Savoir lire et compter : plus que jamais !

« Les compétences en numératie et en littératie exercent une influence déterminante sur les revenus salariaux individuels », explique l’économiste Pierre Fortin.

(Photo : iStockPhoto)

Une des fonctions centrales de l’éducation primaire et secondaire est d’apprendre aux jeunes à compter, à lire et à écrire. Car comment peut-on ensuite accéder à la culture et à la science et continuer à apprendre tout au long de sa vie en étant privé de ces compétences de base ? Même chose pour les métiers. La nouvelle économie exige maintenant que les travailleurs possèdent les compétences de base ainsi que la formation scientifique et technique pour bien faire fonctionner les systèmes numériques, gérer des organisations complexes, s’adapter aux changements en souplesse et concevoir eux-mêmes de nouvelles idées. Nombre de cols bleus dans le secteur manufacturier et de cols blancs dans les services n’y arrivent pas. Ils peinent à soutenir la concurrence de l’automatisation des tâches ici même et de la main-d’œuvre faiblement rémunérée dans les pays émergents. Ils sont doublement coincés par les changements technologiques et la mondialisation.

La forte augmentation de l’inégalité du revenu dans les pays avancés depuis 30 ans en est une conséquence. De 1985 à 2014, avant impôts et prestations publiques et après inflation, le revenu médian des 10 % les plus riches des contribuables québécois a augmenté de 18 %. Les 90 % les moins riches, eux, ont vu le leur diminuer de 3 %. L’impôt sur le revenu et les prestations de l’État ont corrigé en partie cette inégalité croissante du revenu marchand. Mais combattre les inégalités uniquement par la redistribution fiscale n’est pas une bonne idée. Une solution viable à long terme doit aussi reposer sur une augmentation permanente et généralisée du revenu autonome de la classe moyenne et des moins nantis.

En 2004, mes confrères Serge Coulombe et Jean-François Tremblay, de l’Université d’Ottawa, ont fait une découverte majeure. Ils ont trouvé que, dans les pays avancés, l’éducation influençait la croissance économique principalement par son effet sur les compétences de base de leur population en mathématiques et en lecture. Le professeur Eric Hanushek, de l’Université Stanford, en Californie, a ensuite confirmé ce résultat et montré que les compétences en numératie et en littératie exerçaient une influence déterminante sur les revenus salariaux individuels. Sa démonstration est basée sur les données de l’enquête du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes, réalisée en 2012 dans les pays avancés.

Le graphique ci-dessous témoigne de la grande diversité des résultats. Le Québec se situe au milieu du peloton, à 56 %, à égalité avec l’Australie, la Corée, l’Allemagne et les autres provinces canadiennes.

Compte tenu de la démonstration de Coulombe, Tremblay et Hanushek et des résultats de l’enquête internationale de 2012, il est clair que si les compétences de base des jeunes Québécois s’amélioraient, la stagnation et l’inégalité du revenu pourraient être efficacement combattues. Rejoindre le niveau atteint par les Japonais et les Finlandais en maths et en lecture stimulerait la croissance économique et réduirait sensiblement l’écart salarial qui sépare les moins nantis et la classe moyenne des classes plus riches. Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a récemment tapé dans le mille en proposant la création d’un institut d’excellence en éducation ainsi qu’un renforcement de la formation initiale et continue des enseignants du primaire et du secondaire. Les mesures concrètes et les ressources restent à venir.

Poursuivre des objectifs comme restaurer la qualité des garderies, consolider l’apprentissage des compétences de base au primaire et au secondaire et combattre le décrochage à tous les niveaux exigera de la vision et de la patience. De tels changements en éducation s’étaleront forcément sur plusieurs années. Leurs conséquences économiques et culturelles prendront toute une génération à se manifester pleinement. Ce fut le cas pour la révolution éducative des années 1960, dont les fruits sont devenus apparents seulement depuis la fin des années 1980. Seuls des leaders politiques qui sont capables de penser et d’agir en fonction du long terme, au-delà de la prochaine échéance électorale, comme les Lesage, Gérin-Lajoie et Lévesque il y a 55 ans, peuvent en être les artisans.