L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Pendant la majeure partie de 2022, les démocrates faisaient face à deux forts vents lorsqu’il était question des élections de mi-mandat de novembre prochain : le fait que leur parti contrôle la Maison-Blanche et l’impopularité de son locataire actuel.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, en effet, le parti du président a perdu en moyenne lors de ce scrutin 25 sièges à la Chambre des représentants et, dans les trois quarts des cas, au moins 1 siège au Sénat. Cette tendance est habituellement plus prononcée quand le président est de surcroît impopulaire. Comme Joe Biden.
Avant lui, deux présidents démocrates seulement étaient parvenus à sauver les meubles : en 1962 et en 1998, alors que John F. Kennedy et Bill Clinton jouissaient de forts taux d’approbation. L’histoire s’est répétée pour les républicains en 2002, le président George W. Bush surfant toujours sur une vague de popularité après les attentats du 11 septembre 2001.
Or, contrairement à ces exemples, Joe Biden n’est pas populaire. En fait, il rivalise depuis des mois avec Donald Trump pour le titre peu enviable de président ayant le plus faible taux d’approbation à ce stade dans son mandat. Ces facteurs laissaient présager des résultats particulièrement brutaux en novembre pour les démocrates… du moins, jusqu’à cet été.
En effet, les signes encourageants se sont multipliés au cours des dernières semaines pour le parti du président. L’avance pour le contrôle du Congrès (Sénat et Chambre des représentants) que détenaient les républicains à l’échelle nationale tout au long de l’hiver et du printemps, selon les sondages, s’est presque dissipée. Dans les États les plus chaudement disputés pour le Sénat, les démocrates sont actuellement donnés gagnants presque partout — les leaders républicains au Sénat ont même commencé à se résigner à une année électorale « difficile », alors qu’ils espéraient au début de l’année ravir la majorité.
Et tout cela alors qu’à peine 40 % des Américains continuent à approuver le travail de Biden.
La question suivante s’impose : à quel point les candidats démocrates sont-ils capables de se distancier politiquement du leader de leur formation ? Dans un système bipartite où les tiers partis récoltent au mieux des miettes, un candidat doit atteindre au minimum 47 % ou 48 % du vote pour espérer l’emporter. Si le président se maintient à 40 % d’appui en général, cela implique pour un candidat démocrate au Sénat d’aller chercher sept ou huit points de plus que son chef.
Si l’on se fie à l’histoire récente, il s’agit d’une tâche extrêmement ardue. Dans la dernière décennie, seuls deux sénateurs — Joe Manchin et Susan Collins — sont parvenus à se distinguer de façon aussi marquée de leur parti et de leur leader. Soit dit en passant, ils sont également les deux membres les plus modérés du Sénat américain (qui compte 100 sénateurs).
Manchin, un démocrate de la Virginie-Occidentale, a par exemple appuyé les deux premières nominations de Donald Trump à la Cour suprême, tout en contestant très publiquement certaines priorités législatives de son parti depuis l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche. Collins, une républicaine du Maine, a soutenu la totalité des nominations à la Cour suprême des présidents démocrates remontant à Bill Clinton, en plus de s’opposer à des projets de loi majeurs de son parti, notamment l’abrogation d’ « Obamacare » au début du règne Trump. Autrement dit, ils ont cultivé, au fil d’années de travail avec des collègues du parti adverse, de solides réputations de législateurs possédant une voix distincte à côté de celle de leur parti.
Parmi les démocrates tentant de se faire élire (ou réélire) au Sénat cette année, aucun ne présente cette forme d’indépendance à l’égard des hautes instances de son parti, comme peuvent s’en vanter Joe Manchin et Susan Collins. Ils ont tous presque toujours voté de la même façon que le reste du caucus démocrate et en harmonie avec les demandes de l’administration Biden, tels des députés dans un système parlementaire à la discipline de parti rigide comme celui que l’on trouve au Canada.
Peuvent-ils donc survivre en s’étant collés de la sorte au président ?
Au moins trois éléments laissent croire que ce n’est pas impossible.
Premièrement, avec la présence démesurée de Donald Trump dans l’espace public ces dernières semaines, les démocrates peuvent espérer transformer ce qui aurait normalement été un référendum sur la présidence Biden en un choix entre eux et Trump.
Deuxièmement, comme le souligne la remarquable analyste Amy Walter, l’attention publique, notamment en raison de Trump, était moins tournée dernièrement vers des enjeux sur lesquels les républicains avaient l’avantage, comme l’inflation, mais davantage vers des débats déchirants qui galvanisent l’électorat démocrate, par exemple l’avortement ou les attaques trumpistes contre la démocratie.
Troisièmement, on constate un écart qualitatif carrément fulgurant cette année entre les campagnes et les candidats démocrates et républicains. Là aussi, Trump y est pour quelque chose : son ascendant sur les républicains a mené le parti à choisir lors des primaires une brochette de candidats douteux et a repoussé nombre d’aspirants respectables qui auraient donné d’excellentes chances au parti de gagner des sièges, notamment en Arizona et au New Hampshire.
Le manque flagrant de professionnalisme et de rigueur des campagnes républicaines se traduit entre autres par l’avantage financier spectaculaire que détiennent leurs adversaires démocrates, un État après l’autre. Dans les courses les plus serrées, les candidats démocrates au Sénat ont souvent trois ou quatre fois plus d’argent, ce qui leur a permis ces dernières semaines de bâtir de brillantes campagnes publicitaires les présentant comme des modérés, prêts à faire cavalier seul face à l’administration Biden. Factuellement, il s’agit de publicités grossièrement trompeuses, mais leurs adversaires républicains semblent présentement trop désorganisés — ou incompétents — pour y répondre de façon efficace.
Bref, si la majorité démocrate à la Chambre des représentants paraît encore condamnée, celle au Sénat pourrait être plus résistante que prévu. Les 10 semaines nous menant au scrutin s’annoncent fascinantes.
Vous devriez « actualiser » votre information (!) : Joe Biden surfe sur une vague de popularité sans précédent ces dernières semaines (attribuable à des raisons qui n’ont eu de cesse de faire les manchettes depuis lors et c’est précisément cette recrudescence de popularité pour le moins providentielle qui est porteuse de l’espoir dont vous parlez dans votre article…
C’est vrai que depuis la fin juillet la cote du président Biden remonte mais c’est loin d’être spectaculaire. Sa cote de popularité est maintenant de 42,3% alors que ceux qui le désapprouvent sont à 53,5%. Fin juillet c’était respectivement 37,5% d’approbation contre 57,2% qui désapprouvent. Source: https://projects.fivethirtyeight.com/biden-approval-rating/
L’écart se rétrécit mais est-ce suffisant pour parler de «vague de popularité sans précédent» ? J’en doute.
L’un des éléments déclencheur qui a fait sentir cette embellie, c’est la promulgation par le président le 16 août dernier de l’« Inflation Reduction Act » adopté par le Congrès (les deux Chambres) en un temps record. Je pense que cela a démontré que sous Biden les parlements sont susceptibles des fonctionner. C’est un élément qui compte dans l’opinion publique, d’autant que ce plan ambitieux et équilibré s’attaque réellement à la réduction des gaz à effets de serre, incluant le méthane.
De l’avis de plusieurs analystes, cette loi est un premier pas dans la bonne direction. Elle pourrait être bonifiée de diverses façons. Dans l’esprit d’une part non négligeable des électeurs, la meilleure façon de s’assurer que ce plan sera bel et bien mené à terme, c’est de reconduire les Parlements à peu près dans l’état dans lesquels ils sont.
Hormis le fait que le président Biden est encore légèrement monté dans les sondages avec désormais 42,3% d’opinions favorables (comme cela est mentionné dans un commentaire précédent) ; il faudra observer dans ce prochain scrutin, les taux de participations. Ce sont près de 40% des électeurs qui n’ont pas d’allégeance politique. Ce sont possiblement eux qui ont le pouvoir d’arbitrer ces élections de mi-mandat puisque de trois choses l’une : ils s’abstiennent de voter, ils votent pour les démocrates si cela leur convient, ils votent pour les républicains s’ils en ont envie.
En même temps, depuis la perquisition du FBI dans l’« humble » domaine de l’ex-président Trump à Mar-a-Lago, il semblerait que dans le camp républicain le clivage ne soit plus ce qu’il était quant au bienfondé de tout miser sur l’homme lors des prochaines présidentielles.
De sorte que cette élection de mi-mandat pourrait ― comme le souligne Rafael Jacob dans cette chronique -, être une sorte de référendum sur l’avenir politique de cet ex-président atypique et excentrique en tous points.