La campagne électorale s’invite sur les billets de banque

Estampiller un slogan politique sur un billet de banque n’est pas interdit aux États-Unis et les adeptes de Donald Trump ne s’en privent pas. Mais qui est derrière cette campagne ?

Photo : Sandra Cazenave

Si vous vous promeniez aux États-Unis en ce moment, il est probable que tôt ou tard, on vous rende à la caisse d’un magasin un billet vert frappé du slogan du président américain Donald Trump, « Make America Great Again » (MAGA). Il s’agit d’une manière inusitée de propager le message présidentiel et qui attise la curiosité, l’envie de savoir d’où ça vient. Ou d’essayer du moins, car tenter de découvrir qui est derrière cette initiative relève de la chimère.

Pourtant, la conception de ces billets est d’une grande simplicité. Il suffit de taper les mots « MAGA stamps » sur un moteur de recherche pour obtenir une profusion de modèles de tampons à encre sur des sites traditionnels de commerce électronique (eBay, Amazon, Zazzle) et de débourser entre 10 et 17 dollars. Ne reste plus qu’à apposer l’estampe de votre choix sur la monnaie la plus utilisée au monde. Et plus particulièrement sur les billets — ô combien symboliques — de 1 dollar (représentant l’ancien président américain George Washington, considéré comme « le père de la nation ») et de 5 dollars (à l’effigie d’Abraham Lincoln).

Et cela se fait en toute légalité, car si le département américain du Trésor stipule que « la dégradation de la monnaie […] est passible d’une amende ou d’une peine de prison allant jusqu’à six mois ou des deux peines », c’est uniquement le cas si l’encre du tampon recouvre le numéro de série ou s’il s’agit d’une publicité.

Les tampons ne se limitent pas au slogan présidentiel. Les billets de 20 dollars, avec la Maison-Blanche au verso, portant l’inscription « Donald Trump Lives Here » (Donald Trump vit ici) sont aussi très répandus. L’affaire est très appréciée par le fils du président, Trump Jr.; en mars 2018, celui-ci avait félicité un partisan texan qui lui avait offert un billet portant cette estampe. Une première piste ?

Pas sûr, car comprendre l’origine de ces billets s’apparente à une quête impossible. Ces tampons sont-ils l’œuvre de partisans du président républicain, MAGA étant leur cri de ralliement depuis 2016 ? « Nous ne savons pas qui est à l’origine de cette propagande », constate Ciara Torres-Spelliscy, professeure de droit à l’Université Stetson en Floride et auteure du livre Political Brands. Nombre de partisans du président semblent lui donner raison : ils ont entendu parler de ces billets, mais ne savent pas qui les tamponnent.

Mais dans ces incertitudes pointent quelques indices. Dans un article paru le 22 mars 2018, le San Francisco Chronicle rappelle que l’entreprise partisane American AF faisait la promotion sur les réseaux sociaux des tampons destinés aux billets de 20 dollars. Sur leur site, où sont également vendus des vêtements à la gloire de Donald Trump, ce groupe jure « ne pas dégrader la devise américaine, mais décorer les dollars » avec des messages politiques. Ils revendiquent donc l’acte, mais pas sa paternité.

Une pratique ancienne

« Nous ne saurons jamais avec certitude qui a commencé à tamponner le slogan MAGA sur les devises américaines, mais c’est le fruit d’une longue tradition », assure Stephen Gencarella Olbrys, professeur de communication à l’Université du Massachusetts à Amherst et auteur de recherches sur le phénomène des « chaînes de devises ». Ce matraquage partisan n’est, en effet, pas inédit aux États-Unis. Ciara Torres-Spelliscy rappelle notamment le mouvement lancé par le groupe The Stamp Stampede en 2012 : « Ils réclamaient un amendement constitutionnel pour s’opposer au système de financement des campagnes politiques», et marquaient sur les billets « Not to Be Used to Bribe Politicians » (À ne pas utiliser pour corrompre les politiciens) ou « Money is Not Free Speech » (L’argent n’est pas la liberté de parole).

En 1976, une coupure de 2 dollars estampillée « These Are Farm Dollars » (Ce sont des dollars de la ferme — pour faire ressortir l’importance économique de l’agriculture) fait son apparition. Puis, dans les années 1990, la « Gay Money » envahit les portefeuilles, suivie par les « Jews for Clinton » (Juifs en faveur de Clinton), « Impeach Bush » (Pour une procédure de destitution contre Bush) et autres « Gun Owner » (Propriétaire d’arme). Plus récemment, en 2016, c’est une estampe du visage de Harriet Tubman, militante en faveur de l’abolition de l’esclavage des Afro-Américains, qui remplace celle du président Andrew Jackson sur les coupures de 20 dollars. Un moyen de s’exprimer « désorganisé » qui séduit par son « intraçabilité », explique Stephen Gencarella Olbrys. « La pratique n’a pas ralenti depuis, mais elle se manifeste par vagues. Elle s’inscrit aujourd’hui dans la normalisation d’un discours haineux aux États-Unis. »

Toutefois, il faut préciser que malgré le zèle des partisans de Donald Trump, tomber sur un billet portant un slogan reste anecdotique, pour ne pas dire rare. « Cette propagande a été freinée par l’épidémie de COVID-19, les échanges de monnaie étant considérablement réduits », fait remarquer Ciara Torres-Spelliscy. Il n’aurait pourtant pas été très difficile de créer un raz-de-marée Trumpien. Le groupe The Stamp Stampede avait en effet estimé à l’époque que chaque billet d’un dollar était vu en moyenne par 875 personnes, ce qui signifie que si 100 personnes tamponnaient 10 billets de un dollar par jour pendant un an, leur message atteindrait plus de 300 millions de personnes. Mais cela reste purement hypothétique, parce que « le nombre de participants à ces “chaînes de devises” ne peut être connu avec certitude », indique Stephen Gencarella Olbrys, qui estime qu’une grande partie des coupures estampillées sont retirées de la circulation par les institutions bancaires. « Ils peuvent, malgré tout, avoir un effet sur le plan local ou régional. J’ai ainsi vu de nombreux billets frappés MAGA en Californie, un État démocrate où ils sont un modèle de résistance. » Il est donc impossible d’évaluer l’ampleur du phénomène, tout comme sa force de propagation à travers les États-Unis. Surtout en période de pandémie.

Il en va de même de la riposte du clan démocrate. Les tampons « Biden 2020 » sont bien proposés à la vente, mais ils ne semblent pas aussi populaires auprès de leur base. Stephen Gencarella Olbrys y voit une explication logique : « La rhétorique populiste de Donald Trump correspond bien mieux à ce type de pratique que le message modéré de Joe Biden. »