Ces évangéliques qui murmurent à l’oreille du président

Le dernier livre d’un professeur de Concordia lève le voile sur les appuis dont jouit Donald Trump parmi les évangéliques charismatiques, qui le voient comme l’élu de Dieu. Extrait choisi.

Des chefs religieux prient avec le président Donald Trump dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, le 1er septembre 2017 (Photo : AP/Evan Vucci)

Près de 81 % des chrétiens évangéliques blancs dits « nés de nouveau » ont donné leur appui à Donald Trump lors de l’élection de 2016. Sachant l’importance de l’élection du 3 novembre prochain, André Gagné, professeur titulaire de théologie à l’Université Concordia de Montréal, a choisi de se pencher sur l’influence de certains de ces groupes religieux et de leurs idées sur les politiques adoptées par l’administration Trump. 

Dans Ces évangéliques derrière Trump, il explique ainsi ce qui rapproche les évangéliques charismatiques du président américain et la manière dont ils ont mis en œuvre une méthode d’influence très élaborée. Une véritable stratégie de conquête visant à asseoir leur ascendant sur la société, qui repose sur trois idées principales : hégémonie, démonologie et fin du monde. 

L’actualité vous propose un extrait exclusif de cet ouvrage.

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Lors de la rencontre de la coalition des « évangéliques pour Trump » à Miami le 3 janvier 2020, « l’apôtre » Guillermo Maldonado demande à Dieu que le président puisse accomplir son mandat en tant que « Cyrus », pour que tous reconnaissent que la nation étatsunienne est la plus grandiose de toute la terre . Mais qui est donc « Cyrus », et d’où vient l’idée que Donald J. Trump serait comparable à cette figure biblique ?

Quelques mois avant l’élection du candidat Trump à la présidence des États-Unis en 2016, Lance Wallnau publie God’s Chaos Candidate : Donald J. Trump and the American Unraveling [« Le candidat divin du chaos : Donald J. Trump et le dénouement de l’Amérique »]. Wallnau est un entrepreneur chrétien associé à la branche charismatique de l’évangélisme américain. Sur son site Internet, il est présenté ainsi :

… un stratège, futuriste et communicateur convaincant qui a partagé la scène avec Ben Carson, Mike Pompeo et des auteurs à succès tels Ken Blanchard et John Maxwell. Il a offert une formation aux Nations Unies et a prononcé des discours à Harvard, à l’Académie chinoise des sciences sociales et à la London School of Theology. Avec trente ans d’expérience comme conseiller pour des organismes à but non lucratif, Lance compte parmi ses étudiants des représentants gouvernementaux, des PDG, des artistes et des entrepreneurs à travers le monde. 

Wallnau s’y montre d’abord en compagnie de deux politiciens républicains, tous deux membres de l’actuelle administration Trump : Ben Carson, un neurochirurgien pédiatrique à la retraite qui s’est présenté comme candidat républicain à la présidence des États-Unis en 2016, et qui est maintenant secrétaire au Logement et du développement urbain et Mike Pompeo, l’actuel secrétaire d’État américain, donc chargé des affaires étrangères. Wallnau mentionne ensuite Blanchard et Maxwell, deux auteurs américains, consultants d’entreprises et spécialistes en formation et développement du leadership. Cette brève notice biographique témoigne du fait que l’entrepreneur chrétien se targue de côtoyer les puissants de ce monde, et de les influencer.

C’est lors de ses études en tant que jeune adulte, au Valley Forge Military Academy and College en Pennsylvanie, que Wallnau dit avoir vécu une expérience de conversion. Après l’obtention de son diplôme en 1973, Wallnau s’inscrit à l’Oral Roberts University (ORU) dans l’Oklahoma . À la suite d’une discussion avec un étudiant en théologie, Wallnau réalise que l’expérience de conversion vécue à l’académie militaire fut celle d’une « nouvelle naissance ». L’expression « nouvelle naissance » ou « être né de nouveau » est la manière courante chez les évangéliques pour parler de l’expérience de conversion menant au salut. 

Cela représente un nouveau départ, où un individu laisse derrière lui sa vie passée pour vouer une dévotion au Christ. Peu de temps après, Wallnau fut baptisé d’eau et de l’Esprit saint. Certains groupes chrétiens demandent à ce que leurs membres soient baptisés dans l’eau après avoir fait une profession de foi au Christ. Ils disent vouloir obéir au commandement du Christ en Matthieu 28,19 qui enjoint ses disciples à baptiser les nouveaux croyants.

Il affirme avoir obtenu une maîtrise à la Southwestern Christian University, où il sera chargé d’enseignement pendant quelque temps, et ensuite un doctorat ministériel — l’équivalent d’un diplôme d’études supérieures en pastorat — à la Phoenix University of Theology . Pendant vingt ans, Wallnau est successivement pasteur et entrepreneur dans l’industrie pétrolière. Depuis l’an 2000, il se consacre pleinement, en tant que « consultant », au monde des affaires, ayant la conviction qu’il s’agit de l’endroit où Dieu l’appelle à œuvrer.

Wallnau sera le premier à promouvoir l’idée que Trump est l’élu de Dieu à l’instar du roi de Perse Cyrus le Grand. Wallnau aurait même prédit la victoire du président américain six mois avant son arrivée au pouvoir. Il raconte comment Dieu lui aurait « révélé » que Trump serait un « boulet de démolition » contre l’esprit du « politiquement correct ». Dieu aurait aussi confié à Wallnau que la référence biblique d’Ésaïe 45 correspond de façon providentielle à la mission de Donald Trump en tant que 45e président des États-Unis : ce chapitre de la Bible concerne la mission du roi perse Cyrus ; Donald Trump serait l’incarnation contemporaine de cette figure biblique.

4428 Je dis de Cyrus : Il est mon berger, et il accomplira toute ma volonté ; il dira de Jérusalem : Qu’elle soit rebâtie ! Et du temple : Qu’il soit fondé !

451 Ainsi parle l’Éternel à son oint, à Cyrus, qu’il tient par la main, pour terrasser les nations devant lui, et pour relâcher la ceinture des rois, pour lui ouvrir les portes, afin qu’elles ne soient plus fermées ; je marcherai devant toi, j’aplanirai les chemins montueux, je romprai les portes d’airain, et je briserai les verrous de fer. Je te donnerai des trésors cachés, des richesses enfouies, afin que tu saches que je suis l’Éternel qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël. Pour l’amour de mon serviteur, Jacob, et d’Israël, mon élu, je t’ai appelé par ton nom,  je t’ai parlé avec bienveillance, avant que tu me connaisses… C’est moi qui ai suscité Cyrus dans ma justice, et j’aplanirai toutes ses voies ; il rebâtira ma ville, et libérera mes captifs, sans rançon ni présents, dit l’Éternel des armées.

Ésaïe 44,28;45,1-4.13

Bien que Cyrus fut un roi païen, il n’en fut pas moins désigné comme « messie du Seigneur », c’est‐à-dire l’oint de Dieu. De même, les soutiens évangéliques de Trump ne rechignent pas à faire de lui « l’élu de Dieu ». Le président américain n’a d’ailleurs aucune réticence à s’approprier ce titre. Lors d’une conférence de presse le 21 août 2019 pour défendre sa guerre commerciale contre la Chine, il s’est présenté comme « l’élu » [the chosen one], une manière de se désigner que n’ont pas manqué de relever les médias généralistes.

Nul besoin d’être un exemple parfait de charité et de moralité chrétiennes pour être « l’élu de Dieu ». Pour ces charismatiques qui soutiennent Trump, Dieu peut se servir d’individus imparfaits, et Cyrus en est un exemple. Ce roi perse envahit Babylone en 539 avant notre ère, libère les Juifs, et leur offre de généreuses donations afin qu’ils puissent reconstruire leur temple à Jérusalem. Même s’il est loué par le prophète Ésaïe comme étant le « berger » libérateur du peuple de Dieu, Cyrus demeure un roi païen qui honore les dieux Mardouk (Babylonie), Baal (Phénicie) et Mazda (Perse). Le roi Cyrus, tout comme Trump, était donc riche, puissant et païen — rien à voir avec un dévot.

Dans le meilleur des cas, Trump est qualifié de « nouveau chrétien » ou encore de « bébé dans la foi », comme le disait en 2016 James Dobson, psychologue chrétien et dirigeant influent du monde évangélique. C’est pourquoi ces « évangéliques pour Trump » ne sont pas contrariés ni scandalisés par les propos et les actions du président américain.

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Ces évangéliques derrière Trump, par André Gagné, Labor et Fides, 170 p.

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Quel hypocrisie!
Mettre de côté des valeurs et ses principes pour pouvoir imposer ses vues et croyances sur une société. Voilà pourquoi la religion et la gestion de l’état doivent absolument être séparés.

La liberté de religions est impérative, mais en aucun cas, celles-ci ne doivent pouvoir imposées leurs croyances et pratiques sur les autres, croyants ou pas.

« Acheter » les législateurs et par ricochet influencer les lois sur la société est exactement contraire à ce principe de base.

J’ai toujours pensé que les leaders des chrétiens fondamentalistes voient très bien que Trump est un homme parfaitement amoral mais qu’ils s’en fichent : ils le considèrent comme l’arme suprême qui brisera ce qu’ils considèrent comme la mainmise indue de la science sur la société puis d’imposer à celle-ci leur vision théiste. Nous avions cru qu’en Occident, la science avait définitivement battu la religion, c’était une illusion, cette guerre n’est pas terminée.

Qu’attends l’Eglise catholique pour dénoncer ces faux prophètes dénoncés par le Christ et qui s’enrichissent sur le dos des pauvres gens?