Biden 2024 : choix ou référendum ?

En temps normal, les chances de réélection de Joe Biden seraient presque nulles. Mais le contexte n’est justement pas normal, et le suspense pour la présidentielle de 2024 demeure entier.

Andrew Harnik / AP / La Presse Canadienne

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Pendant toute la campagne présidentielle de 2020, j’ai martelé constamment un point : les élections où un président brigue un second mandat prennent l’allure d’un référendum. Si l’électorat est satisfait de la performance du président, il tend à le réélire. Autrement, il tend à le congédier. L’identité de l’adversaire joue, au mieux, un rôle secondaire.

Puis, le soir de l’élection, le 3 novembre 2020, deux données sont venues cristalliser le verdict des Américains. Chez les quelque 160 millions d’électeurs s’étant prononcés, le taux d’approbation du président sortant, Donald Trump, était de 47 %. Et Trump a obtenu exactement… 47 % du suffrage universel.

Comparaison entre le taux d’approbation et le pourcentage du suffrage universel de tous les présidents ayant brigué un second mandat à la Maison-Blanche, de 1956 à aujourd’hui. (Sources : Gallup et RealClearPolitics)

Les derniers présidents qui ont réussi leur réélection, George W. Bush et Barack Obama, sentaient tous deux la soupe chaude — polarisants, détestés par le camp adverse et divisant presque moitié-moitié les électeurs « indépendants » non affiliés à l’un des deux partis majeurs. Pendant chacune de leurs campagnes de réélection, en 2004 et 2012 respectivement, leurs porte-paroles tentaient de faire valoir que le scrutin ne serait pas un référendum (qu’ils craignaient de perdre), mais plutôt un choix entre le président et son adversaire.

Au final, Bush et Obama ont tous deux survécu en remportant 51 % du suffrage universel.

Or, le jour du vote, en 2004 et 2012, leur taux d’approbation était également le même : 50 %. Ils ont été réélus parce que le nombre d’Américains prêts à les réengager était tout juste suffisant.

Avec l’annonce officielle, mardi, de la candidature de Joe Biden en vue du scrutin de 2024, la règle s’appliquera-t-elle à nouveau ?

Ironie du sort, cela pourrait cette fois dépendre… du rival choisi par le parti adverse.

Un président impopulaire…

L’opinion des Américains sur Joe Biden est, depuis le retrait américain bâclé de l’Afghanistan à l’été 2021, sans appel : ils désapprouvent sa présidence.

Un président sortant avec un taux d’approbation de 45 % serait considéré comme sérieusement en danger. Et depuis octobre 2021 — il y a maintenant plus de 18 mois —, le taux d’approbation moyen de Biden n’a jamais même atteint le cap des 45 %.

Cela se reflète dans l’évaluation qu’en font les électeurs sur des sujets précis cruciaux pour une réélection — dans certains cas, cette évaluation est encore pire que son taux d’approbation global. Par exemple, dans le dernier sondage national Harris, 35 % des Américains jugeaient sa gestion de l’économie adéquate, 34 % approuvaient celle de l’immigration et 35 %, celle de la criminalité. Il obtient son meilleur score, 44 %, pour la gestion du coronavirus — un enjeu désormais estimé prioritaire par un total de… 0 % de l’électorat américain.

Lorsqu’une autre équipe de sondeurs a demandé aux Américains s’ils souhaitaient que Biden se représente, la réponse a été encore plus brutale : selon le dernier sondage NBC, seulement 26 % ont dit oui ; pas moins de 70 % ont dit non.

Biden doit être considéré comme négligé face à tout autre candidat républicain « normal ». Or, Trump est tout sauf ce candidat « normal ».

Résumons simplement : aucun président aussi peu populaire depuis l’avènement des sondages modernes, au milieu du XXe siècle, n’a été réélu. Tous les présidents éligibles pour un nouveau mandat depuis Richard Nixon en 1972 se sont représentés. Seulement la moitié d’entre eux ont été réélus — et les quatre défaits sur les huit au total étaient en bien meilleure posture que Biden aujourd’hui.

Cela veut-il dire que Biden est battu dès le premier jour de sa campagne de réélection ?

Pas tout à fait.

… face à un autre président encore plus impopulaire ?

L’élection de 2024 pourrait marquer l’histoire en devenant la première depuis 1912 qui oppose un président sortant à l’un de ses prédécesseurs. À l’époque, le républicain Teddy Roosevelt avait mis sa retraite sur pause pour tenter de dégommer l’homme qu’il avait pourtant désigné à peine quatre ans plus tôt comme son successeur naturel, William Howard Taft.

Roosevelt, frustré à la suite du choix, lors de la convention républicaine, de garder Taft comme porte-étendard du parti en 1912, avait lancé sa propre formation — et la division du vote républicain lors de l’élection générale avait permis au démocrate Woodrow Wilson de l’emporter dans une sorte de victoire par défaut.

Le précédent le plus récent avant 1912 remonte à 1892, quand Grover Cleveland était parvenu à devenir le premier et toujours seul président de l’histoire à être élu pour deux mandats non consécutifs, battant l’homme qui était par ce fait devenu à la fois son successeur ET son prédécesseur, Benjamin Harrison. Là aussi, on parle d’anomalie extrême — et extrêmement ancienne.

Il est loin d’être irréaliste pour Joe Biden d’espérer voir le scrutin de 2024 se transformer non seulement en choix entre lui et son prédécesseur Donald Trump, mais, compte tenu de l’espace médiatique que ce dernier continue à occuper, carrément en référendum… sur Trump lui-même !

Dans un tel affrontement, un des atouts les plus importants dont bénéficierait Biden serait le plafond d’appuis des deux candidats. Selon l’Associated Press, 41 % des Américains disent qu’ils ne voteraient jamais pour le président démocrate.

Or, 53 % affirment la même chose au sujet de son prédécesseur républicain !

Il est vrai qu’à ce stade toujours embryonnaire de la campagne, Trump est au coude-à-coude avec Biden dans le contexte d’un nouveau combat hypothétique. Il est également vrai que Biden, contrairement à l’année pandémique 2020, ne pourrait pas faire campagne de son sous-sol pendant huit mois et laisser Trump se battre seul.

Il reste qu’alors qu’il devrait être considéré comme négligé face à un autre candidat républicain, la seule présence de Trump de l’autre côté peut lui permettre d’espérer gonfler ses propres troupes.

Et ainsi convaincre suffisamment d’électeurs, parmi les millions ne voulant ni de l’un ni de l’autre à nouveau, de se boucher le nez… et de choisir la « moins pire » des deux options.

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Beau résumé de la situation.

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