L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Le président des États-Unis est l’orateur en chef de la nation. Et certains présidents américains ont marqué l’histoire par des déclarations qui occupent désormais l’imaginaire collectif.
Franklin Roosevelt s’est démarqué par cette affirmation, lors de son premier discours d’investiture, en 1933 : « La seule chose dont on doit avoir peur est la peur elle-même. »
John F. Kennedy, aussi dans un discours d’investiture, avait lancé cette phrase célèbre : « Ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous ; demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Plus tard pendant sa présidence, quelques mois avant son assassinat, il avait également déclaré, lors d’un voyage historique en Allemagne : « Ich bin ein Berliner [“Je suis un Berlinois”]. »
Quant à Bill Clinton, le premier démocrate depuis Roosevelt à avoir effectué deux mandats à la Maison-Blanche, sa déclaration la plus retenue est celle-ci : « I did not have sexual relations with that woman [“Je n’ai pas eu de relations sexuelles avec cette femme”]. »
« Cette femme » avait un nom : Monica Lewinsky. Cela se passait le 26 janvier 1998, quelques jours après l’éclatement du plus grand scandale politique des années 1990 — scandale dont on souligne ce mois-ci les 25 ans. Le président se défendait d’avoir menti sous serment, alors que les preuves de relations intimes entre lui et sa stagiaire étaient pour le moins incontestables, telle une certaine tache sur une certaine robe.
Mœurs changeantes, normes changeantes
Si l’histoire survenait aujourd’hui, à la suite du mouvement #MoiAussi, entre autres, Monica Lewinsky serait considérée comme une victime et Bill Clinton, qui avait déjà été accusé d’agression sexuelle par d’autres femmes, au minimum comme un homme ayant abusé de son pouvoir. À l’époque, la stagiaire avait plutôt été ridiculisée et humiliée, semaine après semaine, mois après mois, par les humoristes et les commentateurs politiques, notamment concernant son image corporelle et les détails de cette sordide affaire.
Ce n’est pas que Clinton s’en était sorti entièrement indemne, politiquement, pendant sa présidence : il était devenu le premier locataire de la Maison-Blanche depuis Andrew Johnson, 130 ans avant, à être formellement mis en accusation par la Chambre des représentants après s’être parjuré au sujet de l’affaire Lewinsky.
Reste que le cœur des reproches qu’on lui faisait alors résidait dans son infidélité (la cote de sympathie publique envers son épouse, Hillary, avait d’ailleurs bondi de 10 points après les révélations).
Les considérations sur l’abus de pouvoir évident qu’exerçait l’homme le plus puissant de la planète sur une stagiaire de 21 ans dont la carrière dépendait directement de lui étaient secondaires.
D’ailleurs, si Mme Lewinsky s’était vue amenée sur la place publique en premier lieu, c’est parce que les avocats de Paula Jones, une autre femme accusant Bill Clinton de harcèlement sexuel, sollicitaient le témoignage de la stagiaire pour démontrer que le président avait un mode de comportement récurrent auprès des femmes. Et pour avancer que Clinton aurait fait pression sur Lewinsky pour qu’elle nie leur liaison afin de se protéger de la poursuite de Jones — autrement dit, qu’il l’aurait encouragée à se parjurer.
Vu sous cet angle, Lewinsky avait été la victime d’un président ayant abusé de son pouvoir — possiblement de façon criminelle.
Et pourtant, les démocrates s’étaient ralliés unanimement derrière Clinton lors du vote sur sa mise en accusation à la Chambre, puis sur sa destitution au Sénat. De surcroît, certains des groupes féministes les plus influents aux États-Unis étaient sortis pour défendre activement Bill Clinton, y compris la National Organization for Women, dont la présidente avait déclaré que « les femmes ne [resteraient] pas immobiles alors que les républicains du Congrès utilisent leur pouvoir pour tenter de renverser un président démocratiquement élu ».
Il y avait certes là un mariage politique stratégique, qui n’est pas sans rappeler celui entre les leaders évangéliques et Donald Trump deux décennies plus tard : des groupes qui se pincent le nez face aux comportements personnels d’un politicien allant à l’encontre de leur morale, parce que ce dernier leur est favorable dans certaines causes.
Or, une telle chose serait-elle acceptée aujourd’hui au sein du Parti démocrate et de ses alliés ? Le malaise interne serait considérablement plus prononcé, c’est le moins qu’on puisse dire.
Une affaire personnelle qui changea l’histoire
Mais encore plus qu’une chronique d’un temps révolu, l’affaire Lewinsky a probablement eu un effet durable sur le cours de l’histoire.
Lors de la campagne présidentielle suivante, en 2000, le vice-président sortant et héritier naturel de Clinton, Al Gore, cherchait tant à se distancier de Clinton qu’il demanda de limiter au maximum les sorties publiques de ce dernier en sa faveur.
Il souhaitait tellement se distancier de son ancien patron qu’il a même levé le nez sur l’argument électoral qui lui aurait probablement permis de battre son adversaire, George W. Bush. À ce moment-là, l’économie américaine connaissait une des périodes les plus fastes de son histoire, avec plus de 20 millions d’emplois créés en quatre ans et des records boursiers. Or, c’est justement l’économie qui décide généralement des résultats aux élections présidentielles. Alors que le contexte jouait grandement en faveur des démocrates, la campagne de Gore a choisi de ne pas diffuser une seule publicité portant sur l’économie. Mieux valait, selon son équipe, ne pas s’attribuer le mérite de la gestion de l’administration Clinton, au cas où elle serait associée aux comportements du président sortant.
Même s’il ne sera jamais possible d’en être certain, il est légitime de croire que, sans scandale Lewinsky, Al Gore aurait pu défaire George W. Bush cette année-là. Et sans l’élection de Bush fils, il est probable qu’il n’y aurait pas eu d’invasion de l’Irak. Sans enlisement en Irak, la percée d’un jeune sénateur antiguerre nommé Barack Obama en 2008 n’aurait sûrement pas eu lieu. Et sans les mandats Bush et Obama, y aurait-il réellement eu une présidence Trump, qui se voulait une réponse à ces deux derniers ?
Peut-être que cette relation entre Bill Clinton et Monica Lewinsky n’était, en son cœur, qu’une affaire de nature personnelle. Reste qu’il n’est pas exagéré d’observer, un quart de siècle plus tard, qu’elle a non seulement marqué l’histoire, mais changé le cours de celle-ci.
Article très intéresssnt.
Oui , Al Gore c’était et encore du gros calibre.
Un autre gros calibre John Kerry,
Parfois , j’ai le sentiment que le peuple Américain n’est pas en faveur des gens bien éduqué , cultivé. C’est triste.. Une de mes tantes institutrice , me disait
Tiens toi avec des gens mieux que toi la vie. En conclusion viser haut. Et puis La vita est Bella.
Article très intéressant
Al Gore du gros calibre.
Idem pour John Kerry.
Trop éduqué et cultivé au goût de beaucoup d’Américains.