L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
«De deux maux, il faut choisir le moindre », disait Aristote.
La faillite de la First Republic Bank (FRB) survenue le 1er mai rappelle qu’à devoir choisir entre un taux d’inflation élevé qui se maintient et une crise financière comme en 2008, les autorités monétaires américaines opteront presque assurément pour le premier choix.
Les choses méritent d’abord d’être nuancées. Une banque en faillite n’est jamais une bonne nouvelle, mais la FRB n’est qu’une institution financière parmi 4 000 autres en activité aux États-Unis, où le secteur est nettement moins consolidé qu’il l’est au Canada ou en Europe.
Cela dit, elle n’est pas la seule dans sa situation en 2023. En l’ajoutant aux faillites récentes de deux autres institutions financières, celles de la Silicon Valley Bank (SVB) et de la Signature Bank, on a maintenant assisté, depuis le début de l’année 2023, à trois des quatre plus importantes faillites bancaires de l’histoire des États-Unis. Rien de moins, et ce n’est pas un hasard.
Malgré les tentatives de récupération partisane — les démocrates attribuant la débâcle de la SVB au manque de réglementation, les républicains au fait qu’elle était une banque « woke » —, ces faillites ont une seule véritable cause, et elle a peu à voir avec les raisons avancées.
Ces faillites sont uniquement le fruit de la politique monétaire de la Réserve fédérale (l’équivalent de la Banque du Canada), une politique applaudie par les deux partis à Washington.
Lorsque vous abaissez et maintenez artificiellement les taux d’intérêt à près de zéro pendant des années, tôt ou tard, des choses éclateront quand vous serez contraint de les rehausser.
Dans le cas de la SVB, il s’agissait d’obligations dont la valeur a chuté de façon importante et soudaine, ce qui a rendu la banque insolvable. Dans celui de la First Republic Bank, c’était les incitations perverses créées pour octroyer des prêts gigantesques avec des remboursements risibles.
Seulement dans les marchés de New York, Los Angeles et San Francisco, FRB a accordé en 2020-2021, lors du creux absolu des taux d’intérêt, 20 milliards de dollars en prêts hypothécaires, pour lesquels aucun remboursement de capital n’était exigé pour la première décennie du prêt. Ainsi, un particulier pouvait contracter une hypothèque de plus de 5 ou 10 millions de dollars pour une résidence, et n’avait pas à rembourser un seul sou de capital pour les 10 premières années.
Certes, l’emprunteur a ici sa partie de blâme, tout comme l’institution lui ayant prêté les fonds. Cela dit, tous deux opéraient dans des paramètres monétaires qui non seulement toléraient ce genre de comportement, mais l’encourageaient.
Lors de la débâcle financière de 2008, au moment où l’ampleur des prêts irresponsables des banques et autres institutions commençait à être connue, le président de l’époque, George W. Bush, avait déclaré de façon mémorable que « Wall Street s’[était] saoulée et [souffrait] maintenant d’un lendemain de veille ».
La question trop peu souvent posée, pour garder la même analogie, était de savoir qui en premier lieu avait apporté tout cet alcool à la fête.
La réponse était alors la même qu’aujourd’hui : la Fed.
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La bonne nouvelle est qu’une crise financière de l’envergure de celle de 2008 a pour l’instant été évitée, et que les autorités américaines semblent déterminées à en prévenir une autre.
Ce n’est pas un hasard si les autorités fédérales et les institutions financières plus importantes que celles qui ont chuté collaborent pour tenter d’éviter une contagion. Le rachat rapide de la FRB par JPMorgan, facilité par le gouvernement américain, en est un exemple patent.
Il y a bien sûr une incitation financière à agir. Et il y a aussi une incitation fondamentalement électorale pour l’administration Biden. Depuis le début du XIXe siècle, chaque crise financière à l’exception d’une s’est accompagnée d’une défaite du parti aux commandes de la Maison-Blanche lors de l’élection présidentielle suivante. Cela inclut celle de 2008, que le candidat républicain John McCain menait jusqu’à la faillite-choc de Lehman Brothers, huit semaines avant le scrutin. Le candidat de rechange, un jeune sénateur démocrate nommé Barack Obama, s’est subséquemment emparé d’une avance qu’il a maintenue.
Autrement dit, si l’électorat pardonne difficilement une récession, il le fait encore moins avec une crise financière. Ainsi, l’inflation peut faire mal politiquement à Joe Biden, mais le spectre d’un poison pire encore rendrait la hausse des prix à la consommation soudainement plus tolérable qu’une répétition de la grande récession de 2008.
Chaque nouvelle hausse de taux d’intérêt, surtout si elle est maintenue dans le temps, menace de faire éclater de plus en plus de choses dans l’économie américaine, notamment dans le secteur bancaire ; une hausse suffisamment importante pour réellement juguler l’inflation et la ramener à court terme dans la fourchette cible de 2 % semble moins que probable.
Les économistes de la Fed ne sont pas tant « frileux » depuis la faillite de la SVB. C’est plutôt que, même si la banque centrale est en théorie une institution indépendante, la pression par le politique pour qu’elle retire le pied de la pédale risque de devenir insoutenable.
Au final, la Fed demeure coincée où elle est depuis maintenant plus d’un an, soit entre l’arbre et l’écorce : entre un niveau d’inflation et un niveau d’endettement — public et privé — trop élevés. Et elle aura sans doute à lever son pied avant que l’inflation ait réellement pu être maîtrisée.
Au printemps 2022, la secrétaire du Trésor, Janet Yellen, avait affirmé dans un témoignage devant le Congrès qu’elle s’attendait à ce que l’inflation redescende sous la barre des 2 % d’ici la fin de l’année 2022.
Il y avait là des échos du président Bush qui, six semaines après l’invasion de l’Irak, avait déclaré la fin des opérations militaires majeures devant une bannière géante sur laquelle il était inscrit : « Mission accomplie ». Les États-Unis y sont officiellement restés huit ans.
« Shaker » les colonnes sans faire tomber le temple. Le français a-t-il à ce point disparu du Québec que les lecteurs n’auraient pas compris le verbe « secouer » ?