L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Si une image vaut bel et bien mille mots, certaines parlent plus que d’autres. La photo de Stacey Abrams, vedette démocrate, prise dans une école et diffusée sur les réseaux sociaux la fin de semaine du 4 février dernier ne faisait pas que parler — elle criait.
C’est que la prétendante au poste de gouverneure de la Géorgie et finaliste pour devenir la candidate vice-présidentielle de Joe Biden en 2020 s’y trouvait entourée d’enfants… sans masque et avec un sourire radieux.
À l’aube du second anniversaire de la crise sanitaire, cette image semble avoir été pour nombre d’opposants aux contraintes covidiennes la goutte de trop qui a fait céder le barrage. Le port obligatoire du masque à l’école et dans plusieurs lieux publics encore en vigueur à ce moment-là dans différents États, surtout dirigés par des démocrates, reste la plus importante mesure pour contrer la COVID-19 aux États-Unis. La plupart des États à majorité républicaine avaient abandonné une telle obligation en 2020 ou 2021.
La photo de Stacey Abrams a soulevé une tempête politique. Officiellement, la politicienne est favorable au masque obligatoire à l’école. Le Parti démocrate a soutenu que Mme Abrams en portait un lors de sa visite et qu’elle ne l’avait enlevé que pour la photo et un discours. Elle s’est quand même excusée de l’avoir retiré.
Il n’en fallait pas plus pour qu’elle soit immédiatement accusée par des politiciens républicains et des médias conservateurs d’avoir hypocritement violé le règlement de l’école en la matière. Et l’histoire a provoqué une réaction en chaîne partout dans les États démocrates.
Le New Jersey lance le bal
Au début de la semaine dernière, le gouverneur démocrate du New Jersey, un des États ayant affiché les plus hauts taux de mortalité liée à la COVID–19 pendant la pandémie, a lancé le bal en annonçant qu’il allait mettre fin à l’obligation pour les enfants de porter un couvre-visage à l’école. Dans les heures suivantes, les États voisins du Connecticut et du Delaware ont emboîté le pas, en levant l’obligation pour les adultes dans les lieux publics, mais en la maintenant à l’école.
Le lendemain, c’était la Californie et l’Illinois. Le surlendemain, New York et le Massachusetts, mais chaque État avançant avec ses propres variations. À New York, il est maintenu dans les écoles, mais n’est plus exigé ailleurs. En Californie, il est par contre imposé aux non-vaccinés, et pour ce qui est des écoles, l’État laisse les autorités scolaires locales décider. En Illinois, le masque n’est plus obligatoire à l’exception, là aussi, des écoles, tandis que dans le Massachusetts, la levée sera totale à partir du 28 février.
Ainsi, six des sept plus importants bastions démocrates au pays ont annoncé un virage à 180 degrés sur une politique en vigueur depuis des mois… et ce, en l’espace d’environ 48 heures.
Si le tout avait l’air quelque peu orchestré… c’est que ce l’était.
Comme l’a révélé le New York Times le 8 février dernier, les élus de ces États communiquaient entre eux depuis quelque temps, sentant la grogne populaire envers les restrictions restantes croître même parmi l’électorat démocrate, pourtant plus favorable aux mesures sanitaires depuis le début de la crise. Tout ce qui manquait pour passer à l’acte était une bougie d’allumage ; la photo d’Abrams aura peut-être suffi.
Le fait que ce soit Phil Murphy, le gouverneur du New Jersey, qui ait lancé le bal de la levée de l’obligation du port du masque à l’école ne devrait peut-être pas surprendre. En novembre dernier, la victoire par une très faible marge de Murphy, dans un État pourtant remporté par Joe Biden par une quinzaine de points, était inquiétante pour les démocrates. Cherchant à comprendre ce qui s’était passé, l’équipe de Murphy a créé des groupes de discussion avec des électeurs de l’État… pour découvrir que la colère et le sentiment d’épuisement liés aux restrictions avaient pesé lourd sur leur choix.
Ses collègues des autres États feront face à l’électorat dans moins de neuf mois dans le cadre des élections de mi-mandat… Personne ne sera donc surpris que sa décision ait fait rapidement tache d’huile.
Contre les recommandations fédérales
Ces changements en rafale sont-ils le signe que la COVID–19 a été rayée de la carte aux États-Unis ? C’est tout le contraire.
Dans tous les États ayant annoncé l’abandon du port du masque obligatoire dans les écoles ou en général, le nombre de cas recensés et de décès quotidiens liés à la COVID est plus élevé maintenant qu’il ne l’était lorsque cette mesure était en vigueur ! Il y a eu plus de morts liées au virus aux États-Unis en janvier 2022 qu’en janvier 2021. Et les scientifiques du gouvernement fédéral américain, le Dr Anthony Fauci en tête, ne sont pas prêts à recommander l’abolition du masque obligatoire en toute circonstance.
Mais le peuple semble ailleurs. Le 24 mai 2020, alors que les États-Unis s’approchaient du cap symbolique des 100 000 morts, le New York Times a consacré sa une entière au sujet, coiffée du titre suivant : « Près de 100 000 morts : une perte incalculable ».
Le 4 février dernier, alors que les États-Unis franchissaient le cap des 900 000 décès liés à la COVID-19, le même quotidien titrait : « 900 000 morts, mais de nombreux Américains sont passés à autre chose ».
Comme quoi, parfois, un titre aussi peut valoir mille mots.
Les gens qui refusent les règles sanitaires visant la protection de la population choisissent de s’isoler, indirectement. Une parente, « anti toute » (vaccin, masque, passeport, etc), criant « complot, coup monté, manipulation, … », s’est retrouvée « rejetée » par ses proches (sauf par sa gagne) pour la durée de la pandémie : personne de la famille voulait qu’elle risque de venir contaminer enfants, personnes âgées et membres de la famille. C’est son choix et elle doit vivre avec. Et aussi celui de sa gagne. Et, merde, si elle se retrouve à l’hôpital avec la Covid, on sera OBLIGÉ de la soigner. Elle sera bien contente de bénéficier du système de santé qu’elle rejette. Inacceptable qu’elle vienne prendre la place d’un patient en attente de soins. Et dites moi comment, socialement, on doit la considérer, la traiter?
Sommes-nous tous égaux devant la pandémie ? Est-ce que la perception de la Covid est la même pour tous ? Est-ce qu’en bien de choses, au fil du temps, nous ne devenons pas un peu plus indifférents ?
Et… — comme le soulignent plusieurs spécialistes -, la pandémie n’est-elle pas en train de devenir une endémie ? En d’autres termes une maladie qui se manifeste en permanence ou qui existe à l’état latent.
Penser que la Covid 19 va disparaître de sitôt est devenu une vision de l’esprit. Comme on ne peut tester toute la population ; seulement au Québec, on estime qu’au moins 25% des gens auraient contracté une forme ou une autre de la maladie. Bien des personnes ont été touchées par l’un ou l’autre des « variants » sans le savoir et parfois par plusieurs variants avec ou sans vaccination.
Où commence et où prend fin la décision politique dans la gestion de la crise ? Le fait que les États des États-Unis ne peuvent tous s’entendre complètement sur des protocoles communs, comme le relate Rafael Jacob fort précisément dans cette chronique ; cela est assez significatif du fait que les décisions basées théoriquement sur la science ont également leurs propres limites.
Cette logique existe de l’autre côté de la frontière, chez nous. La désinvolture adoptée par plusieurs politiciens de haut rang dans plusieurs pays — nous pourrions penser à Boris Johnson au Royaume-Unis ou Jair Messias Bolsonaro au Brésil -, tout cela relève d’une sorte de surréalisme planétaire à l’intérieur duquel résident ceux qui disent quoi faire et ceux qui définitivement ne font pas ce qu’ils disent.
Quand je vois de quelle façon des personnes sortent leur masque passablement sale de leur poche, je me dis que cette barrière de protection est au bout d’un certain temps dans bien des cas un nid de germes et de bactéries. Vous croisez ces nids dans les allées de votre supermarché.
Comment le citoyen moyen ou la citoyenne moyenne qui n’ont pas la moindre idée de ce que coûtera une pinte de lait dans les prochains mois, peuvent-ils entrevoir quelque petite lumière tout au bout du tunnel ? Qu’importe… Dieu devrait tôt ou tard reconnaître les siens lorsque cette maudite maladie n’est jamais qu’un moyen de plus pour perdre la sienne.