À la frontière polonaise, un élan de solidarité

Notre collaborateur Fabrice de Pierrebourg vient d’arriver en Ukraine. Dans ce premier billet, il nous raconte ce qu’il a vu en traversant la frontière, et comment le drame qui s’y vit fait aussi ressortir le meilleur de la nature humaine.

Maiia et sa fille, deux Ukrainiennes, se réchauffent après avoir franchi la frontière polonaise. Photo : Fabrice de Pierrebourg

Debout, les mains tendues au-dessus d’un vieux bidon métallique rouillé rempli de braises, Maiia, une Ukrainienne dans la quarantaine, et sa fille de 14 ans tentent de se réchauffer. Elles ont le regard perdu. « C’est terrible, tout ça, me souffle-t-elle. Il faut vraiment que l’Occident ferme l’espace aérien ukrainien pour empêcher ces bombardements. »    

Avec une simple valise comme bagage, elles ont traversé presque toute l’Ukraine d’est en ouest, depuis la région de Poltava. Elles ont ensuite attendu plusieurs heures dans le froid, en pleine nuit, pour enfin franchir à pied la frontière menant vers Medika, en Pologne. 

Cette petite ville frontalière est devenue depuis le début de l’offensive russe le premier lieu d’accueil d’un flot ininterrompu de réfugiés ukrainiens, en quasi-totalité des femmes et des enfants. Les hommes âgés de 18 à 60 ans, eux, ne peuvent plus quitter le pays. L’heure est à la mobilisation générale.

Réfugiés ukrainiens arrivant à Medika. Photo : Fabrice de Pierrebourg.

Maiia laisse derrière elle des membres de sa famille qui ne pouvaient se résoudre à tout abandonner. Malgré les bombes et les destructions. « Mon père, ma mère et ma sœur n’ont pas voulu partir avec nous. Ils étaient apeurés à l’idée de faire tout ce chemin. » 

Elle se console en observant la nuée de bénévoles, membres d’ONG ou non, qui sont présents à Medika pour accueillir ces naufragés du conflit. « Je suis très émerveillée de voir toute cette solidarité. »  

Sitôt le pied posé sur le sol polonais, les Ukrainiens empruntent, visiblement interloqués, un passage bordé de tentes sous lesquelles des volontaires leur tendent nourriture, boissons fraîches et chaudes, de quoi changer leurs bébés et même des cages pour leurs chiens ou leurs chats. 

Nombre de ces bons samaritains n’ont pas hésité à quitter leur emploi et à traverser l’Europe pour venir offrir leur aide. Spontanément. 

C’est le cas de Paul Brionne, maire adjoint d’une petite ville de Normandie, en France. « Au début, je voulais venir tout seul pour aider », me raconte-t-il, tout en tendant un bol en plastique rempli de confiseries à une fillette dont les yeux s’illuminent. « Puis un ami m’a dit qu’il venait avec moi. Puis un autre. Et un autre. Finalement, nous sommes 11. Nous sommes arrivés ici hier avec un minibus de 55 places et des kilos de dons de nourriture offerts par des supermarchés de ma région. En trois jours, j’ai aussi récolté une cagnotte de près de 6 000 euros. J’ai un idéal et je crois toujours en la bonté humaine. »   

Plus loin, je croise Susana et son mari Michael. Ils ont roulé depuis l’Espagne et s’affairent maintenant à servir des cafés. Avec le sourire. Un langage universel, me dit-elle. « Quand tu es loin, c’est impossible de réaliser ce qui se passe ici. Je suis tellement touchée par les enfants. Ce qu’ils vivent… Je regardais une petite fille pleurer un peu plus tôt. Tout ça parce que quelqu’un a décidé subitement de tout détruire… » 

À gauche : Susana, bénévole venue d’Espagne. À droite : Paul Brionne, maire adjoint d’une petite ville française, prête main-forte bénévolement à l’accueil des Ukrainiens. Photos : Fabrice de Pierrebourg.

Il est midi. C’est à mon tour de franchir la frontière, à pied, mais en sens inverse. Vers l’Ukraine. Je longe une file interminable de centaines de femmes, d’enfants et de personnes âgées, qui avancent pas à pas et dans le silence le plus total vers la Pologne. 

Le sort de leur pays est entre les mains de leur armée, mais aussi d’hommes comme Alexander, 42 ans, qui a accepté de me conduire à Lviv, ma première étape. Ce chauffeur de poids lourd qui, jusqu’au déclenchement de la guerre, faisait la liaison régulière entre l’Ukraine et la Pologne transporte désormais dans sa minifourgonnette et une remorque des boîtes de médicaments et du matériel médical jusque vers les lignes de front.  

« Avant, je travaillais pour mon patron ; là, je travaille pour mon pays, dit-il en anglais. Je peux rouler pendant des heures, tant que j’ai du café, des cigarettes et de la bonne musique. » 

Aux entrées des villages, des sacs de sable et des croix métalliques censés entraver la progression des chars d’assaut russes sont entassés au bord de la route. Prêts à être installés. Nul ne sait quand.

Réfugiés ukrainiens arrivant à Medika. Photo : Fabrice de Pierrebourg.