

B & C Seafood Market & Cajun Restaurant est une cahute aux fruits de mer perdue dans la région des plantations, près d’un village au joli nom de Vacherie. La radio crache un rock cajun à vriller les tympans; au plafond pendouille un alligator empaillé, qui mâche une main humaine (empaillée aussi ?). C’est là que j’ai compris que mon premier voyage en Louisiane ne manquerait pas de mordant…

« Cajun Jim », cuistot chez B & C, s’apprête à ébouillanter un ballot d’écrevisses. Notant ma curiosité, il pige un de ces crustacés et me le tend avec courtoisie. Entre mes doigts, la bestiole en furie brandit ses pinces miniatures, si bien que je finis par la déposer sur ma paume. « Watch out, it’ll bite you », s’exclame le Cajun, en récupérant sa prise. Il n’ajoute rien, mais son regard hurle : « Eh, couillonne, vas-tu te laisser manger par une écrevisse ? »

Les écrevisses fument. Recroquevillées dans la mort, rouge feu. La Louisiane récolte jusqu’à 100 millions de livres d’écrevisses chaque année, élevées ou pêchées dans la nature. L’industrie fait vivre environ 7 000 personnes. En saison, les pique-niques aux crawfish sont aussi populaires que nos épluchettes de blé d’Inde !

Le chêne d’Évangéline, à St.Martinville. En 1847, le poète Henry Wadsworth Longfellow a immortalisé l’histoire de cette Acadienne arrachée à son fiancé lors de la déportation de 1755 et réunie à lui sur le lit de mort. Évangéline et Gabriel étant des personnages fictifs, les Louisianais se sont approprié leur histoire à travers les modèles « historiques » Emmeline LaBiche et Louis Arceneaux. Est-ce vraiment sous ce chêne que les amants se retrouvèrent ? Qu’importe ! Aujourd’hui, de nombreux couples vont s’y bécoter.

Ludovic Joseph Dantin est guide au Rural Life Museum, musée de la vie rurale situé à Baton Rouge. Il est né de parents pêcheurs, unilingues francophones. En classe, il se faisait taper avec une palette quand il était surpris à parler français ; la Louisiane avait interdit l’usage de cette langue dans la cour d’école en 1916… Malgré cela, Dantin n’hésite pas à recommander le bilinguisme aux jeunes. « Apprend le français, répète-t-il. Comme ça, tu auras la valeur de deux hommes, et tu pourras avoir un meilleur salaire. »

Après la corde à linge, la clôture à linge ? Cette scène a été croquée dans les environs du Rural Life Museum, à Baton Rouge. Le soleil arde si dru, là-bas, que tout finit par sécher !

Au Pont-Breaux, jolie bourgade de 7 000 têtes, se trouve un bar fantôme. Le propriétaire est mort il y a environ 30 ans, et sa veuve a fermé le local à clé. Sur les tablettes dorment encore les bouteilles de spiritueux dans leur lit de poussière. Les esprits du bayou Teche, qui coule juste à côté, viennent sûrement y noyer leur peine sur le coup de minuit…

Pas de deux chez Randol’s, à Lafayette, le plus « casher » des restaurants dansants cajuns. L’endroit constitue une halte obligatoire pour les touristes, mais les Louisianais non plus ne se font pas prier pour aller faire un p’tit tour sur le plancher de danse en bois. Rien de mieux pour faire descendre le plat d’écrevisses frits !

Trois écolières flânent au Festival international de Louisiane, fête populaire gratuite qui se tient chaque année à la fin d’avril dans le centre-ville de Lafayette. Leur t-shirt arbore un slogan qui pourrait se traduire ainsi : « Prend une pause pour Jésus. » Elles fréquentent une classe de confession religieuse. Si la plupart des Louisianais sont protestants, environ 30 % s’affichent catholiques, héritage de la fondation du pays par les Français.

Zachary Richard, le Cajun préféré des Québécois, en scène au Festival international de Louisiane, en avril dernier. Ses airs d’accordéon ravissent les francophones, mais l’artiste refuse de se laisser étiqueter « musicien cajun ». Ses admirateurs, toutefois, persistent à lui réclamer « Crawfish » et ses pièces plus traditionnelles… « Avons-nous assez d’engagement pour éviter le folklore en Louisiane ? Une élite avertie peut-elle soutenir une culture ? Ces questions ne sont pas tout à fait résolues dans ma tête », dit-il.

Juste avant Zachary, Francis Cabrel a fait vibrer le soyeux soir d’avril avec ses hits « Petite Marie » et « Je l’aime à mourir », repris en chœur par le public de Lafayette. Plus de 200 professeurs de français venus de France, de Belgique, du Québec ou d’ailleurs viennent chaque année en Louisiane enseigner leur langue natale aux écoliers. Ils y apportent leur savoir, leur accent et leur culture.

Avec une bonne vingtaine de musiciens, ce violoneux participe au jam cajun et créole du samedi après-midi à Vermilionville (un village historique, à Lafayette, qui recrée la vie des francophones louisianais aux 18e et 19e siècles). Ces « partys de cuisine » endiablés ont permis aux Cajuns de perpétuer leur grande tradition folklorique.

« Laissez les bons temps rouler ! » L’accordéoniste Tommy Michot, membre du groupe traditionnel Les frères Michot, fait swinguer un party à Vermilionville. La Louisiane produit des dynasties de musiciens comme les autres États américains, des dynasties d’industriels. Louis, le fils de Tommy, joue du violon…

Louis Michot joue du violon avec le groupe Les Ramblers du Bayou Perdu. En français, s’il-vous-plaît ! « En Louisiane, on a suivi le modèle français comme ailleurs, le modèle américain », explique-t-il avec fierté. Le Mardi gras, le boudin (saucisse à base de porc et de riz), les gratons (peaux de porc frites), la jambalaya (riz garni de légumes, viandes et fruits de mer, inspiré de la paëlla espagnole)… « Tout ça, c’est latin ! »

Ici, jadis, un homme a perdu la vie dans un accident de bateau. C’est pour lui que se dresse ce mémorial au cœur du bassin Atchafalaya, zone de marais sauvages située entre Baton Rouge et Lafayette. Les bayous étant infestés de crocodiles et de serpents, il est déconseillé de tomber dedans… Mais ils ont une beauté de charme vaudou, surtout quand, à la barre du jour, la brume grimpe aux troncs des cyprès.

Les cyprès sont les seuls arbres capables de pousser si haut sur le sol mi-terre mi-eau du sud-ouest de la Louisiane. Leur bois imputrescible attirait d’ailleurs les charpentiers. C’est pourquoi on voit souvent, dans les marécages, des champs de souches coupées juste au-dessus de l’eau… Aujourd’hui, les constructeurs préfèrent le cèdre, moins onéreux.

Non, l’aigrette blanche n’est pas l’emblème de la Louisiane. L’État lui a préféré ce balourd de pélican ! Mais sa grâce aérienne vous ravit l’âme au détour du bayou.

L’alligator fend l’eau dans un silence prédateur. Furtivement, il s’approche de notre ponton. Et CLAC ! Il ferme sa gueule… sur les morceaux poulet jetés à l’eau par notre guide. Son cuir bosselé luit au soleil, deux minutes, puis disparaît dans les marais.