L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Le 8 novembre, les Américains seront appelés à se prononcer lors d’élections de mi-mandat susceptibles de conférer au Parti républicain une majorité au Congrès — et, par extension, d’installer les pions sur lesquels compte Donald Trump en vue d’un retour comme candidat présidentiel en 2024.
Les démocrates détiennent une majorité minuscule à la Chambre des représentants (l’équivalent de la Chambre des communes au Canada), et plus mince encore au Sénat. À la Chambre, où la totalité des 435 sièges seront en jeu, les républicains ont besoin de cinq élus de plus pour reprendre les commandes. Au Sénat, où 34 des 100 mandats seront renouvelés, un seul gain leur garantira la majorité. Et ils sont favoris, particulièrement à la Chambre.
Le scrutin s’annonce ardu pour les démocrates de Joe Biden. D’abord pour une raison ancrée dans l’histoire : le parti du président perd presque invariablement des plumes aux élections de mi-mandat. Sauf trois fois — en 1934, 1998 et 2002 —, le parti au pouvoir a toujours reculé au Congrès. Et 2022 ne se profile pas comme une exception à la règle.
La seconde raison : l’impopularité marquée du président démocrate. C’est une majorité d’électeurs qui, sans interruption depuis le retrait catastrophique d’Afghanistan en août 2021, disent désapprouver le travail de Joe Biden. Au fil des mois, l’état de l’économie, plombée par une dynamique de stagflation — combinaison de stagnation et d’inflation, avec un PIB en contraction depuis le début de l’année et un taux d’inflation historiquement élevé —, accentue la grogne. Dans les sondages, le président obtient les pires indices de confiance depuis des générations, à la fois des consommateurs et des entreprises.
La perte de la majorité aux deux chambres aurait de multiples conséquences. Il serait difficile pour l’administration Biden de faire adopter ses propositions législatives. Si les républicains reprenaient le Sénat, ils seraient en mesure de bloquer toute nomination majeure, par exemple à la Cour suprême. Rappelons la tentative ratée de Barack Obama, en 2016, de nommer un juge modéré en pleine année électorale, une décision entravée par la majorité républicaine au Sénat, suivie de la nomination de trois juges conservateurs par Donald Trump, soutenue par un Sénat aussi à majorité républicaine. Cette nouvelle composition de la Cour suprême a ouvert la voie à l’invalidation en juin dernier de l’arrêt Roe c. Wade, qui protégeait le droit à l’avortement à l’échelle du pays.
Par ailleurs, un Congrès républicain lancerait assurément des enquêtes sur l’administration, voire la famille Biden, tout en abolissant la commission sur le 6 janvier 2021, qui scrute l’assaut du Capitole pour déterminer le rôle qu’y a joué Donald Trump.
Ce dernier tente de faire élire une brochette de candidats républicains dans les primaires (avec un succès d’un peu plus de 90 % auprès des électeurs républicains depuis le début du cycle électoral de 2022). Les élus du Congrès sont après tout appelés à certifier — ou non — les résultats de la prochaine élection présidentielle. Celle-ci sera gérée, État par État, par des responsables électoraux choisis après le scrutin de novembre 2022.
Autrement dit, le vote de novembre sera lourd de conséquences non seulement pour l’actuel et 46e président, mais également pour celui qui fut le 45e… et qui sera peut-être le 47e.
5 courses baromètres à la Chambre des représentants
LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS
Il s’agit de la Chambre basse, l’équivalent de la Chambre des communes. Les 435 sièges sont pourvus à la suite d’un scrutin dans chacun des États. L’État le moins populeux (le Wyoming) en a 1 ; le plus populeux (la Californie) en a 52. Chaque élu représente une circonscription (district).
Les représentants sont élus pour des mandats de deux ans. Tous les sièges sont mis en jeu lors de l’élection présidentielle, puis lors des élections de mi-mandat.
COMPOSITION ACTUELLE
- 221 démocrates
- 212 républicains
- 2 sièges vacants
POUVOIRS PRINCIPAUX
Législation : Tout projet de loi fédéral doit passer par la Chambre. Seule la Chambre des représentants peut proposer des lois fiscales.
Enquête : Le parti majoritaire peut mener des enquêtes publiques, par exemple sur l’insurrection du 6 janvier 2021 au Capitole.
Destitution : La Chambre peut, avec un vote majoritaire, mettre en accusation un membre du gouvernement, notamment le président des États-Unis ; il revient ensuite au Sénat de le destituer ou de l’acquitter.
TEXAS
34e circonscription (vallée du Rio Grande)
Mayra Flores, 36 ans, est devenue, lors d’une partielle plus tôt en 2022, la toute première républicaine de l’histoire à remporter une circonscription à majorité hispanique. L’obtention d’un mandat complet dans cette région bordée par la frontière mexicaine consoliderait les gains remarquables faits par le Parti républicain ces dernières années auprès des minorités ethniques, notamment les Hispaniques du sud du Texas.
ILLINOIS
6e circonscription (banlieue au nord-ouest de Chicago)
Cette circonscription, redécoupée en 2020, est l’exemple parfait des banlieues cossues et scolarisées (plus de 50 % de la population y est titulaire d’un diplôme universitaire) ayant basculé dans le camp démocrate à l’arrivée de Donald Trump comme leader républicain. Le résultat révélera, en vue de l’élection présidentielle de 2024, à quel point le virage populiste du Parti républicain continue — ou non — à rebuter les électeurs des banlieues.
IOWA
3e circonscription (Des Moines, Council Bluffs)
Après avoir appuyé Barack Obama deux fois, l’Iowa est devenu républicain. Sur ses quatre circonscriptions à la Chambre, seule la troisième est détenue par une démocrate, Cindy Axne. Et elle risque d’y passer à son tour en novembre, ce qui confirmerait la descente de son parti.
MAINE
2e circonscription (Bangor, Lewiston)
Cette vaste circonscription de l’est des États-Unis partage une longue frontière avec le Québec et le Nouveau-Brunswick. Elle a appuyé Trump deux fois, tout en élisant un démocrate, Jared Golden, à la Chambre des représentants également pour deux mandats. Si les républicains arrivent à percer en Nouvelle-Angleterre en 2022, ce sera une des premières circonscriptions à tomber ; et si les républicains arrivent à percer en Nouvelle-Angleterre, c’est qu’une vague républicaine déferlera sur le pays.
NEVADA
1re circonscription (Las Vegas)
Le Nevada compte trois circonscriptions couvrant sa métropole, Las Vegas, et ses environs — toutes trois détenues par des démocrates, qui se voient menacés de perdre leur siège. La plus imprévisible est sans doute celle qui englobe l’est de Las Vegas et sa plus importante ville de banlieue, Henderson. La représentante sortante, Dina Titus, avait elle-même déjà été emportée par le tsunami républicain de 2010, avant de regagner son poste deux ans plus tard. Le résultat y sera le plus susceptible d’annoncer l’ampleur de la « vague » républicaine — et des difficultés des démocrates — à la fois dans l’État et à la grandeur du pays.
5 courses qui détermineront la couleur du Sénat
LE SÉNAT
La Chambre haute est l’équivalent du Sénat canadien, mais ses membres sont élus. Elle assure une représentativité aux plus petits États. On y compte deux sénateurs pour chacun des États, élus pour des mandats de six ans. Le tiers des sièges sont en jeu tous les deux ans, en rotation.
COMPOSITION ACTUELLE
- 50 démocrates
- 50 républicains
- La vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, vote en cas d’égalité, à titre de présidente du Sénat.
POUVOIRS PRINCIPAUX
Législation : Tout projet de loi fédéral doit recevoir l’approbation du Sénat.
Enquête : Le parti majoritaire peut lancer des enquêtes publiques.
Destitution : Si la Chambre des représentants a déjà mis en accusation un employé du gouvernement, le Sénat a le pouvoir, avec les deux tiers du vote, de le destituer.
Ratification : Tout traité international signé par le président, comme un accord de libre-échange avec le Canada, doit obtenir l’aval du Sénat.
Confirmation : Les nominations les plus importantes du président, notamment aux tribunaux fédéraux, doivent être approuvées par une majorité du Sénat.
ARIZONA
Mark Kelly (D) c. Blake Masters (R)
L’astronaute Mark Kelly, époux de l’ex-représentante Gabrielle Giffords, atteinte par un tireur fou dans la région de Tucson en 2011, a remporté en 2020 le siège occupé par des républicains depuis un demi-siècle, notamment les candidats présidentiels John McCain et Barry Goldwater. La faiblesse de son adversaire pourrait l’aider à survivre en territoire hostile.
GÉORGIE
Raphael Warnock (D) c. Herschel Walker (R)
Comme en Arizona, un démocrate est parvenu il y a deux ans à remporter une élection dans cet État peu hospitalier envers le parti. Le meilleur espoir du sénateur démocrate sortant, Raphael Warnock, réside dans la nature controversée de son adversaire, l’ex-vedette de football Herschel Walker. Ce dernier est en nette perte de vitesse dans les sondages après des révélations concernant plusieurs enfants illégitimes. Fait à noter : il s’agit de la première course sénatoriale dans le Sud entre deux candidats afro-américains.
NEVADA
Catherine Cortez Masto (D) c. Adam Laxalt (R)
Élue en 2016 avec à peine 47 % des voix, Cortez Masto est la sénatrice sortante dont le poste est le plus vulnérable en 2022. Le taux d’approbation du président Biden a chuté à un niveau abyssal de 30 % au Nevada, et Laxalt est une des rares recrues républicaines de qualité pour le Sénat cette année. La tâche de la démocrate s’annonce très ardue.
PENNSYLVANIE
John Fetterman (D) c. Mehmet Oz (R)
Le plus important espoir des démocrates de ravir un siège au Sénat se trouve dans cet État qui a appuyé Trump en 2016 puis Biden en 2020, tranchant les deux fois par un seul point de pourcentage. « Dr. Oz », personnalité de la télévision soutenue par Trump, est particulièrement peu populaire, tirant de l’arrière par une dizaine de points dans les intentions de vote, et ce, contre un candidat démocrate qui, à la suite d’une crise cardiaque, n’a pas fait campagne en chair et en os pendant trois mois. De plus en plus de doutes surgissent au sein même du Parti républicain quant à la solidité de la candidature de Mehmet Oz.
WISCONSIN
Mandela Barnes (D) c. Ron Johnson (R)
Ron Johnson, réélu in extremis en 2016, risque également de se faire chauffer cette année, entre autres en raison de ses multiples sorties ayant suscité la polémique — sa remise en question de l’existence des changements climatiques, par exemple, ou d’une insurrection armée au Capitole le 6 janvier 2021. Si les démocrates parvenaient à l’éjecter, ce serait le signe que leurs chances de conserver la majorité au Sénat sont meilleures que prévu.
Cet article a été publié dans le numéro de novembre 2022 de L’actualité, sous le titre « Des élections hantées par Donald Trump ».