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Où en êtes-vous dans vos négociations avec le gouvernement chinois ?
— De 1959 à 1979, notre politique a été de réclamer la restauration d’un État indépendant du Tibet. Après la mort de Mao, Deng Xiaoping a fait savoir au frère aîné du dalaï-lama que si ce dernier renonçait à réclamer la pleine indépendance, les dirigeants chinois étaient prêts à discuter de la question tibétaine. Pour Deng Xiaoping, tout pouvait se régler par voie de négociations, sauf la question de l’indépendance.
Quelle a été la réponse du dalaï-lama ?
— Il a dit oui. Le Tibet pouvait demeurer dans le cadre de la Constitution de la République chinoise, à la condition que tous les articles de la Constitution pertinents à l’autonomie régionale de la nation s’appliquent à l’ensemble des Tibétains. C’était l’exigence, très simple, du dalaï-lama. On l’appelle « l’approche médiane » : pas de séparation, mais pas d’acceptation non plus de la situation présente. La Constitution chinoise accorde l’autonomie à toutes les minorités nationales ; alors, toutes les minorités tibétaines doivent être considérées comme une seule entité. Une véritable autonomie doit être accordée aux Tibétains, et cette autonomie a été très clairement définie par la loi de 1984. C’est ce que nous exigeons.
Quelle fut la réponse des Chinois ?
— De 1979 à 1984, il y eut une vingtaine de rencontres, d’échanges de délégations, mais cela n’a rien donné. La Chine n’a pas tenu la promesse faite par Deng Xiaoping. Puis, de 1984 à 2001, il n’y eut aucune communication entre le dalaï-lama et les autorités chinoises. C’était l’impasse totale. Lorsque j’ai été élu au gouvernement, en 2002, j’ai fait de la reprise des contacts avec la Chine une priorité absolue. En septembre, une première délégation envoyée par le dalaï-lama s’est rendue à Pékin, à Lhassa et dans d’autres villes tibétaines pour reprendre le dialogue. Entre 2002 et 2007, nous avons tenu six séances de pourparlers avec les Chinois. L’une d’elles a eu lieu en Suisse et les autres se sont tenues en différents endroits de Chine.
Avez-vous enregistré des progrès ?
— À la troisième séance, les Chinois n’entretenaient plus de doutes ni de suspicions sur nos intentions. À la quatrième, nous avons répondu à toutes leurs questions, de sorte que maintenant, de part et d’autre, les choses sont claires comme du cristal. Nous connaissons les préoccupations des Chinois et ils connaissent nos aspirations. Il n’y a plus aucun malentendu, les positions sont bien comprises des deux côtés.
Mais qu’est-ce qui bloque, alors ?
— Le gouvernement chinois a lancé au Tibet, en mai 2006, une grande campagne contre le dalaï-lama, le traitant de séparatiste. Les monastères et les couvents ont été frappés de mesures répressives. Tout cela a vraiment gâché le climat de nos échanges. Par conséquent, la sixième séance de pourparlers, en juin et juillet 2007, s’est déroulée dans une atmosphère très tendue. Nous sommes donc maintenant en attente de la septième séance. Nous sommes toujours prêts à parler aux Chinois.
Dans ces pourparlers, quelles sont les pierres d’achoppement ?
— Il y a d’abord la question du passé. Les Chinois insistent pour que le dalaï-lama reconnaisse que le Tibet faisait partie de la Chine. « Je suis bouddhiste, leur a répondu Sa Sainteté, je ne peux admettre un mensonge. » Personne ne peut réécrire l’histoire. Notre position est de dire : laissons l’histoire de côté, parlons de l’avenir. Et l’avenir, c’est que nous acceptons de faire partie de la Chine à la condition qu’elle nous accorde l’autonomie. L’autre point de désaccord concerne la réunification du peuple tibétain. Actuellement, la nation tibétaine est divisée en 11 parties. Selon nous, elle devrait être rassemblée sous une seule administration autonome. Les Chinois répondent que cette réunification est très difficile, voire impossible, à cause du nombre de provinces. Nous en sommes là.
Se pourrait-il que les Chinois comptent sur la disparition du dalaï-lama ?
— Des dirigeants chinois pensent que la question tibétaine va disparaître d’elle-même avec la mort du dalaï-lama. Ce ne sera pas le cas. Nos organisations vont demeurer, les gens aussi, de même que l’héritage spirituel. La question tibétaine n’est pas celle d’une seule personne, le dalaï-lama, mais la question d’une nation. Et tant que la nation se maintiendra, le combat continuera.
Quel bilan faites-vous de vos 50 années d’exil ?
— Cinquante ans, ce n’est pas long dans l’histoire d’un peuple. Les nations se construisent sur des siècles et des millénaires, et elles évoluent très lentement. Même si, au 21e siècle, les choses changent très rapidement, un système, une domination, une occupation a besoin de beaucoup de temps pour évoluer et se transformer. Le Tibet, comme nation, a une histoire qui remonte à presque 3 000 ans. Mais les 50 dernières années ont été les plus critiques pour le peuple du Tibet. Il a connu son lot de misère, de douleurs, de tortures ; un grand nombre de Tibétains ont péri des suites de l’occupation du pays par la Chine. Cette période sera donc considérée comme l’une des plus sombres de l’histoire de notre nation.
Vous ne voyez rien de positif ?
— Il faut aussi reconnaître que de nombreux miracles se sont produits. Il nous arrive d’être reconnaissants envers la République populaire de Chine, qui nous a expulsés et nous a fait connaître au monde entier. Le Tibet avait toujours vécu dans l’isolement total et les Tibétains ne connaissaient rien du reste du monde. En dépit de la tragédie que représente l’occupation du Tibet par la Chine depuis 1951, il s’ensuit que le peuple tibétain apprend à connaître le monde et que le monde, de son côté, apprend à connaître le Tibet et sa culture. On compte un millier de centres religieux tibétains dans le monde, de nombreux groupes nous appuient, et la majorité des gens épris de justice sur la planète sont de notre côté.
Mais ici, j’ai lu sur un t-shirt « La culture tibétaine se meurt »…
— D’un certain point de vue, oui, la culture tibétaine se meurt. Si vous considérez le Tibet lui-même, les gens qui vivent à l’intérieur du Tibet, c’est tout à fait vrai. Elle ne meurt pas de sa belle mort, elle a été massacrée, assassinée selon un plan systématique de la Chine. Les Chinois ont complètement changé la structure démographique du pays, et dans les grandes villes comme Lhassa, Shigatse et Chamdo, les Tibétains sont minoritaires. Ils ne peuvent survivre sans connaître le chinois. Dans les écoles, on n’enseigne pas la langue et la culture tibétaines. Et puis, la façon de se vêtir, le style de vie et le mode de penser, tout cela est en train de changer sous la pression de la majorité sur la minorité tibétaine. Il n’y a pas d’enseignants, pas de gouverne spirituelle, pas de vie religieuse — la culture tibétaine est presque éradiquée.