Comprendre le côté téflon de Donald Trump

Les accusations sont graves. L’acte dans lequel elles sont contenues est convaincant. Et pourtant, de nombreux électeurs américains n’en ont cure. Leur chef est une victime. Pas un criminel.

Mary Altaffer / AP / La Presse Canadienne

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Donald Trump est devenu en avril dernier le premier président des États-Unis à être inculpé dans une cause criminelle. À peine deux mois plus tard, il ajoute une nouvelle inscription dans les livres d’histoire en devenant le premier à être inculpé dans deux causes criminelles.

Cette fois-ci, c’est la saga des documents secrets gardés — et cachés — à Mar-a-Lago, sa célèbre résidence en Floride, qui lui a valu une reconnaissance historique.

Cette affaire semble à première vue nettement plus grave sur le fond que la première où il a été accusé, concernant ses paiements à l’actrice porno Stormy Daniels. Et cette gravité, combinée à la nature apparemment accablante des preuves exposées dans l’acte d’inculpation, pourrait laisser croire que le 45e président est cuit en vue de l’élection de l’an prochain.

Mais affirmer une telle chose exprimerait une profonde incompréhension de l’électorat républicain.

L’incidence de la confiance brisée

Cela fait des dizaines d’années que les politologues américains documentent le niveau de crédibilité de diverses sources d’information auprès de l’électorat américain.

Dit simplement, c’est une chose d’annoncer une nouvelle, mais c’en est une autre de considérer par qui elle arrive. L’important n’est pas de savoir si l’information est vraie ou si elle est grave, mais plutôt si la personne qui apprend la nouvelle a confiance en la source.

C’est justement là que le bât blesse quand vient le temps de convaincre une masse critique d’électeurs républicains de larguer Trump à la suite des accusations portées contre lui. Et elles ne sont pas bénignes. On lui reproche entre autres d’avoir contrevenu à la loi sur l’espionnage en conservant en sa possession illégalement des documents hautement sensibles (comme certains au sujet d’une éventuelle attaque contre l’Iran), d’avoir conspiré et d’avoir entravé la justice.

Mais qui dépose ces accusations ? Le gouvernement fédéral mené par Joe Biden. Qui les présente de manière alarmante et dramatique ? Les grands médias traditionnels. Qui les récupère politiquement ? Certains des adversaires les plus connus de Donald Trump. À commencer par son ex-rivale Hillary Clinton, qui l’a nargué de façon remarquée sur Twitter moins de 24 heures après que la nouvelle de l’inculpation ne fut tombée.

Depuis l’administration Eisenhower, au milieu du XXe siècle, les sondeurs ont mesuré le niveau de confiance du public envers le gouvernement américain. Quand le démocrate Lyndon Johnson était président et que son parti contrôlait confortablement les deux chambres du Congrès dans les années 1960, près des trois quarts des républicains disaient avoir confiance en l’État fédéral malgré tout. Ils ne sont plus que 9 % sous Biden. Et ce n’est pas que le gouvernement fédéral qui écope : selon Gallup, à peine 5 % des électeurs républicains affirment avoir grandement confiance aux journaux, et 8 % aux nouvelles télévisées. Lorsqu’il est question du système de justice, le niveau monte à… 10 %.

Pendant ce temps, trois électeurs républicains sur quatre continuent à avoir une opinion positive de Donald Trump. Ainsi, ce qu’ils voient ces jours-ci, c’est le département de la Justice qui « passe les menottes » à leur dernier candidat présidentiel tout en ayant refusé d’inculper sa rivale de 2016, Hillary Clinton (après avoir hébergé des informations d’État dans un serveur privé et gardé des documents gouvernementaux secrets, elle les a fait détruire lorsqu’ils ont fait l’objet d’une citation à comparaître de la part du Congrès américain).

Ce qu’ils voient aussi, c’est le leader de leur parti qui a été présenté comme un agent russe conspirant avec Vladimir Poutine pour se faire élire — une affirmation répétée ad nauseam alors qu’elle n’avait pas de fondement crédible, selon le rapport Durham. D’ailleurs, ce dernier a beaucoup plus été cité dans les médias conservateurs que dans les médias plus traditionnels. Certaines des voix ayant fait mousser les allégations de conspiration avec Poutine sont les mêmes à soutenir aujourd’hui que Trump aurait conspiré contre le gouvernement américain en gardant avec lui des documents à sa résidence de Floride.

Sur le fond, ce qui est allégué dans la cause de Mar-a-Lago peut être entièrement vrai — et, si tel est le cas, cela semble indéfendable. Dans les mots de son propre ex-procureur général William Barr, si Donald Trump a commis ne serait-ce que la moitié de ce dont il est accusé ici, « il est cuit », justement.

Or, il s’agit d’un point de vue légaliste. Car politiquement, Trump peut sans doute mieux jouer la carte de la « justice à deux vitesses » auprès de la base républicaine avec cette cause qu’avec n’importe quelle autre.

Après tout, Hillary Clinton n’a jamais payé une actrice porno pour acheter son silence, pas plus qu’elle n’a tenté de faire annuler des résultats électoraux en intimidant des élus ou en menant une insurrection au Capitole. Mais cacher des documents secrets et refuser de coopérer avec des enquêteurs après coup, cela, oui — et elle n’a pas été inculpée même si elle a commis ces gestes.

Certes, des différences importantes existent entre les deux situations. Mais pour Trump, l’argument est facile : il n’a pas à défendre sa propre conduite s’il peut surfer sur l’antipathie générale des républicains à l’endroit des institutions qui l’accusent aujourd’hui.

Les réactions révélatrices

L’indication la plus claire du péril limité auquel Trump doit faire face dans le Parti républicain réside dans la réaction de la quasi-totalité de ses adversaires à l’investiture. À tour de rôle, ils ont défilé pour venir à sa défense. Comme quoi ils sont conscients d’où loge la base du parti.

Même auprès de l’ensemble de l’électorat, la bataille est loin d’être gagnée pour les critiques de Trump. Dans la foulée de l’inculpation, les sondeurs du réseau CBS ont demandé aux Américains ce qu’ils craignaient le plus : que la sécurité nationale ait été mise en danger par les agissements de Trump avec les documents secrets, ou que les accusations portées contre lui soient de nature politique.

Le résultat : égalité parfaite à 38 %, avec le reste (environ le quart) des électeurs se disant incertains.

Ce même résultat est, soit dit en passant, remarquablement semblable à celui observé plus tôt au printemps dans la foulée de la première inculpation de Trump, dans la saga Stormy Daniels.

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Évidemment, Donald Trump aura certainement eu son rôle à jouer pour ce qui est de saper la confiance envers les institutions.

Reste que le lien de confiance avait été rompu bien avant que le milliardaire ne descende l’escalier roulant de la Trump Tower à pareille date il y a maintenant huit ans, pour lancer sa première candidature à l’investiture républicaine.

Trump a su exploiter cette dynamique comme il a su l’alimenter pour arriver à ses fins — et il parvient toujours à le faire aujourd’hui.

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Je me questionne si le lien de confiance aurait été aussi peu solide si Fox News n’avait pas existé. Ils ont été banni du Royaume-Uni et ne sont pas bienvenue en Nouvelle-Zélande, parce qu’ils s’en tiennent rarement aux faits. Ce réseau cultive la division entre Américains et fait des tonnes de profits sur leur dos.