Ce que Joe Biden vient faire au Canada

L’attente a été longue avant qu’un président américain daigne faire une visite officielle à Ottawa depuis celle de Barack Obama en juin 2016. Pourvu que ça ne se termine pas par un retentissant « Viva la Canada »… 

Adrian Wyld / La Presse Canadienne

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

«Je me sens vraiment entre amis. »

Ainsi a débuté — en français, SVP ! — l’allocution de John F. Kennedy au Parlement du Canada, premier pays que le nouveau président a visité au printemps 1961, comme le voulait la tradition diplomatique depuis des générations.

Cette tradition a été rompue par Donald Trump, qui a fait de l’Arabie saoudite sa première escale en 2017 et qui ne s’est rendu au Canada qu’une fois, un an plus tard, pour le bordélique sommet du G7 dans Charlevoix. Joe Biden aura attendu à son tour plus de deux ans avant de faire sa première visite.

Reste que lorsqu’il sera à Ottawa les 23 et 24 mars, il y a fort à parier que tout sera fait pour que Biden sente ce que Kennedy avait exprimé il y a toutes ces années.

La rencontre sera d’abord une formalité — elle servira à réaffirmer cordialement ce qui demeure une extraordinaire amitié et de profonds liens entre voisins partageant la plus importante frontière terrestre au monde.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y aura aucun enjeu à discuter ou point de tension à aborder. Il y en aura — à commencer par la frontière.

La migration sud-nord

Le premier ministre Justin Trudeau est sous pression pour obtenir de Joe Biden des engagements au sujet du flux migratoire irrégulier entre le Canada et les États-Unis, notamment via le chemin Roxham.

Les autorités canadiennes font face à trois défis. Premièrement, parvenir à convaincre l’administration américaine de s’intéresser à sa frontière nord, alors que la crise à sa frontière sud est infiniment plus grave.

Le premier ministre François Legault fait valoir que c’est un problème pour le Québec d’avoir dû accueillir 40 000 demandeurs d’asile au cours des 12 derniers mois. Il s’agit toutefois du nombre déclaré par les services frontaliers américains pour une seule petite région du Texas, celle de Del Rio… en un mois.

Deuxièmement, la situation du côté américain ne concerne pas seulement l’administration Biden. Au début de février, le New York Post a révélé que le maire de New York aidait à envoyer des migrants par autocar à la frontière canadienne. Nombre de ces migrants s’y retrouvent justement parce qu’ils ont été déplacés à la demande des gouverneurs d’États du Sud et de l’Ouest, notamment le Texas et la Floride.

On assiste ainsi à une triste et complexe dynamique, mettant en cause différents ordres de gouvernement, dans laquelle ces derniers s’échangent des humains comme des patates chaudes, au bénéfice de passeurs peu scrupuleux.

Troisièmement, lorsqu’il est question précisément de l’Entente sur les tiers pays sûrs, c’est à fois la nature du problème et le rapport de force qui sont asymétriques. D’un côté, c’est surtout le Canada qui souhaite renégocier l’entente ; et de l’autre, ce sont les États-Unis qui profitent de l’effet de levier dans toute négociation majeure entre les deux pays. Le lien de dépendance — économique, commerciale, sécuritaire — est, après tout, asymétrique lui aussi.

Haïti

Justin Trudeau recevra Joe Biden avec des demandes précises qui risquent de rester lettre morte, mais l’inverse est également vrai. Le président américain aura des attentes envers le Canada, et le gouvernement Trudeau n’est pas près de les satisfaire — notamment au sujet d’Haïti.

Washington entretient depuis des mois le désir et l’espoir que le Canada mène une mission multilatérale d’aide à la perle des Antilles, à nouveau rongée par la violence et l’instabilité politique. C’est l’équivalent de tenter de refiler au petit cousin une tâche ingrate, voire impossible.

Il est vrai que les États-Unis traînent un passé d’interventions en Haïti pour le moins controversé, qui en fait un acteur presque indésirable pour les Haïtiens. Reste que tout pays qui assumera la conduite d’une mission internationale le fera avec les risques inhérents, dont des pertes de vies parmi ses troupes, sans garantie de succès.

Unité globale

Malgré ces différends, il y aura au final plus de facteurs d’union que de division entre les deux chefs d’État et de gouvernement. À commencer par le désir mutuel de voir l’autre rester au pouvoir dans son pays après les prochaines élections.

Biden doit déjà composer avec un parti âprement divisé sur les questions énergétiques entre une base environnementaliste et un centre de l’échiquier politique soucieux des prix de l’énergie. La possibilité d’un prochain gouvernement conservateur à Ottawa faisant pression pour l’approbation de projets pétroliers lui est peu emballante. Pour Justin Trudeau, l’idée d’un retour aux années Trump… ravive des souvenirs avec un enthousiasme à l’avenant.

Dans ce contexte, les équipes du président et du premier ministre voudront mettre l’accent sur la coopération économique (malgré des doléances au sujet de mesures protectionnistes de part et d’autre), la transition énergétique (malgré le positionnement souvent inconfortable des deux chefs de gouvernement sur le sujet), et la coopération face aux autocraties (malgré la volonté qu’aura Biden de ne pas embarrasser Trudeau chez lui sur la question de la Chine).

Espérons seulement que si Biden désire souligner l’hospitalité de ses amis canadiens comme John F. Kennedy l’a fait il y a 62 ans, il aura quelque peu travaillé son français. Car à sa dernière visite à Ottawa en décembre 2016, alors qu’il était vice-président, Biden avait limité ses propos dans la langue de Molière à ceci : « Viva la Canada ».

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Il me semble que la préoccupation de l’heure, pour le Canada, est le « Buy USA. » de Joe Biden. Je ne comprend pas pourquoi vous n’avez pas abordé cette question.

Les entrées illégales à Roxham est une autre préoccupation du Canada. Vous avez touché la question en nous expliquant la position de l’heure du gouvernement Trudeau, a savoir que le Canada ne peut rien faire tant que les Américains ne veuillent pas renégocier l’entente. Or, l’entente actuelle est très claire – notre voisin n’est pas un pays hostile pour les immigrés qui transitent par le chemin Roxham. Le Canada n’a donc pas l’obligation de les accueillir. Ces immigrés ne font que sauter la ligne devant les haîtiens qui tentent d’entrer au Canada par les voies officielles. De plus, la continuation de ces entrées illégaux va éventuellement gruger sur l’attitude positive manifestée couramment par la population canadienne envers les nouveaux arrivants. L’accueil de personnes d’une culture autre que la nôtre a suffisamment d’embûches – on n’a pas à lui ajouter des difficultés additionnelles.

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