
Pour la grande majorité de la population, le milieu des affaires est un bloc monolithique qui pense et qui agit en fonction des mêmes intérêts et qui influence d’une seule voix les partis politiques et les gouvernements. C’est un peu plus compliqué que cela dans la vraie vie et rien de tel qu’une campagne électorale pour en faire la démonstration.
De tout temps dans l’histoire du Canada, il y a eu des dirigeants d’entreprises qui ont soutenu les libéraux ou les conservateurs, les bleus et les rouges. Je connais même des patrons sympathiques à Québec solidaire. Ils sont peu nombreux, j’en conviens, mais c’est pour vous dire que le milieu des affaires est beaucoup plus éclaté et diversifié que ce que l’on pense généralement.
Comme tous les autres citoyens, les propriétaires d’entreprises peuvent voter en fonction de leurs valeurs personnelles et non pas seulement en fonction de leurs intérêts économiques. La religion, le sexe, l’origine, la langue sont des facteurs qui expliquent dans toutes les sociétés démocratiques des comportements électoraux divergents.
Si vous êtes dans le secteur de l’énergie, vous allez soutenir un parti politique qui va favoriser l’exploitation des ressources et reléguer au second plan les considérations environnementales. Les milieux d’affaires de l’Alberta sont de grands alliés du Parti conservateur.
Les dirigeants des grandes entreprises manufacturières ont besoin à la fois d’un plus grand accès aux marchés étrangers et d’aides fiscales à la R et D ou à l’investissement. Ils peuvent donc appuyer l’un ou l’autre des deux principaux partis. Comme ils habitent principalement l’Ontario et le Québec, je donne ici un léger avantage aux libéraux dans le coeur de ces PDG.
C’est la même chose dans le domaine de la finance, cette fois avec un avantage aux conservateurs. Les financiers préfèrent les budgets équilibrés et les finances publiques en bon ordre, mais n’oublions pas que ce sont eux qui empochent les commissions quand les gouvernements empruntent des milliards sur les marchés.
Les dirigeants de PME se retrouvent dans une autre situation. Ils profitent moins des largesses de l’État que les grandes entreprises, ils sont moins bien équipés pour gérer la lourde réglementation et le fardeau fiscal les accable. De ce fait, ils sont souvent plus à droite que les patrons des grandes entreprises.
Le milieu des jeunes entreprises technologiques réagit différemment que l’ensemble des PME manufacturières ou commerciales. D’abord, ces entrepreneurs sont plus jeunes et épousent d’emblée les nouvelles valeurs et tiennent à se distinguer par leur non-conformisme.
L’État est aussi beaucoup plus présent dans leur secteur. Pensons aux crédits d’impôt pour l’industrie des jeux vidéos ou au rôle de la Caisse de dépôt, d’Investissement Québec et des fonds fiscalisés comme le Fonds des travailleurs de la FTQ dans les fonds de capital de risque qui soutiennent leur émergence.
Certaines de ces nouvelles entreprises sont dans des secteurs comme l’électrification des transports, le développement durable et ce qu’on appelle les technologies propres et leurs intérêts sont souvent à l’opposé de ceux des sociétés énergétiques.
Si vous êtes dans le domaine de l’agroalimentaire, fort important au Québec, vous vous retrouvez au milieu des lignes de fracture entre les secteurs protégés comme le lait et les secteurs libéralisés comme le porc ou les produits maraîchers. Agropur, une coopérative appartenant aux producteurs laitiers, soutient la gestion de l’offre chère à ses membres, tout en poursuivant son expansion hors Québec en achetant des installations aux États-Unis.
Les grands lobbys patronaux représentent tous ces intérêts à la fois et l’équilibre est souvent difficile entre leurs membres promarché et ceux qui s’accommodent d’une plus grande intervention de l’État.
C’est pour cela qu’il y a des patrons conservateurs et des patrons libéraux et qu’il y en a même qui vont voter pour le NPD. Le milieu des affaires est comme le marché politique: il reflète des valeurs et des intérêts à la fois particuliers et divergents.
Vu que l’état a son nez partout vous avez raison, impossible se savoir pour qui votent les patrons.
Mais quand des patrons votent socialiste vous savez que quelque chose cloche sérieusement dans le royaume….