autres Canadiens. En additionnant le temps partiel et le temps plein, on constate qu’en 2019, l’employé moyen a travaillé 1 656 heures au Québec, contre 1 721 heures ailleurs au pays, selon Statistique Canada. Les 65 heures (ou 4 %) travaillées en moins chez nous libèrent l’équivalent de neuf jours ouvrables dans l’année. Notre semaine de travail est plus courte, nos congés sont plus nombreux et nos vacances, plus longues. 

En comparaison, les champions mondiaux du temps de travail réduit sont les employés allemands, ces épicuriens déguisés, qui ont passé seulement 1 383 heures à l’ouvrage en 2019. Joindre mon ami Manfred au travail à Francfort est un exploit, car il est presque toujours en congé !

Le graphique montre que l’écart Québec-Canada a moins de 50 ans. En 1976, les travailleurs étaient autant à l’œuvre au Québec qu’ailleurs au Canada, soit pendant 1 840 heures. Depuis lors, les Québécois ont manifesté leur « joie de vivre » avec plus d’enthousiasme que les autres Canadiens. Les heures annuelles travaillées ont baissé partout au Canada, mais beaucoup plus au Québec. Notre PIB en est réduit de 4 %, mais nous avons volontairement diminué notre temps passé au bureau ou à l’usine et, par conséquent, amélioré notre bien-être. Ceux qui utilisent uniquement le PIB par habitant pour comparer le bien-être des Québécois à celui de leurs voisins commettent une sérieuse erreur d’évaluation ; et ceux qui méprisent le temps partiel sont complètement « dans le champ ».

Mario Dumont s’est aussi demandé si le fait de consacrer moins de temps au travail ne serait pas un facteur aggravant de la pénurie de main-d’œuvre qui fait présentement la vie dure aux employeurs. Ce n’est pas le cas. 

En se rendant moins disponibles, les travailleurs diminuent en effet l’offre de main-d’œuvre. Mais en contrepartie, en travaillant moins d’heures, ils encaissent un revenu d’emploi plus faible qui réduit leurs achats de biens de consommation ou de services et qui, par conséquent, exige moins de bras pour les produire et les proposer. La demande de travailleurs baisse donc elle aussi, au net autant que l’offre. Pour l’ensemble des secteurs et des régions du Québec, l’intensité de la pénurie reste à peu près la même.

Dumont a enfin posé en dernier une bonne question : si notre PIB est moins élevé parce que notre temps de travail diminue, pourrons-nous bénéficier quand même d’autant de services publics qu’avant en quantité et en qualité ? Bien sûr, mais nous devrons payer autant d’impôts qu’avant pour les financer. Et les mêmes impôts à partir d’un revenu plus faible exigeront d’augmenter le pourcentage de ce revenu qui est taxé. Rien n’est gratuit : travailler moins, payer moins d’impôts et conserver nos services publics tout à la fois est une équation malheureusement impossible à résoudre !

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M. Dumont ne devrait pas s’en faire, toutes les catastrophes causées par le réchauffement climatique augmentent le PIB.

Merci Pierre Fortin pour vos chroniques économiques toujours si intéressantes et intelligibles. Vos thèmes sont pertinents, votre pensée nuancée, vos explications claires et concises. Bref, vous faites œuvre de pédagogie. Vous améliorez depuis des années ma compréhension du monde dans votre discipline.
Philippe Lavigueur
Laval

»Mais en contrepartie, en travaillant moins d’heures, ils encaissent un revenu d’emploi plus faible qui réduit leurs achats de biens de consommation ou de services et qui, par conséquent, exige moins de bras pour les produire et les proposer. »
Cette logique me semble déficiente. En effet le lien entre consommation et emploi n’est pas direct. Un commis dans un magasin ou un serveur dans un restaurant peuvent servir 10 clients ou 20 en travaillant le même nombre d’heures. Plus de consommation ne mêne pas aussi nécessairement à un besoin pour plus plus d’emplois. Une entreprise peut augmenter sa productivité sans augmenter le nombre d’emploi.
J’en conclue logiquement qu’en travaillant moins on augmente la pénurie de main d’oeuvre.