5 élections étrangères cruciales en 2022

Le monde pourrait être différent à la suite de ces cinq scrutins qui se dérouleront au cours des prochains mois dans autant de pays. L’équilibre de régions stratégiques en dépend.

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L’auteur est étudiant au baccalauréat en études internationales et corédacteur en chef de La Revue du CAIUM.

France : embouteillage à droite

Élection le 10 avril (premier tour) et le 24 avril (second tour)

Les intentions de vote en France créditent le président Emmanuel Macron (centre droit) d’une confortable avance au premier tour. Pour le second billet vers le deuxième tour cependant, la lutte s’annonce plus corsée, avec Les Républicains (droite) de Valérie Pécresse et le Rassemblement national (de droite à extrême droite) de Marine Le Pen à égalité statistique, selon les derniers coups de sonde. 

Encore relativement peu connue du grand public québécois, Valérie Pécresse pourrait néanmoins troubler les chances de réélection de Macron. « C’est une femme expérimentée et crédible sur une variété de sujets », décrit Julien Tourreille, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal. 

Malgré une croissance économique impressionnante et un taux de chômage en diminution, après des années de taux élevés, l’électorat français éprouve un sentiment négatif à l’égard du président français, ce qui pourrait lui nuire si la droite du pays se rangeait derrière Pécresse ou même Le Pen. En janvier dernier, plusieurs sondages mesuraient le taux d’approbation d’Emmanuel Macron sous la barre des 40 %.

Julien Tourreille entrevoit quelques remises en question à saveur nationaliste sur le plan des relations internationales, dont les répercussions pourraient se faire sentir de ce côté-ci de l’Atlantique si l’une des deux candidates battait Emmanuel Macron : « La France pourrait alors émettre quelques réserves sur son degré d’implication dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ou l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada », illustre-t-il. Une telle perspective réitère l’importance de cette élection pour le Canada, qui considère la France comme un allié traditionnel sur des questions économiques et géostratégiques.

Liban : le cèdre abattu

Élections législatives le 15 mai

C’est sur fond de crise politique et économique que le Liban tiendra ses élections législatives en mai prochain. La violente explosion dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, dont les pertes ont été évaluées à un peu plus de 19 milliards de dollars, ne représente que la pointe de l’iceberg des problèmes d’un État défaillant qui se débat avec des enjeux de corruption, de pauvreté et d’instabilité politique depuis plusieurs années. 

Le Canada a beaucoup investi pour aider le pays à se remettre sur les rails : 427 millions depuis 2016. Ces sommes, selon le site d’Affaires mondiales Canada, servent à « soutenir la stabilité et la capacité de résistance du Liban face aux répercussions des conflits en Irak et en Syrie et l’explosion catastrophique au port de Beyrouth ». Et le Canada a plusieurs raisons de fournir cet appui, de l’avis de Marie-Joëlle Zahar, professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal, spécialiste en violence politique et libanaise d’origine. D’abord, la diaspora libanaise est très importante au Canada, notamment au Québec. « Et celle-ci, nous l’avons vu dans le passé, est très mobilisée, ce qui fait qu’elle a du poids lorsqu’elle demande à Ottawa d’agir. » De même, de 60 000 à 75 000 Canadiens vivent au Liban. 

Si les élections libanaises devaient mal tourner, Marie-Joëlle Zahar croit que de nouveaux problèmes sécuritaires pourraient apparaître dans cette région du Moyen-Orient déjà tendue. D’autre part, elle estime que ces turbulences potentielles risqueraient de créer des remous chez nous en divisant à son tour la communauté libanaise d’ici. Ce qui lui fait dire que « le Canada ne peut tout simplement pas tourner la tête et regarder ailleurs ».

Colombie : luttes au bord des gouffres

Élections législatives : 13 mars ; élection présidentielle : 29 mai (premier tour) et 19 juin (second tour)

La Colombie tient des élections législatives et présidentielle ce printemps, au terme de deux années pour le moins tumultueuses. L’accord de cessez-le-feu intervenu en 2016 entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement n’a pu calmer les tensions vieilles de près de 60 ans, résultat d’une farouche opposition du président Iván Duque, élu en 2018 sous la bannière de la droite conservatrice. Ce dernier ne pouvant se présenter à nouveau, le social-démocrate Gustavo Petro est actuellement en tête de liste pour le remplacer.

Le Canada portera une attention particulière à ces élections, d’abord parce qu’elles auront des conséquences économiques pour certaines entreprises, surtout les sociétés minières canadiennes. Vingt-huit entreprises canadiennes y ont des activités, pour des actifs qui totalisaient 837 millions de dollars en 2020, selon Ressources naturelles Canada. De plus, Ottawa a versé près de 5,6 milliards de dollars en investissements directs en Colombie dans le cadre de l’accord de libre-échange canado-colombien de 2011. 

C’est d’ailleurs ce traité qui permet à autant de sociétés minières canadiennes d’avoir des activités sur le sol colombien. Mais les règles du jeu pourraient changer, selon Chalmers Larose, codirecteur de l’Observatoire des Amériques de l’UQAM. « L’élection d’un gouvernement de gauche pourrait bien faire rouvrir le traité pour y inclure des garanties liées aux droits de la personne, aux conditions d’exploitation et à une répartition des redevances plus juste dans le secteur minier », affirme le spécialiste des relations latino-américaines. En ce sens, des pourparlers très corsés pourraient avoir lieu entre les deux pays.

Marie-Joëlle Zahar évoque quant à elle la possibilité d’un regain des tensions : « Les élections colombiennes peuvent devenir un moment clé soit pour un retour à la violence, soit pour un durcissement d’un gouvernement déjà fort, ce qui pourrait compliquer la suite des accords de paix. » Elle n’exclut pas la possibilité qu’une crise politique en Colombie contribue à un afflux de migrants qui se dirigeraient vers les États-Unis, ou même le Canada par la suite, une analyse partagée par Chalmers Larose.

Même s’il n’y dépêchera pas ses propres observateurs, le ministère des Affaires étrangères du Canada a confirmé qu’il appuierait la mission d’observation électorale de l’Organisation des États américains en Colombie.

États-Unis : envoyer le Canada sous l’autobus

Les élections de mi-mandat, historiquement peu favorables au parti en poste à la Maison-Blanche, risquent de ne pas faire exception à la règle en novembre prochain. Avec un climat social des plus tendus, des échecs législatifs répétés et un président impopulaire, les républicains pourraient bien reprendre le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat et freiner ー encore plus ー le programme de Joe Biden. Reste à voir ce que cela changerait pour le Canada : pour mémoire, Joe Biden n’a pas abaissé les barrières protectionnistes promulguées par le gouvernement précédent, au grand dam du Canada…

« Il semble exister désormais un consensus bipartisan sur le nationalisme économique, affirme Christophe Cloutier-Roy, directeur par intérim de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Tous reconnaissent la nécessité de prioriser les emplois et les intérêts américains. » Le Congrès est passé bien près d’adopter un programme incitatif fiscal pour l’achat de véhicules électriques américains, une mesure dont aurait grandement souffert l’industrie automobile canadienne. Le projet de loi de quelque 2 300 milliards de dollars, qui a avorté au Sénat, risque d’être étudié à nouveau, mais en pièces détachées.

Par ailleurs, les républicains pourraient presser Ottawa sur certains enjeux militaires, selon Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) et ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion. Le Capitole attend toujours du gouvernement canadien l’accord visant à moderniser les radars installés dans le Grand Nord, première ligne de défense continentale en cas d’attaque. L’engagement libéral, qui date de 2017, tarde à être mis en œuvre, et la lenteur décisionnelle observée à Ottawa fait taper du pied à Washington.

Christophe Cloutier-Roy évoque aussi l’importance des élections locales, qui pourraient s’avérer cruciales pour l’économie québécoise. L’État du Maine, qui a rejeté par voie de référendum la ligne de transport électrique proposée par Hydro-Québec, doit élire son gouverneur. L’affaire est maintenant devant les tribunaux, et le prochain gouverneur aura la difficile tâche de sceller le sort du mégaprojet d’un milliard de dollars. Christophe Cloutier-Roy n’exclut pas une mobilisation semblable dans l’État de New York, qui ira aux urnes lui aussi et avec lequel la société québécoise s’est entendue sur le corridor à haute tension Champlain Hudson Power Express, qui doit relier Montréal et la ville de New York.

La Libye : entre peur et incertitude 

Date inconnue 

Pour la première fois de l’histoire de la Libye, les électeurs choisiront leur président en 2022. Du moins, théoriquement. Initialement prévue pour 2018, l’élection présidentielle libyenne a depuis été reportée à l’année suivante, le pays étant en proie à une guerre civile. À trois jours du scrutin qui devait se tenir le 24 décembre dernier, la Haute Commission électorale libyenne a décidé de le remettre à plus tard une énième fois, et prévoit de six à huit mois supplémentaires avant son déroulement. 

Au-delà de cette ambiguïté, l’élection, si elle devait avoir lieu, marquerait la sortie du cycle de violences dans lequel la Libye s’est embourbée, croit Marie-Joëlle Zahar. Dans le cas inverse, des débordements pourraient être observés dans la région semi-désertique du Sahel, au sud du pays, qui sert bien souvent de corridor pour les réfugiés, le trafic d’armes et le terrorisme, principalement vers l’Europe. Le Sahel étant source de préoccupation pour les Nations unies, l’organisation pourrait bien demander à la communauté internationale, dont le Canada, d’intervenir dans le territoire en cas d’escalade de violence. Ce ne serait pas la première fois qu’Ottawa y envoie des soldats, mais l’expérience canadienne dans la région n’a pas été couronnée de succès : « Lorsqu’il est intervenu au Mali en 2018, le gouvernement Trudeau a été largement critiqué par certains pays, mais aussi par des experts à l’interne, qui qualifiaient son action de “timide” », rappelle Marie-Joëlle Zahar. Au vu des résultats en demi-teinte que les interventions canadiennes en Afrique ont produits, la réponse du gouvernement Trudeau à une autre demande onusienne demeure ainsi incertaine… comme tout ce qui entoure le dossier des élections libyennes à ce stade.

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Il est encore tôt, c’est vrai. Mais au dernier sondage Pécresse reculait… Oups, devancée par Zemmour!!!