
Il y a six ans, en 1999, le poète et chansonnier abitibien Richard Desjardins présentait un documentaire-choc intitulé L’erreur boréale. Ce film était rempli d’images des « coupes à blanc » pratiquées par les entreprises dans les forêts de sapins et d’épinettes du Nord québécois. Desjardins concluait que le régime forestier en vigueur dans la forêt boréale était déficient et que le Québec était menacé de déforestation.
L’erreur boréale a eu l’effet d’une bombe dans l’opinion publique. Pour en avoir le coeur net, le gouvernement a constitué, en 2003, une commission d’étude scientifique et technique indépendante, placée sous la présidence de Guy Coulombe, administrateur d’expérience. Après le poète, on entendrait les experts forestiers et les chercheurs universitaires. La Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise a déposé son rapport en décembre dernier. Surprise pour bien des gens: elle confirme sans détour le diagnostic de Richard Desjardins.
La commission formule quatre observations, aussi simples que fondamentales. Premièrement, depuis 15 ans, le rythme annuel des coupes s’est accéléré de 40% dans la forêt boréale. Conséquence: la nature n’est plus capable de suivre et n’arrive plus à régénérer la forêt. Les inventaires forestiers indiquent que le volume total de bois résineux (sapin, épinette, pin gris et mélèze) potentiellement récoltable sur le territoire québécois a diminué de 8% en 10 ans. La conclusion du rapport Coulombe tombe comme un couperet: «Il y a, globalement, surexploitation ligneuse des forêts du Québec.»
Deuxièmement, la qualité moyenne des arbres coupés s’est considérablement dégradée depuis 25 ans. Pour les essences résineuses, le volume de bois par tronc récolté a diminué de 35%. Dans le cas des feuillus (bouleau jaune, hêtre, chêne, noyer, etc.), on a assisté à un tel écrémage des arbres de qualité que les scieries québécoises affirment devoir maintenant importer des États-Unis presque 40% de leurs billes de sciage. Imaginez: le Québec importateur de bois!
Troisièmement, dans plusieurs régions, les peuplements récoltables sont de plus en plus éparpillés et éloignés. Les plus denses et les plus rapprochés ont été coupés en priorité. L’exploitation est constamment repoussée vers le nord. L’accès au bon bois est de plus en plus coûteux, en raison de l’éloignement et de l’insuffisance de la voirie forestière. La position concurrentielle de l’industrie québécoise du bois est en péril.
Quatrièmement, malgré les 2,5 milliards de dollars investis depuis 1980, les travaux sylvicoles de remise en production restent d’une efficacité douteuse. Leur effet véritable sur le rendement de la forêt publique n’atteint pas la moitié de ce qu’on avait espéré.
Recommandation-choc: le rapport Coulombe propose d’arrêter la déforestation du Québec en réduisant de 10% à 20% les coupes de bois résineux dans la forêt boréale. Cette mesure est urgente. Faute d’avoir agi à temps, la population de l’île de Pâques, dans le Pacifique Sud, a fini par être exterminée, au 19e siècle, après avoir stupidement abattu jusqu’au dernier de ses arbres. Plus près de nous, Terre-Neuve a vu sa population baisser de 11% depuis 1993, année où la surpêche aveugle a finalement eu raison des stocks de morue, qui avaient été le gagne-pain des habitants pendant 300 ans.
La résistance aux restrictions sur les coupes d’arbres au Québec sera féroce. Elle viendra des entreprises et des populations des 150 municipalités qui vivent presque exclusivement de la récolte et de la transformation du bois. Des milliers d’emplois et des centaines de millions de dollars en revenus annuels sont en jeu. Il sera très difficile pour les autorités politiques de maintenir la ligne dure face aux protestations, bien compréhensibles, de leurs électeurs. C’est exactement ce qui a perdu Terre-Neuve et l’île de Pâques.
Le rapport Coulombe prévoit cette réaction de l’opinion régionale. Il propose la création d’un poste de forestier en chef du Québec, neutre et indépendant du gouvernement. Cet arbitre suprême de la forêt serait appelé à défendre les intérêts des générations futures contre la myopie naturelle des générations présentes. Mais nos élus accepteront-ils que leur pouvoir politique soit ainsi partiellement affaibli afin de sauver la forêt?
Le diagnostic posé par Richard Desjardins s’est avéré juste sur toute la ligne. Pour ce qui est de la mise en place de solutions, toutefois, les forêts du Québec ne sont pas « sorties du bois », loin s’en faut.