80 bougies et un deuxième souffle pour Joe Biden

Depuis sa candidature à l’investiture démocrate en 2020, Joe Biden porte son âge comme un handicap. Maintenant qu’il est octogénaire, ce nouveau statut pourrait plutôt lui servir de tremplin. 

Andrew Harnik / AP / La Presse Canadienne / montage : L’actualité

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Joe Biden est devenu, le 20 novembre dernier, le premier président de l’histoire américaine à franchir le cap des 80 ans alors qu’il est en fonction. Ironie du sort, malgré toutes les questions relatives à son âge, son nouveau statut d’octogénaire coïncide avec l’apparition des signes les plus évidents du ralliement de son parti pour sa candidature en 2024.

Lors des primaires de 2020, Biden avait utilisé une formulation destinée à marquer l’imaginaire collectif quand il avait déclaré qu’il serait un « président de transition », un « pont » vers la jeunesse. Une fois qu’il aurait accompli sa mission première — celle d’évincer Donald Trump de la Maison-Blanche —, il laisserait sa place à la nouvelle génération de démocrates.

De plus, pour le plus clair de ses deux premières années à la présidence, les questions — comme les doutes — se sont accumulées au sujet d’un possible second mandat. Lorsque les chefs de file démocrates étaient sommés de dire s’ils comptaient appuyer les efforts de réélection du président de leur parti — normalement un automatisme lors d’un premier mandat présidentiel —, ils faisaient tout pour éviter de se commettre.

Après que Biden eut fait savoir en septembre dernier, lors d’un entretien à l’émission 60 Minutes, qu’il avait l’intention de se représenter en 2024, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui travaille aux côtés de Biden depuis près de quatre décennies, a publiquement refusé de dire s’il pourrait compter sur son appui.

En fait, plus on s’approchait du scrutin de mi-mandat, plus la soupe semblait chaude pour les démocrates, plus la pression montait… et plus on commençait à entendre des voix démocrates émettre des réserves sur l’état de santé du président et affirmer qu’il ferait preuve d’une grande sagesse en annonçant qu’il se retirerait à la fin de son mandat actuel.

Puis les élections de mi-mandat sont arrivées. Les votes ont été dépouillés. Les démocrates ont surpris à peu près tout le monde — y compris eux-mêmes — en conservant leur majorité au Sénat, limitant énormément les pertes à la Chambre et effectuant d’importants gains dans les États.

Et le ton, tout aussi par magie, a soudainement changé.

À bien y penser…

Questionnée à nouveau, cette fois une semaine après les élections du 8 novembre, pour savoir si elle croyait que Joe Biden devrait se représenter en 2024, Nancy Pelosi avait désormais une réponse on ne peut plus claire : oui ! Affirmant avec enthousiasme qu’il avait « accompli tant de choses », Pelosi a enchaîné avec ce qui s’apparentait à un discours de campagne de réélection en faveur de Biden.

Puis, dans les jours qui ont suivi, on a eu presque le même son de cloche d’Adam Schiff et de Ro Khanna, deux autres élus démocrates de premier plan.

Et alors que Biden célébrait ses 80 ans, le bruit par rapport à l’âge du président semblait avoir été — du moins pour l’instant — relégué à l’arrière-plan dans les cercles démocrates.

Le dilemme démocrate

Si le Parti républicain devra faire face à tout un dilemme avec le retour confirmé de Donald Trump comme candidat à la présidence, le Parti démocrate n’aura pas la tâche plus facile avec les volontés exprimées par Joe Biden.

D’un côté, les stratèges les plus astucieux du parti auront compris que la performance impressionnante lors des élections de mi-mandat n’est pas la victoire de Biden. Dans les sondages menés aux urnes, le taux d’approbation de Biden gisait à un plancher de 44 %. Si le scrutin avait été un référendum sur Biden, les démocrates l’auraient perdu de façon décisive.  

Depuis des mois, l’écrasante majorité des électeurs — dont une majorité d’électeurs démocrates — ne souhaitent pas voir Biden se représenter. Et, le cas échéant, contrairement à sa campagne de 2020 largement menée de son sous-sol en invoquant les précautions prises face à la COVID–19, Biden aurait à se soumettre à un effort de longue haleine et de grande intensité susceptible de le faire mal paraître.

Si les candidats démocrates ont été en mesure de se distancier de Biden en 2022, même dans les États où il était moins populaire, il sera plus difficile pour le président de se distancier de lui-même en 2024.

D’un autre côté, Biden demeure le seul à avoir vaincu Trump, ce qui n’est pas rien, surtout devant la réelle possibilité de voir ce dernier être à nouveau investi comme candidat républicain. Et les succès démocrates de 2020 et de 2022 peuvent en dissuader plus d’un de changer de chef.

De toute façon, si Biden se retirait… qui prendrait sa place ? En principe, la question ne se pose pas : la vice-présidente, héritière naturelle du trône, serait pressentie.

Or, la vice-présidente en question ici est encore plus impopulaire que ne l’est le président. Si l’idée de remplacer Biden est d’éliminer un porte-étendard faible et vulnérable, faire le grand saut avec Kamala Harris paraît encore plus risqué.

Depuis l’entrée en fonction de la vice-présidente, le Parti républicain a adopté une approche toute simple envers celle-ci : il diffuse régulièrement des extraits de ses sorties publiques. Sans montage trompeur, sans effets spéciaux, sans narration ou musique dramatique ; seulement des extraits de la vice-présidente.

Celui où, en voyage diplomatique, elle louange « l’alliance avec la République de Corée du Nord ». Celui où elle s’esclaffe de façon inexplicable en parlant de diagrammes de Venn. Celui où, questionnée au sujet de la crise à la frontière mexicano-américaine, elle pontifie : « Il est temps pour nous de faire ce qu’on a fait, et ce temps est chaque jour. » Et ainsi de suite.

La situation est telle que, plus tôt cet automne, l’émission The Daily Show, habituellement sympathique à la cause démocrate, a diffusé une vidéo comparant Kamala Harris avec la vice-présidente fictive (interprétée par Julia Louis-Dreyfus) de la satire Veep — dont le trait comique principal est l’ineptie. Il était franchement difficile de voir la différence entre les deux.

Cette faiblesse risquerait d’inciter des rivaux démocrates à défier la première femme afro-américaine dans des primaires… et ce, dans un parti prisant la politique identitaire. Les risques de déchirement internes seraient réels.

Considérant cela, la grande tranquillité octogénaire de Joe Biden pourrait finalement avoir quelque chose de rassurant pour les démocrates.