Dans cet extrait de son nouvel essai publié le 24 août, Le Canada à la recherche d’une identité internationale (Les Presses de l’Université de Montréal), Jocelyn Coulon, collaborateur à L’actualité et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, explore les raisons qui expliquent la perte d’influence du Canada dans le monde.
L’âge d’or est passé et le temps où le Canada avait une identité internationale forte est révolu. Les deux défaites au Conseil de sécurité sont à cet égard révélatrices de son déclassement et de son effacement. Elles ont soulevé de nombreuses hypothèses sur leurs causes. Les analystes ont pointé du doigt la réduction de l’aide au développement, le refus de participer aux missions de paix, l’indifférence envers l’Afrique, les positions très pro-israéliennes, l’appartenance au groupe régional Europe de l’Ouest et autres pays où les candidatures européennes sont favorisées au détriment de celle du Canada. Tous ces éléments constituent quelques-unes des pièces du dossier. Je dis bien quelques-unes, car il y a plus grave à mon avis. Deux raisons plus fondamentales expliquent la marginalisation du Canada et sa défaite au Conseil : la difficulté des élites à redéfinir notre rapport au monde de l’après-guerre froide et leur incapacité à tenir compte de la géopolitique.

L’ébranlement de l’ordre international, avec la fin de la guerre froide, les attentats du 11 septembre et la montée de la Chine et d’autres puissances moyennes, aurait dû inciter la diplomatie canadienne à une profonde réflexion afin d’en comprendre les causes et d’ajuster en conséquence sa politique étrangère. Le libéral Paul Martin a tenté de le faire avec la publication en 2005 de l’Énoncé de politique internationale, où les réflexions de quatre ministères — Affaires étrangères, Défense nationale, Développement international et Commerce international — constituaient un exercice de synthèse innovateur. L’énoncé laissait tomber le côté moralisateur qui colorait la politique publiée 10 ans plus tôt et prenait toute la mesure du choc que les attentats du 11 septembre avait provoqué aux États-Unis et de ses répercussions pour le Canada. En même temps, Martin rappelait l’attachement du Canada au multilatéralisme et proposait une série de mesures pour le renforcer. Le gouvernement Martin n’a pas eu le temps de mettre en œuvre sa politique. Il est tombé en 2006 et son successeur, Stephen Harper, a pris une tout autre direction, celle de l’approfondissement des relations avec les États-Unis et de la construction d’un Canada « guerrier ». Le retour au pouvoir en 2015 des libéraux de Justin Trudeau a, de son côté, promis de réconcilier le Canada avec l’internationalisme. Mais l’opposition entre Harper et Trudeau n’était qu’apparente, car dans les faits, les libéraux se sont rapprochés des positions conservatrices. Ces allers-retours, ces hésitations entre différentes positions ont semé la confusion parmi les Canadiens ainsi qu’à l’étranger. Pire encore, ils ont paralysé la réflexion. Au cours des 15 dernières années, les représentants de nos élites politiques et une partie de nos diplomates n’ont pas voulu ou n’ont pas pu refonder une politique étrangère destinée à prendre la mesure des changements mondiaux et à affirmer un rôle et une influence pour le Canada sur la scène internationale. Un facteur accentue ce blocage intellectuel. Il a trait à la gouvernance.
Les gouvernements ont adopté un style managérial centré sur les résultats qui se prête mal à la réflexion stratégique. Les politiciens sont à la recherche de « produits » à « livrer » rapidement. La bureaucratie les conditionne et les met en œuvre pour que l’opinion publique constate l’efficacité de l’action gouvernementale. Au cœur de ce système, les preneurs de décision (fonctionnaires et politiciens) installés aux commandes de la politique étrangère sont souvent des techniciens ou des généralistes sans expérience des affaires internationales mais aptes à gérer de grandes bureaucraties.
Dernier exemple en date, la nomination en novembre 2020 d’une nouvelle sous-ministre adjointe, responsable de l’Afrique. Elle n’est pas une diplomate, n’a jamais été ambassadrice dans un pays africain et ne connaît pas ce continent. Elle a fait sa carrière au ministère de la Justice, dans quelques années elle pourrait se retrouver ailleurs dans la bureaucratie gouvernementale.
Dès lors, le débat d’idées est de moins en moins présent au sein des ministères responsables de la politique étrangère. Cela est renforcé par la décision des gouvernements de favoriser la promotion au sein de la bureaucratie des « opérateurs » au détriment des « idéateurs ». Bref, les sources intellectuelles en mesure de donner à la diplomatie relief et originalité se tarissent au point de disparaître. Sous les gouvernements Harper et Trudeau, le Canada a perdu des traits distinctifs de sa présence dans le monde entre 1945 et 2000 : sa capacité d’initiative, sa tendance à essayer l’inédit, à prendre des risques, tout ce qui a façonné dans l’après-guerre une identité facilement reconnaissable sur la scène internationale. À Ottawa, le réflexe est depuis un certain temps d’adopter les positions américaines et européennes sur les questions internationales et de ne plus penser par soi-même.
Or, l’âge d’or de la politique étrangère canadienne, les années 50 et 60 avec un rebond dans les années 90, a été caractérisé par un activisme diplomatique exceptionnel dont les effets ont été de faire du Canada un joueur sur la scène internationale. C’était une époque où diplomates et politiciens proposaient des idées, les gouvernements les adoptaient et en faisaient la promotion, et le monde s’y ralliait.
La deuxième raison qui explique le déclassement du Canada a trait à notre oubli de la géopolitique. À quelques exceptions près, il est frappant de constater l’absence d’analyse géopolitique dans les discours de politique étrangère de nos dirigeants. Les Canadiens ne comprennent pas ou ne comprennent plus le sens du mot « géopolitique », cet art d’analyser le monde à travers « la relation qui s’établit entre les facteurs de la puissance, les relations internationales et l’environnement géographique ». Il est vrai qu’ils ont la chance d’avoir la meilleure géographie du monde, entourés par trois océans qui continuent d’être une barrière naturelle face au monde même si la technologie militaire actuelle a réduit les distances entre les États. Ainsi, ils se montrent surpris, et parfois choqués, par le jeu des rapports de puissance à l’œuvre sur la scène internationale. L’incapacité, consciente ou inconsciente, à intégrer l’analyse géopolitique dans l’élaboration de la politique étrangère amène inévitablement les élites à se rabattre sur le seul autre discours qu’elles maîtrisent, celui des valeurs. Le Canada en est réduit à des imprécations vertueuses. C’est le triomphe de Disneyland sur Jurassic Park.
L’Ukraine en est un bon exemple. Depuis le renversement, en février 2014, du gouvernement pro-russe par un groupe pro-occidental, tant Harper que Trudeau ont joué la carte ukrainienne, fortement influencés par l’importante diaspora ukrainienne au Canada. Ils ont gelé les relations avec la Russie en invoquant le respect des valeurs et des normes sans peser les conséquences géopolitiques de ce geste sur l’intérêt national. Un simple coup d’œil à notre géographie rappelle la forte présence russe dans l’Arctique, une région qui fait de plus en plus l’objet des convoitises des grandes puissances, mais où le Canada peine à affirmer sa présence. Ce vaste territoire est en voie de devenir un passage très fréquenté et ne pourra être géré adéquatement qu’avec la coopération de la Russie. Mais à Ottawa, on est à ce point obsédé par les méfaits de Vladimir Poutine que Chrystia Freeland n’a rien trouvé de plus constructif à faire à propos de cette question que de placer sur le même pied la Russie et l’État islamique. Aucun de nos alliés n’a adopté une position aussi étrangère à l’intelligence des choses.
On a oublié que la défense des valeurs ne suffit pas à forger une politique étrangère. Il ne s’agit pas d’opposer morale et intérêt national, mais de reconnaître qu’un discours limité aux valeurs rétrécit le champ de l’action et masque les spécificités de chaque situation. La politique étrangère, c’est d’abord et avant tout un travail de réflexion en vue d’assurer la prospérité, la sécurité et la stabilité d’un État ainsi que la paix dans le monde. Cette exigence impose de tenir en échec d’autres idéaux et d’être préparé à la difficile nécessité du compromis et de l’adaptation, exigeant de la patience et de la discrétion.
Oh que oui! Nommer des gens à des postes importants alors qu’ils et elles ne connaissent pas grand chose au dossier est une pratique courante des libéraux. Quand j’étais au fédéral et que je me demandais quelle mouche avait piqué le PM ou le ministre pour ce genre de nominations, on me répondait qu’il fallait du «sang neuf» comme gestionnaires, des gens qui apporteraient un éclairage nouveau au dossier car ils ne le connaissaient pas ou mal et ils apprendraient sur le tas.
Pour en revenir à la diplomatie canadienne qu’on appelle politique internationale, c’est franchement pathétique et le Canada agit en vassal des ÉU et en remet pour mieux paraître auprès du boss américain. Alors que notre pays pourrait être une puissance moyenne qui vise la paix dans le monde et accepte de faire l’intermédiaire entre pays en conflit pour au moins pacifier leurs relations, le Canada en remet! Prenez la Norvège qui a quand même un bon dossier de diplomatie et a fait beaucoup d’efforts pour pacifier certains conflits intraitables comme celui entre les Palestiniens et Israël (les accords d’Oslo), le Canada pourrait faire beaucoup mieux mais préfère ne rien faire. Même chose pour les casques bleus que le Canada a à toutes fins pratiques abandonnés.