L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Pour les analystes électoraux américains, il y a eu trois années d’exception au cours du dernier siècle : 1934, 1998 et 2002. Il s’agit des seules élections législatives de mi-mandat desquelles le président en exercice est sorti victorieux.
Sinon, à chaque exercice démocratique semblable, tenu deux ans après une élection présidentielle et deux ans avant la prochaine, la règle quasi universelle veut que le locataire de la Maison-Blanche perde des sièges à la Chambre des représentants. En moyenne, c’est environ 25.
Dans un tel contexte, il s’agit d’une conclusion déjà établie à Washington que les démocrates, ne détenant qu’une maigre majorité de cinq sièges à la Chambre des représentants, sont destinés à en perdre le contrôle, possiblement de façon décisive, lors des élections du 8 novembre prochain.
La réalité aurait pu être autre si la présidence Biden avait suivi une trajectoire différente. Car il est aussi arrivé au parti présidentiel de limiter les dégâts. Par exemple, le Parti démocrate, qui dominait Washington après l’élection de John F. Kennedy en 1960, n’avait pratiquement subi aucune perte lors des élections de mi-mandat de 1962.
Kennedy, malgré des difficultés en politique étrangère dès le début de son mandat, notamment avec l’épisode de la baie des Cochons, était parvenu à maintenir son image auprès du public américain. « Plus je fais de bêtises, plus je deviens populaire », aurait-il affirmé, selon son conseiller Arthur Schlesinger. Puis, à un mois des élections était survenue la crise des missiles de Cuba, lors de laquelle Kennedy le président avait brillé. Le jour du vote, les démocrates perdaient seulement quatre sièges à la Chambre des représentants — et en gagnaient même deux au Sénat.
Les républicains n’en perdaient qu’une douzaine en 1970, deux ans après l’élection de Richard Nixon, et que huit en 1990, sous George Bush père. Autrement dit, une défaite « cinglante » peut être évitée.
Or, les derniers présidents ont tous connu des élections de mi-mandat extrêmement difficiles : pendant la présidence Bush, les républicains se faisaient évincer des deux chambres du Congrès en 2006 ; pendant la présidence Obama, les démocrates perdaient 63 sièges et leur majorité à la Chambre des représentants en 2010, puis 9 sièges et leur majorité au Sénat en 2014 ; et pendant la présidence Trump, les républicains reperdaient à leur tour 41 sièges et leur majorité à la Chambre en 2018.
Un sort similaire est pressenti en 2022 pour les démocrates menés par Joe Biden. Les résultats des élections tenues au New Jersey et en Virginie en novembre passé laissaient déjà présager d’importants revers à l’échelle nationale pour les démocrates — et les développements des derniers mois n’ont d’aucune façon pu changer la trajectoire.
Le taux d’approbation de Biden demeure historiquement bas, coincé autour des 40 %. La préoccupation numéro un des Américains continue d’être l’économie, particulièrement l’inflation, à laquelle s’ajoutent désormais des craintes de plus en plus répandues de ralentissement économique, sinon de récession. Et sur cet enjeu, les électeurs jugent le travail du président encore plus sévèrement, lui accordant un taux d’approbation plus bas, à environ 35 %.
Encore plus inquiétant pour les démocrates, ils semblent avoir perdu le centre de l’échiquier politique. Ce sont non seulement les électeurs républicains qui se disent déterminés à voter contre eux en novembre, mais les électeurs indépendants aussi, ceux qui ne sont affiliés à aucun des deux partis majeurs : à peine 31 % d’entre eux approuvent le travail du président, selon le dernier sondage national The Economist.
À ce stade, la question peut-être la plus intrigante est de savoir ce qui arrivera du côté du Sénat. Malgré l’hésitation des commentateurs à cet égard, les républicains doivent être considérés comme favoris pour également reprendre la majorité au Sénat.
Chambre haute, terrain inégal
Ce qui distingue la Chambre des représentants et le Sénat est la proportion de sièges en jeu : la totalité l’est dans le premier cas, seulement le tiers dans le second. Ainsi, sur les 100 sièges au Sénat, seulement 35 seront en élection en novembre (les autres le seront en 2024 et en 2026). Et sur ces 35, 14 sont défendus par les démocrates.
C’est ce qui fait généralement croire que les démocrates peuvent espérer maintenir leur majorité à la chambre haute : il n’y a tout simplement pas tant d’occasions de gains pour les républicains.
Carte des sièges en jeu au Sénat en 2022

(Roses : détenus par les républicains ; bleu pâle : détenus par les démocrates ; bleu foncé : détenus par les démocrates les plus vulnérables)
Or, les républicains n’ont pas besoin de plusieurs gains, un seul suffirait pour obtenir le contrôle du Sénat. Et ils ont quatre cibles de choix pour y parvenir.
État | Marge de victoire du sénateur démocrate | Marge de victoire du président Biden (2020) |
Arizona | 2,3 % | 0,3 % |
Géorgie | 2,0 % | 0,2 % |
Nevada | 2,6 % | 2,4 % |
New Hampshire | 0,2 % | 7,3 % |
Dans les quatre États, les sénateurs démocrates sortants en sont à leur premier mandat, chacun d’eux ayant arraché la victoire par moins de trois points de pourcentage lors de leur élection il y a quatre ans. Dans le cas de la sénatrice Maggie Hassan, du New Hampshire, elle n’avait gagné que par 1 017 votes. Pour ajouter au défi, l’Arizona et la Géorgie avaient tous deux donné une majorité de moins d’un point de pourcentage à Joe Biden en 2020.
Or, comme on l’a vu lors d’élections pour les postes de gouverneurs dans le New Jersey et en Virginie l’automne dernier, les démocrates ont perdu 13 et 14 points depuis l’élection présidentielle de 2020. Il suffirait donc d’une fraction de ces pertes de voix dans les quatre États défendus par les sénateurs démocrates les plus vulnérables en 2022 pour qu’ils soient emportés par une vague républicaine. Et déjà, une majorité d’électeurs des quatre États désapprouvent le travail de Biden, et aucun des quatre sénateurs démocrates n’a particulièrement réussi à se distancier de lui politiquement.
À l’inverse, sur les 21 sièges sénatoriaux défendus par des républicains cette année, un seul — en Pennsylvanie — semble prometteur pour les démocrates. D’autres pourraient faire l’objet d’une chaude lutte, mais les candidats républicains doivent actuellement être considérés comme étant favoris.
Six mois, cela peut représenter une éternité en politique. Il n’en demeure pas moins que le pronostic est implacable pour le moment : avantage républicain dans les deux chambres du Congrès.
Voici une analyse qui ne peut être plus pertinente et plus claire. Il serait surprenant en effet que le président Biden conserve sa majorité. Faut-il s’en émouvoir ? J’ai bien sorti une « couple » de mouchoirs en papier… mais les larmes ne viennent définitivement pas.
Dans un prochain article, pourriez-vous expliquer les rôles et responsabilités des gouverneurs et quelle est leur importance par rapport à la chambre des représentants et des sénateurs.
Merci
Est-ce que ces hypothèses tiennent compte du «gerrymandering» des états républicains pour limiter le droit de vote aux gens qui ont tendance à voter démocrate? Sinon, c’est une inconnue qui va certes jouer en faveur des républicains non seulement cette année mais aussi en 2024 lors de la prochaine élection présidentielle. Le mandat de Biden risque fort de se terminer à ce moment-là.
L’administration Biden et des démocrates semblent n’être qu’un «blip» dans un pays qui sombre lentement mais sûrement vers une théocratie.