L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Vers la fin du Chevalier noir (2008), sans doute le plus grand film de Batman jamais réalisé, le Joker (interprété par le regretté Heath Ledger) déclare au héros capé (joué par Christian Bale) qu’ils forment un duo impossible à briser, qu’ils sont difficiles à départager. « C’est ce qui arrive lorsqu’une force incontrôlable rencontre un objet immuable », lui lance-t-il.
Cette réflexion s’applique tout autant aux élections américaines de 2022, qui auront lieu le 8 novembre prochain. Depuis des mois, deux forces opposées, puissantes et irréconciliables s’affrontent et rendent l’issue du scrutin, surtout au Sénat, particulièrement difficile à jauger.
D’abord, il y a les facteurs qui influencent généralement le contexte électoral — en particulier le taux d’approbation du président et la conjoncture économique. Il s’agit de ce que les politologues appellent les fundamentals. Et présentement, ils ne jouent pas du tout en faveur des démocrates.
Comme c’est le cas depuis le début de l’année, moins de 45 % des électeurs américains disent approuver du travail du président Joe Biden. L’économie américaine continue de combiner un taux d’inflation jamais vu en 40 ans et une croissance économique anémique — une combinaison toxique historiquement appelée « stagflation ».
Selon le dernier sondage national Monmouth, publié début octobre, l’inflation demeure la première préoccupation des Américains — jugée comme « très » ou « extrêmement » importante par plus de 80 % des répondants —, loin devant tout autre thème. Et le taux d’approbation du président démocrate sur cet enjeu économique est d’à peine 30 %.
À cela s’ajoute la tendance historique selon laquelle le parti du président en poste perd à peu près tout le temps ces élections.
Les démocrates devraient donc se diriger vers des défaites cuisantes dans les deux chambres du Congrès. C’est d’ailleurs ce qui me menait déjà à écrire, à six mois du scrutin, que les républicains devaient être considérés comme largement favoris pour y reprendre la majorité.
Sauf que.
Tout au long du processus des primaires, les électeurs républicains ont semblé déterminés à sélectionner, surtout pour le Sénat, les pires candidats imaginables en vue de ces élections. Ces candidats — la plupart hyper-trumpistes, parfois néophytes en politique ou, pire, une combinaison des deux — sont parvenus à allumer la base républicaine et à flatter l’ego du 45e président. Par contre, pour l’ensemble de l’électorat, leur attrait est pas mal plus limité.
C’est le cas en Pennsylvanie avec Mehmet Oz, alias « Dr. Oz », personnalité médicale de la télé et candidat pro-Trump, dont la campagne a été assez inepte. À preuve, cette vidéo de lui à l’épicerie que son équipe a cru qu’il était intelligent de publier.
En Arizona, il y a aussi les problèmes de Blake Masters, qui, incapable de l’expliquer, a soudainement rayé de son site de campagne sa position contre l’avortement dès la conception.
Puis au New Hampshire, Dan Bolduc, avec sa campagne essentiellement amateur, pouvait compter à la mi-septembre sur un « trésor de guerre » de moins de 100 000 dollars… derrière celui de la sénatrice démocrate sortante de l’État, évalué à plus de 7 millions.
Et on observe le phénomène en Géorgie plus clairement que n’importe où ailleurs, avec les déboires de l’ancienne gloire de la NFL Herschel Walker.
Déjà accusé par son ex-épouse de l’avoir menacée, en posant un fusil sur sa tempe, de « faire éclater [sa] cervelle », comme on l’a vu dans des publicités électorales diffusées durant l’été, Walker a dû se défendre la semaine dernière d’avoir personnellement financé l’avortement d’une ex-compagne… alors qu’il fait actuellement campagne sur un programme d’interdiction de l’avortement sans exception, même dans les cas de viol ou d’inceste. En plus d’un chèque personnel, Walker aurait envoyé à la femme une carte de type Hallmark avec la mention « Prompt rétablissement » et sa signature.
La même journée, le fils de Walker est sorti avec une vidéo dramatique publiée sur les médias sociaux accusant son père de mentir et d’avoir été si violent et menaçant envers lui et sa mère qu’ils ont dû déménager six fois dans un intervalle de six mois.
Comme si c’était possible, la « défense » du candidat est aussi atterrante que le sont les accusations. Walker prétend ne pas se souvenir d’avoir braqué une arme sur son ex-femme parce qu’il avait trop d’« alter ego » — autrement dit, il souffre d’un trouble de la personnalité assez grave pour ne pas être sûr de « qui » fait quoi à l’intérieur de lui-même. Et il affirme avoir donné trop d’argent à trop de gens dans sa vie pour se rappeler avoir financé ce que ses partisans considéreraient comme le meurtre de son enfant à naître.
Ces candidats douteux nous laissent perplexes depuis des mois. À quatre semaines du vote, c’est encore plus vrai, et prédire l’effet de ce groupe de Joker sur le résultat électoral demeure impossible.
Et souvenons-nous : si dans Le chevalier noir Batman parvient à arrêter le Joker, le film se termine quand même avec l’exil du héros, forcé par les forces déchaînées lâchées par le bandit.
Votre prémisse est que les candidats républicains sont sans expérience.
D’accord. Par contre votre choix de la lutte entre Oz et Fetterman me laisse un peu perplexe. Fetterman n’a jamais travaillé de sa vie … étudiant perpétuel survivant grâce à une allocation de ses parents.
Ah! Fetterman est le maire, depuis deux ans, d’une très petite municipalité. C’est donc ça qui lui donne l’expérience que l’autre n’a pas … à vos yeux.