Ces candidats présidentiels qui ne veulent pas être président

Pourquoi déposer sa candidature pour un scrutin perdu d’avance ? Parce que ça rapporte en démocratie américaine.

lucky-photographer / Getty Images ; montage : L’actualité

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Sauf surprise, l’arrivée du mois de juin amènera les derniers politiciens envisageant toujours une campagne présidentielle à se lancer dans la course. Autrement dit, c’est en juin que l’on devrait être fixé pour ce qui est de la liste définitive des aspirants à la Maison-Blanche en 2024.

Bien sûr, au final, un seul de ces candidats sera élu.

Or, ce qui est également vrai, c’est que la grande majorité d’entre eux n’ont à peu près aucune chance de l’être — et semblent souvent en être parfaitement conscients.

Du côté démocrate, les candidatures de Robert Kennedy Jr. et de Marianne Williamson se veulent un affront à l’establishment du parti, qui les a tuées dans l’œuf notamment en empêchant la tenue de débats, même si Kennedy avoisine les 20 % d’appuis face au président Biden.

La situation est plus remarquable dans la course républicaine, qui pourrait voir son nombre de participants gonfler rapidement. Aux candidats déjà en lice pourraient s’ajouter pas moins de quatre gouverneurs (anciens ou actuels), dont Chris Christie du New Jersey, Chris Sununu du New Hampshire, Doug Burgum du Dakota du Nord et Glenn Youngkin de la Virginie, en plus de l’ex-vice-président Mike Pence.

Tel que noté dans un article de fond du New York Times la semaine dernière, il s’agit là, bien sûr, du scénario rêvé par le meneur de la course, Donald Trump. Comme lors de sa première campagne à l’investiture républicaine, en 2016, Trump peut espérer bénéficier de la division des voix lui étant résistantes.

Cette dynamique est particulièrement importante au sein du Parti républicain. En effet, contrairement au Parti démocrate, le GOP récompense disproportionnellement, dans le cadre de ses élections primaires, le candidat qui termine premier, peu importe l’ampleur de sa victoire ou le fait qu’il détienne ou non la majorité absolue des voix.

Rappelons qu’en 2016, pas moins d’une trentaine d’États ont voté dans le cadre des primaires républicaines avant que Trump en gagne un seul avec plus de 50 % du suffrage — et pourtant, il jouissait déjà alors d’une avance quasi insurmontable dans la course à l’investiture.  

Une mécanique semblable pourrait se répéter en 2024. À au moins une nuance près : en 2016, plusieurs candidats, en particulier Ted Cruz et Marco Rubio, se disputaient sérieusement la position de solution de rechange principale à Trump, alors que cette fois-ci, personne pour l’instant ne fait même le poids à ce chapitre devant le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis.

Dans le dernier sondage national de l’Université Quinnipiac mené auprès des électeurs républicains, outre Trump et DeSantis, une seule autre personne dépassait le cap des 2 % d’appuis : l’ex-gouverneure Nikki Haley, qui récoltait 3 %.

Les principes électoraux les plus élémentaires dicteraient à Haley et compagnie d’attaquer sans relâche le meneur dans l’espoir de l’affaiblir suffisamment pour éventuellement le devancer, aussi improbable cela soit-il.

Or, ce n’est pas ce que font Haley et la plupart de ces candidats. En fait, lorsqu’ils s’en prennent à un autre républicain, c’est la plupart du temps à… Ron DeSantis.

Comment cela s’explique-t-il donc ? Résumons simplement : pour plusieurs, une campagne présidentielle n’est pas une voie vers la présidence… mais une monnaie d’échange pour une autre promotion professionnelle.

Ainsi, si Trump consolide son avance et redevient le porte-étendard du parti, tous s’attendent à ce qu’il opte pour un nouveau colistier. Après avoir vu son ex-patron appuyer tacitement sa pendaison au Capitole en janvier 2021, Mike Pence lui-même ne doit pas vraiment espérer une nouvelle invitation à former un tandem avec lui. Et quelle meilleure façon de rehausser son profil politique et devenir une sélection vice-présidentielle attirante pour Trump que par une campagne présidentielle polie et léchée au préalable ?

À la vice-présidence s’ajoutent différents autres postes au sein du cabinet. N’est-ce pas après avoir mené une campagne présidentielle remarquée pour l’investiture démocrate en 2020 que Pete Buttigieg, dont le C.V. était a priori plutôt limité, s’est fait nommer secrétaire aux Transports par le président Biden ? Pour plusieurs, l’idée de passer par exemple d’un poste d’anonyme gouverneur à procureur général des États-Unis est un saut de géant.

Et même si aucune nomination présidentielle n’en découle, une campagne présidentielle bien jouée peut rapporter, et parfois gros.

Au moment de devenir candidat en 2008, Mike Huckabee était ex-gouverneur d’un petit État du Sud (l’Arkansas). Après quelques phrases bien ficelées dans des débats télévisés et une performance modeste lors des primaires, il s’est vu offrir un poste au réseau Fox News et a reçu de nombreuses invitations à titre de conférencier à l’échelle du pays. Quelques années plus tard, il déclarait des revenus annuels de 4 millions de dollars.

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En regardant de son bureau de Mar-a-Lago l’annonce de la candidature du sénateur républicain Tim Scott, Donald Trump aurait dit à ses conseillers : « Je l’aime. On va dire seulement des choses gentilles au sujet de Tim. »

Et pourquoi pas ? Trump sait bien que Scott n’est pas une menace pour lui — et, qui plus est, Scott le sait probablement tout aussi bien.

Dans la plus importante démocratie de la planète, presque tout se marchande — y compris une campagne présidentielle.