Portrait-robot du fraudeur fiscal

Deux études permettent de tracer le profil de certains types de fraudeurs du fisc, et ainsi de mieux déterminer les moyens à prendre pour atténuer ce phénomène coûteux pour la société.

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Les petites et grandes tricheries contre le fisc privent les Canadiens d’assez d’argent pour construire quatre tunnels routiers entre Lévis et Québec, neuf « super-hôpitaux » comme le CHUM à Montréal ou encore 20 000 centres de la petite enfance (CPE) de 60 places… chaque année !  

La fraude fiscale fait ainsi perdre 26 milliards de dollars par an au gouvernement fédéral à lui seul, selon une étude de l’Agence du revenu du Canada (ARC) menée en 2019. Elle est constituée en grande partie des impôts sur le revenu impayés par des particuliers (pour l’essentiel, le travail au noir), qui se chiffrent à 9 milliards. S’y ajoutent les taxes à la consommation qui passent sous le radar (3 milliards), l’évasion fiscale, soit les revenus cachés dans des paradis fiscaux par des contribuables (3 milliards), et les impôts impayés par des entreprises (11 milliards). 

Antoine Genest-Grégoire, Luc Godbout et Jean-Herman Guay, trois chercheurs de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, ont voulu en savoir davantage sur les individus qui fraudent le fisc au Canada. À leur demande, la maison Léger a sondé quelque 2 800 Canadiens à propos de la fraude fiscale. 

Il en ressort que 28,5 % des Canadiens ont payé un achat en argent comptant en 2020 dans l’objectif d’éviter les taxes à la consommation, soit la TPS et la TVQ au Québec. Et 13,5 % ont déjà menti dans leurs déclarations fiscales à propos de leurs revenus.

Leur étude, publiée en décembre dernier, révèle trois caractéristiques du fraudeur canadien. Il s’agit la plupart du temps d’« un homme », souvent âgé de moins de 34 ans. Et, même si la prévalence de la fraude fiscale n’est pas tellement plus prononcée que dans l’ensemble du pays, il est plus probable qu’il réside au Québec que dans une autre province, un trait qui vient avec ses bémols. 

C’est que les Québécois se distinguent des autres Canadiens par le fait qu’ils sont les seuls à figurer au-dessus de la moyenne dans les deux types de fraude retenus par l’étude. 

En effet, 39 % des Québécois ont payé comptant pour éviter les taxes de vente, soit 10,5 points de pourcentage de plus que la moyenne canadienne et qu’en Ontario. Mais c’est nettement moins qu’en Colombie-Britannique, où presque une personne sur deux (48,5 %) aurait commis ce geste de délinquance fiscale. Les moins prompts à accepter le paiement en liquide sans facture sont les Albertains (9 points au-dessous de la moyenne), ou encore les habitants des provinces de l’Atlantique (3 points au-dessous de la moyenne). À noter qu’en Alberta, il n’y a pas de taxe de vente provinciale, seule la TPS s’applique sur les produits et services. 

Quant aux mensonges dans les déclarations fiscales, 14,4 % des Québécois sondés dans l’étude en auraient commis, soit 0,86 point de plus que la moyenne. Mais le Québec est la seule province affichant un score supérieur à la moyenne canadienne. Les contribuables de l’Ontario se situent, eux, pile dans la moyenne, et affichent donc un pourcentage semblable à celui des Québécois. Les provinces où les personnes se sont montrées le moins favorables à la cachotterie fiscale sont la Saskatchewan et l’Alberta.

D’après Antoine Genest-Grégoire, coauteur de l’étude et doctorant en politiques publiques à l’Université Carleton à Ottawa, deux explications principales peuvent être avancées pour éclaircir la motivation à frauder le fisc. Deux explications qui ne sont pas encore totalement validées d’un point de vue scientifique, mais qui lui semblent a priori pertinentes, s’il en croit les résultats préliminaires de ses travaux de recherche actuels sur le sujet.

D’une part, les contribuables ont une relation ambiguë avec l’administration fiscale : ils la voient comme une branche coercitive de l’État, qui oblige à verser de l’argent et qui punit en cas de défaut de paiement ; ils la perçoivent aussi comme un levier financier de l’État, qui permet des réalisations bénéfiques à la collectivité (un meilleur réseau routier, de nouveaux hôpitaux, etc.). « Si jamais un individu pense que le risque est faible de se faire prendre en train de frauder (par exemple, payer comptant pour éviter les taxes), les chances sont alors élevées de le voir courir ce risque », dit Antoine Genest-Grégoire. Car il est convaincu que les torts ainsi causés à la collectivité sont « minimes ».

D’autre part, les contribuables reçoivent souvent le message que c’est « un devoir moral » de respecter les règles fiscales. Un exemple frappant est le slogan de Revenu Québec, présent sur la plupart de ses communications avec les contribuables : « Juste. Pour tous. » Or, « ce type de message est contre-productif auprès de ceux qui se sentent exclus ou défavorisés par le système », dit-il. Car ils ne voient pas l’intérêt de contribuer à « l’enrichissement » des autres.  

Marcelo Bergolo, professeur d’économie à l’Université de la République à Montevideo, en Uruguay, a regardé de son côté si certaines personnes étaient plus enclines que d’autres à avoir de mauvaises intentions fiscales. Avec son équipe de chercheurs, il a sondé l’an dernier quelque 6 000 contribuables, le but étant de repérer ceux qui avaient déjà déclaré des revenus annuels inférieurs à ce qu’ils avaient vraiment gagné, par exemple. Puis, il a soumis les 15,5 % qui avaient fraudé à des expériences visant à déceler d’éventuels points communs. 

Résultat ? Les individus susceptibles de frauder le fisc croient que les entreprises trichent allègrement. Ils sont radicalisés d’un point de vue politique, soit à gauche, soit à droite. Et ils sont partisans de l’impôt progressif (le taux d’imposition s’accroît à mesure que les revenus augmentent ; par exemple, un revenu annuel de 40 000 dollars serait imposé à hauteur de 5 % et un revenu annuel de 60 000 dollars, au taux de 10 %). 

L’étude montre aussi que l’environnement dans lequel évolue la personne joue un rôle déterminant. Si un individu susceptible de frauder constate, par exemple, que ses collègues de travail ont pour habitude de mentir dans leurs déclarations fiscales, il aura tendance à agir de la même façon qu’eux. Inversement, s’il constate que son entourage est particulièrement respectueux des règles fiscales, il se retiendra de tricher.

« Dès lors qu’un individu susceptible de frauder estime que le système fiscal et politique est injuste et que certains — particuliers comme entreprises — en tirent profit, il se sent légitimé de contourner les règles », note Marcelo Bergolo dans son étude.

Le fraudeur type peut changer de comportement à condition que l’État et le fisc prennent « des mesures ciblées », selon Antoine Genest-Grégoire. « Il faut que ceux qui sont tentés de tricher se sentent menacés », dit-il, et donc porter une attention toute particulière à ceux-ci. De telles mesures peuvent prendre différentes formes, précise-t-il : « multiplier les contrôles fiscaux auprès des fraudeurs types », ou bien « créer des postes de protecteurs du citoyen chargés de traiter les plaintes de particuliers à qui on aurait proposé des malversations fiscales ».

Pier-André Bouchard St-Amant, professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et lauréat de quatre prix d’innovation en matière de réforme de politiques publiques remis par Emploi et Développement social Canada, avance une autre idée en ce sens : « On pourrait généraliser la mise en place dans les commerces de modules électroniques de suivi des ventes [comme cela se fait déjà dans les restaurants] », dit-il. Cela permettrait au fisc d’avoir un œil sur les transactions et, le cas échéant, de s’interroger si jamais des « voyants rouges » venaient à s’allumer dans un magasin (moins de taxes perçues que dans des magasins comparables, baisse subite du prix moyen des achats par rapport au trimestre précédent, etc.).

C’est qu’il y a urgence d’agir. La fraude fiscale présente en effet un danger, celui de l’effritement de la cohésion sociale. Quand les fraudeurs demeurent impunis, cela peut saper le civisme de ceux qui respectent la loi à la lettre. « L’enjeu n’est pas que fiscal, il est également politique », dit Antoine Genest-Grégoire, de l’Université Carleton. 

Petit lexique fiscal

Fraude fiscale (ou évasion fiscale). Procédé consistant à enfreindre délibérément la loi pour payer moins d’impôts. Par exemple, un contribuable ou une entreprise qui dissimule des revenus ou une partie de son chiffre d’affaires afin de payer moins d’impôts s’adonne à la fraude fiscale. Il en est de même pour les travailleurs au noir et les entreprises qui demandent frauduleusement des remboursements de taxes.

Évitement fiscal (ou planification fiscale, ou optimisation fiscale). Procédé utilisé par un contribuable pour réduire au minimum sa charge fiscale en se prévalant de dispositions avantageuses de la loi. Il peut prendre la forme, par exemple, d’un placement dans un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ou d’un don à un organisme de bienfaisance. Cette pratique est parfaitement légale.

Évitement fiscal abusif. Certaines formes d’évitement fiscal sont considérées comme abusives, en ce sens qu’elles exploitent des imperfections ou lacunes de la loi. Elles se caractérisent souvent par un camouflage d’argent dans des paradis fiscaux (pays étrangers dont la législation fiscale est plus avantageuse). Ces pratiques ne sont pas à proprement parler illégales, mais elles ne respectent pas l’esprit de la loi.

Abri fiscal. Procédé visant à mettre de l’argent à l’abri du fisc. Par exemple, cela peut vouloir dire acquérir une maison dans l’optique de bénéficier d’avantages fiscaux égaux ou supérieurs au coût net de la transaction. Des abris fiscaux peuvent se révéler abusifs et donner lieu à des pénalités. 

Blanchiment d’argent. Procédé consistant à dissimuler l’origine de l’argent ou des biens issus d’une activité criminelle. L’argent « sale » est transformé en argent « propre », en ce sens qu’il est réinséré dans l’économie légale (un trafiquant s’achète des vêtements de marque avec l’argent de la drogue, un voleur à la tire s’offre un repas au restaurant avec l’argent dérobé, etc.).

Report d’impôt. Fait de reporter à une année ultérieure les impôts normalement dus au cours de l’année. Par exemple, les régimes de pension agréés (RPA) et les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE) donnent droit à un report d’impôt.

Sources : Agence du revenu du Canada, Revenu Québec, Thésaurus de Portail Québec. 

Les commentaires sont fermés.

On reconnaît les lubies des chercheurs de la tremple de Luc Godbout ici. Ce ne sont que les individus qui sont ciblés alors que le gros de la fraude appartient aux entreprise! et l’article prend bien soin de nous dire que, les paradis fiscaux et autres momtages financiers ne sont pas à proprement dit, illégaux! et dans les solutions envisagées; on ne propose que des contrôles sur les individus moins nantis et ceux qui travaillent au noir ou qui payent comptant; oh, quel énorme fraude que de payer comptant; et quel petite de jouir de paradis fiscaux.

Je n’aime pas du tout votre image d’introduction de cet article ou l’on voit un visage encadré par une étoile de david suggèree. Donc je vous prie de bien vouloir vous excuser pour cette bévue parce que le juif ne correspond pas au portrait robot du tricheur fiscal.

Premièrement ce n’est pas une étoile de David! Deuxièmement l’homme à la moustache peut nous rappeler bien autre chose…
Pour M Hamel, Luc Godbout n’écrit pas la loi. si elle est mal faite il ne peut pas en être tenu pour responsable.