L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Un président démocrate en est à son premier mandat et prépare sa campagne de réélection. Contesté en période de tumulte économique, il attise la grogne des républicains. Ces derniers, frustrés par la vieille garde de leur propre parti, se cherchent une voix anti-establishment qui ferait écho à leur colère.
C’est dans ce contexte qu’en 2010, pour le poste de gouverneur de la Caroline du Sud, les républicains de cet État se sont tournés vers Nimrata Nikki Randhawa, fille d’immigrants indiens de première génération, née aux États-Unis. Elle a pris le nom de Nikki Haley à la suite de son mariage, en 1996, avec Michael Haley, un militaire. Déjà, six ans plus tôt, elle avait été la première législatrice indo-américaine de l’histoire des États-Unis. Le 2 novembre 2010, elle est devenue la première femme et la première personne issue d’une minorité ethnique à être élue gouverneure de cet État du Sud profond.
Dès les primaires de 2010, alors que Haley malmenait trois des politiciens républicains les plus puissants de l’État, il est apparu évident aux yeux des observateurs que l’on assistait à l’émergence d’une étoile. Les murmures commençaient déjà à se faire entendre au sujet d’une éventuelle candidature présidentielle.
Treize ans plus tard, alors que Nikki Haley s’apprête à annoncer officiellement sa candidature pour l’élection à la présidence de 2024, bien des choses seront écrites à son sujet : sa réélection en 2014, où elle a plus que triplé son avance initiale de 2010 ; sa nomination par Donald Trump, en 2017, comme ambassadrice des États-Unis à l’ONU ; les rumeurs et les souhaits (venant possiblement d’elle-même) qu’elle soit choisie à titre de candidate à la vice-présidence en 2016, puis en 2020 ; sa relation sinueuse avec Trump.
Or, la façon la plus simple de la présenter est peut-être celle-ci : Nikki Haley est la candidate qui devrait emballer les républicains… s’ils souhaitaient gagner.
Sur le papier et dans la réalité
Rares sont les candidats présidentiels — et très rares sont les jeunes candidats présidentiels — qui combinent l’expérience d’avoir dirigé un État et d’avoir joué un rôle de premier plan en politique étrangère. Les gouverneurs d’État, comme George W. Bush en 2000 ou Howard Dean en 2004, se font souvent critiquer pour leur manque d’expérience et d’expertise en relations internationales. À l’inverse, les sénateurs, comme Barack Obama en 2008 ou Ted Cruz et Marco Rubio en 2016, se font reprocher de débattre et de parlementer sans avoir géré quoi que ce soit.
Avant même d’atteindre la cinquantaine, Haley a été membre de l’Assemblée générale de la Caroline du Sud, a dirigé l’État pendant plus de six ans, et a occupé l’un des postes les plus prestigieux en matière de politique étrangère aux États-Unis, après celui de secrétaire d’État. Elle a depuis siégé à des conseils d’administration majeurs à la fois dans le secteur privé (chez Boeing) et dans le monde universitaire (à l’Université de Clemson).
La diversité et la profondeur de son CV sont rarissimes ; le fait qu’elle peut en parler et s’en servir tout en se présentant comme une candidate « nouvelle » et de rechange l’est encore plus.
Sauf qu’il faut plus qu’un parcours qui « coche plusieurs cases ». L’histoire récente regorge d’exemples de candidats, comme Bill Richardson en 2008 et Jon Huntsman en 2012, qui brillaient aussi sur le papier… avant de s’écrouler sur le terrain.
Or, Haley possède un réel attrait comme peu de politiciennes du côté républicain : solide oratrice, elle porte un message qui fait appel à l’ensemble du Parti républicain tout en tendant des perches de façon singulière à des segments du reste de l’électorat, dont les femmes et les minorités ethniques, qui ne gravitent pas naturellement autour du Grand Old Party.
Son discours à la convention républicaine de 2020 en est un exemple frappant : condamnant les violences issues de plusieurs manifestations à la grandeur du pays à la suite du meurtre de George Floyd, Haley n’a pas simplement joué la carte républicaine traditionnelle de « la loi et l’ordre ». Elle a parlé du sort réservé à tous ces propriétaires de petits commerces, venant disproportionnellement eux-mêmes de communautés noires ou immigrantes, dont les épargnes, le travail et les rêves ont été saccagés par les émeutiers.
Haley en sait quelque chose : sa mère, immigrante de première génération portant le sari, a ouvert un petit commerce dans une ville du Sud de moins de 3 000 personnes. Son père a été victime de harcèlement parce qu’il portait le turban. Et elle-même, à l’âge de cinq ans, a été disqualifiée d’un concours local de beauté parce que les organisateurs ne parvenaient pas à la classer comme « noire » ou « blanche ».
Face à un Parti démocrate moderne misant souvent énergiquement sur la politique identitaire et la culture dite woke, Haley semblerait particulièrement bien positionnée.
Or, pour faire face aux démocrates, elle devra d’abord remporter les primaires républicaines. Et c’est là que la tâche s’annonce extrêmement ardue. Son principal défi reste de convaincre l’électorat républicain lui-même.
La soif des trolls
L’humoriste Bill Maher a distillé de façon crue, dans un monologue présenté tout juste avant les élections de mi-mandat de novembre dernier, ce qui anime les électeurs républicains aux États-Unis depuis quelques années : un désir de faire un doigt d’honneur aux élites du pays. « L’attrait d’un Herschel Walker ou d’un Donald Trump s’explique par le fait que le pire des candidats dit le mieux aux démocrates : voyez-vous à quel point on déteste ce que vous nous offrez ? » soutient Maher.
Ce n’est pas un hasard si le seul politicien républicain depuis 2016 à pouvoir réellement prétendre menacer Trump est Ron DeSantis. Comment le gouverneur de la Floride s’est-il autant attiré la faveur de l’électorat du parti ?
Ce n’est pas seulement son approche moins restrictive face à la COVID–19 — mais ses sorties en règle contre le Dr Anthony Fauci et l’establishment médical. Ce n’est pas seulement ses positions contre le « wokisme » — mais son désir de s’en prendre publiquement à un géant comme Disney sur le sujet. Ce n’est pas seulement ses idées politiques — mais son attitude de pugiliste face aux membres des médias qui le questionnent.
C’est, en d’autres termes, sa volonté de « troller ». Comme Trump le fait depuis le début de sa carrière. DeSantis l’a fait peut-être de la façon la plus éclatante qui soit dernièrement en envoyant des autobus pleins de migrants vers des régions démocrates comme Martha’s Vineyard, île de nantis où habitent bon nombre des membres les plus en vue du Parti démocrate.
Le désir principal
Lorsqu’ils étaient sondés pendant les primaires de 2020, les électeurs démocrates répétaient sans arrêt que le motif numéro un de leur choix de candidat était la capacité à battre Donald Trump dans une élection générale.
Joe Biden excitait peu la base du parti et n’était pas un premier choix naturel pour de nombreux démocrates. Or, il était considéré — à juste titre — comme le plus apte à reprendre la Maison-Blanche. On connaît la suite de l’histoire.
C’est aujourd’hui au tour des républicains de se trouver à la croisée des chemins. D’un point de vue rationnel, une candidature de Nikki Haley pourrait se révéler un billet d’entrée pour la Maison-Blanche. Mais vue à travers le filtre émotionnel souvent hargneux, parfois conspirationniste, des républicains, elle pourrait plutôt simplement servir à diviser davantage le vote « non-Trump » — et aider le troll en chef à s’accrocher à la tête du parti.
Article très éclairant, parce que très éclairé… Merci M Jacob.