Marquis McKenzie a grandi à l’ouest d’Orlando, bien loin de la magie des toboggans et des montagnes russes qui ont fait la célébrité de la ville de Floride. Cet Afro-Américain de 29 ans a été élevé dans une famille éclatée. Mère séparée du père et battue par son compagnon. Manque de repères et de perspectives : il bascule dans les gangs à l’âge de 14 ans et se retrouve derrière les barreaux deux ans plus tard pour un braquage à main armée. « Je suis sorti de prison l’année où je devais terminer mon secondaire », dit-il.
La politique ne faisait pas partie des conversations familiales, mais elle occupe désormais une grande partie de la vie de cet Américain au regard doux, papa de deux enfants. En plus de son entreprise de nettoyage, il s’occupe de l’antenne de la Florida Rights Restoration Coalition (FRRC) pour le centre de la Floride, où se trouve Orlando. Cette association fondée au début des années 2010 milite pour donner aux anciens condamnés le droit de vote. Depuis la Constitution floridienne de 1838, avoir fait l’objet d’une condamnation vous prive en effet du droit de vous rendre aux urnes dans le « Sunshine State ». « J’ai rencontré le fondateur de la FRRC, un ancien condamné appelé Desmond Meade. Je lui ai dit que je voulais récupérer mon droit d’avoir une arme à feu. Il m’a répondu que j’étais bien jeune et qu’il fallait d’abord que je retrouve mon droit de vote », se souvient Marquis McKenzie, qui s’est joint au groupe en 2014 comme simple volontaire.
En 2018, les électeurs de la Floride ont validé par référendum l’Amendement 4, qui accordait le droit de vote à cette population estimée à 1,4 million de personnes. Un an plus tard, toutefois, la législature républicaine a restreint cet élargissement historique de l’électorat en adoptant une loi qui rendait le droit de vote conditionnel au remboursement des frais liés à la peine (honoraires d’avocats, frais administratifs, amendes…). Pour près de 800 000 ex-condamnés de nouveau privés de leur droit, c’était un retour à la case départ.
« Comme le remboursement de cette dette n’est pas obligatoire, ils oublient qu’ils doivent de l’argent, relève Marquis McKenzie. Et ceux qui sortent de prison préfèrent utiliser leurs maigres moyens financiers pour se nourrir. Ce n’est pas juste de leur demander de choisir entre manger et voter. »
À sa sortie de prison, en 2011, Marquis McKenzie devait rembourser de 2 000 à 3 000 dollars, ce qu’il a fait avec l’aide de ses proches. « En moyenne, les frais dont on exige le remboursement s’élèvent à 1 100 dollars », précise-t-il. Pour certains, cependant, l’ardoise est colossale. En Floride, État pivot crucial pour remporter la Maison-Blanche, les démocrates ont bien compris l’intérêt d’un tel réservoir de votes : 800 000 électeurs, c’est huit fois la marge de voix grâce à laquelle Donald Trump a remporté l’État en 2016. De nombreuses vedettes (le musicien John Legend, le basketteur Michael Jordan…) ont donné de l’argent à l’association pour aider ces « citoyens sur le retour », comme on les surnomme, à rembourser leurs dettes. Pour sa part, l’ancien maire de New York et ex-candidat à la primaire démocrate Michael Bloomberg a recueilli 16 millions de dollars pour la cause.
« Nous sommes non partisans, indique Marquis McKenzie. Nous ne nous préoccupons pas du parti politique des gens que nous aidons. Nous voulons seulement qu’ils votent. » Les candidats qui s’affrontent pour la Maison-Blanche ne l’enthousiasment pas. « Je n’ai entendu aucun des deux camps faire des propositions pour aider les citoyens sur le retour à mener une vie décente. »