Une précieuse ressource

En choisissant de rester actifs, les travailleurs d’expérience vont non seulement améliorer leur propre bien-être, mais aussi aider à soulager le fardeau du vieillissement qui pèse sur les épaules des jeunes et les pénuries sectorielles de main-d’œuvre qui affligent nos industries.

Photo : Daphné Caron

Le taux d’activité des travailleurs vieillissants a connu un virage fondamental depuis le milieu des années 1990. Les hommes d’abord ont fini par abandonner le mirage de « Liberté 55 ». Après être descendu à 41 % en 1996, le taux d’activité des hommes de 55 à 69 ans est remonté à 58 % en 2019. Ils se sont rendu compte qu’une retraite qui serait définitive à 55 ans les laisserait avec 30 années à vivre, souvent aux prises avec l’ennui, la solitude et un sentiment d’inutilité. Financièrement, ils n’avaient pas épargné beaucoup. Ils ne disposaient que de petits revenus de pension pour traverser une vieillesse qui allait s’allonger jusqu’à 85 ans, alors qu’elle ne dépassait pas l’âge de 70 ans dans le temps de leurs grands-parents. Quant aux femmes de 55 à 69 ans, leur taux d’activité a fini par prendre son envol autour de l’an 2000 pour atteindre 47 % en 2019. Les Québécois de 55 ans ou plus des deux sexes sont maintenant 925 000 à occuper un emploi.

Il n’est pas question de forcer quiconque à demeurer sur le marché du travail après la retraite. Si un nombre croissant d’aînés choisissent librement de rester actifs, c’est d’abord parce que leur santé s’est grandement améliorée. Le travail est moins manuel qu’avant, les habitudes de vie sont plus saines. À 65 ans, on peut aujourd’hui espérer vivre en santé jusqu’à 80 ans. C’est aussi parce que la propension à rester au travail est intimement liée au niveau d’éducation et que les travailleurs âgés sont beaucoup plus scolarisés qu’autrefois. Il y a 30 ans, à peine 18 % des Québécois de 55 à 69 ans possédaient un diplôme postsecondaire (collégial ou universitaire). Ils étaient nés dans les décennies 1920 et 1930. De nos jours, ils sont 60 % dans ce groupe d’âge à jouir d’un tel avantage. Ce sont les enfants de la révolution éducative.

Si on respecte les travailleurs d’expérience, si on leur donne accès à des horaires flexibles ou au télétravail et si la voracité du fisc n’est pas excessive, il ne fait aucun doute qu’ils seront de plus en plus nombreux à choisir librement de rester actifs. Les hommes comme les femmes, mais tout particulièrement ces dernières. On peut en effet déjà constater que les femmes des générations montantes sont beaucoup plus scolarisées que les hommes. À la sortie de nos universités, pour 100 baccalauréats accordés à des hommes, 160 sont décernés à des femmes. Et depuis 20 ans, l’accès à des garderies à tarif abordable permet aux femmes de poursuivre en plus grand nombre des carrières moins entrecoupées qu’autrefois par les naissances. Ainsi sera structuré l’avenir.

Comment nos travailleurs vieillissants se comparent-ils à ceux d’ailleurs sur le marché du travail ? Globalement, en 2019, le taux d’activité des 55 à 69 ans était de 52 % au Québec et de 56 % en Ontario et aux États-Unis. Le désavantage du Québec par rapport à ses deux partenaires était donc de 4 points. Mais il a nettement diminué depuis 30 ans, puisqu’à la fin de la décennie 1980, il était de presque 10 points. Il pourrait disparaître complètement d’ici la fin de la décennie 2020.

La palme mondiale des travailleurs âgés actifs appartient cependant à une autre société vieillissante, le Japon. Le taux d’activité des Japonais de 55 à 69 ans s’établit présentement à 66 %. Si le taux québécois grimpait soudainement de son niveau actuel de 52 % au niveau japonais, 230 000 personnes s’ajouteraient à notre main-d’œuvre disponible. Ce bond équivaudrait à huit fois l’augmentation annuelle que la population active totale du Québec a connue au fil des dernières années.

Si le Japon est un exemple à étudier attentivement, c’est que le vieillissement accéléré de sa population s’est produit une quinzaine d’années avant celui qui a cours chez nous. Nous pouvons apprendre des mesures qu’il a adoptées en réaction à ce choc démographique. Bien évidemment, la culture japonaise est différente de la nôtre, notamment en ce qui concerne la vénération des aînés. Le Québec ne peut certainement pas atteindre le taux d’activité de 66 % des Japonais vieillissants du jour au lendemain. Mais à tout le moins, la performance exceptionnelle du Japon en la matière fait la preuve que notre population âgée constitue un extraordinaire bassin de ressources humaines.

En choisissant de rester actifs, les travailleurs d’expérience vont non seulement améliorer leur propre bien-être, mais aussi aider à soulager le fardeau du vieillissement qui pèse sur les épaules des jeunes et les pénuries sectorielles de main-d’œuvre qui affligent nos industries.