L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui regroupe 30 pays parmi les plus riches de la planète, compare chaque année l’effort financier de ses membres en matière de santé. Pour l’année 2004, cet organisme classe le Canada au neuvième rang quant à la proportion des dépenses totales de santé dans le revenu national. Mais ces données nous font trop bien paraître. C’est qu’il n’y a pas encore beaucoup d’aînés qui ont besoin de soins au Canada. S’ils étaient aussi nombreux que dans les autres pays membres de l’OCDE (comme ils le seront bientôt), l’effort financier du Canada en santé serait non pas le neuvième, mais le troisième en importance parmi les 30 pays, derrière les États-Unis et l’Islande. La situation n’est pas meilleure au Québec : la part du revenu intérieur que nous consacrons à la santé est supérieure à la moyenne canadienne.
Malgré cela, notre système de santé actuel n’est pas à la hauteur des attentes. Bien des hôpitaux tombent en ruine ; leur propreté laisse souvent à désirer ; les patients y attrapent des infections mortelles ; les Québécois craignent d’être hospitalisés ; les bureaucraties et les syndicats se braquent contre le changement ; le personnel est surchargé et excédé ; l’épuisement professionnel est fréquent ; les technologies sont souvent vétustes ; les horaires, rigides ; l’équipement, sous-utilisé ; les urgences, débordées ; les délais d’attente s’allongent ; les médecins ont de moins en moins le temps de parler avec leurs patients ; le curatif domine outrageusement le préventif ; les structures de décision sont lourdes et improductives ; la connaissance du terrain et les solutions pratiques sont souvent évacuées par la politique et l’idéologie ; les coûts de gestion sont excessifs ; et seuls les riches peuvent contourner le système.
Il est évidemment possible d’améliorer la performance de notre système en y injectant toujours plus de ressources humaines et financières. Nous le faisons déjà. De 17 milliards de dollars en 1996, nos dépenses totales de santé ont bondi à 30 milliards en 2006. Le problème, c’est que cet effort massif est lent à donner des résultats et que le tsunami des baby-boomers vieillissants fera bientôt exploser la demande de soins. À partir de 2010, notre population âgée de 65 ans ou plus croîtra en effet à un rythme extrêmement rapide. Au total, d’ici 2030, elle aura doublé. Il y aura un million d’aînés de plus au Québec. Bref, si nous voulons à la fois résoudre les difficultés actuelles de notre système de santé et lui permettre d’absorber en douce l’explosion imminente du nombre de nos aînés, cela nous coûtera les yeux de la tête.
À moins que nous ne modifiions en profondeur nos façons de faire.
Des pays comme la Belgique, la France et la Suède — berceau de la social-démocratie — ont trouvé des solutions. Plutôt que de considérer le secteur privé comme un ennemi à abattre, ils le voient comme un partenaire, qu’une combinaison appropriée de règles et de mesures incitatives peut orienter vers la bonne cause de manière économique, humaine et efficace. Leurs systèmes hybrides public-privé fournissent aujourd’hui des soins de santé d’une qualité exceptionnelle, à un coût abordable. Ils ne sont pas sans problèmes, rien n’est parfait. Mais au moins, l’accès universel aux soins sans égard au revenu est garanti et les listes d’attente ont presque disparu. On encourage l’émulation entre les composantes publique et privée, ce qui pousse tous les intervenants à exceller. Le dérapage vers l’inéquitable et coûteux free-for-all de type américain, que certains appréhendaient, n’a pas eu lieu.
Il est grand temps que le Québec voie s’il peut s’inspirer de ces systèmes européens (et d’autres), en y injectant son génie particulier. C’est pourquoi il faut saluer la récente décision du gouvernement québécois de confier à un groupe d’experts, présidé par l’actuaire Claude Castonguay, ancien ministre de la Santé, la tâche de revoir de fond en comble l’organisation de notre système de santé. Et s’il faut briser le carcan imposé par la Loi canadienne sur la santé pour faire avancer les choses, alors souhaitons que ce groupe n’hésite pas à le dire haut et fort.