La révélation divine des républicains

L’ampleur du désastre signé Trump aux élections de mi-mandat et l’éclat de la victoire des quelques candidats républicains qui ont osé s’en distancier ouvrent un tout nouveau chapitre du psychodrame qui se joue dans le Grand Old Party depuis 2015.

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L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

«On va tellement gagner, vous allez peut-être même vous tanner des victoires. Vous allez dire : pitié, pitié, c’est trop de victoires, on n’en peut plus ! Monsieur le président, c’est trop !  »

Il y a de ces déclarations qui ne nécessitent pas de préciser le nom de leur auteur pour savoir qui les a lancées. La carrière de Donald Trump, comme l’emprise qu’il a exercée sur le Parti républicain depuis 2016, s’appuie sur cette perception qu’il est un gagnant… et qu’il possède les clés du pouvoir pour le parti.

Si tant de républicains ont avalé tant de couleuvres pour continuer à le soutenir, c’est d’abord parce qu’ils ont fait le calcul stratégique que le magnat de l’immobilier leur était électoralement payant.

Jusqu’à maintenant.

Les élections de mi-mandat passées et la candidature présidentielle de Trump pour 2024 officiellement annoncée, l’heure est aux bilans. Avant de décider s’ils doivent le réembaucher, les électeurs républicains ont une question à se poser : quel a été son rendement pour le parti ?

Trump est arrivé en 2016 avec des majorités républicaines dans les deux Chambres du Congrès, en plus de sa présidence. Mais lors des élections de mi-mandat de 2018, les républicains ont perdu plus de 40 sièges et leur majorité à la Chambre des représentants. C’est plus que la moyenne de 27 sièges que le parti qui occupe la Maison-Blanche échappe habituellement à ce scrutin entre deux élections présidentielles. Deux ans plus tard, toujours avec Trump, ils ont laissé aux démocrates à la fois le Sénat et la Maison-Blanche (quoi qu’en pense le perdant).

Il est ainsi devenu le premier président depuis Herbert Hoover, après le krach de 1929 et le début de la Grande Dépression, à voir sa formation perdre la mainmise sur ces trois institutions en l’espace d’un seul mandat. 

En 2022, le Parti républicain a repris la majorité à la Chambre, mais avec un gain net de moins de 10 sièges, soit moins de la moitié de la norme historique : comme je le mentionnais plus haut, le démocrate Joe Biden aurait dû en perdre plus, à plus forte raison avec les taux élevés de désapprobation qu’il connaît. Et malgré ce contexte on ne peut plus favorable, le Parti républicain pourrait devenir la première formation à ne ravir aucun siège au Sénat depuis 1934 — le premier scrutin de mi-mandat après le départ du président Hoover. Le second tour pour le siège de la Géorgie, le mois prochain, nous le dira.

Qui plus est, les républicains n’ont ravi les commandes d’aucune assemblée législative d’un État lors des élections de cette année — là aussi, du jamais vu depuis 1934. En fait, plus on creuse les résultats, pire ils paraissent, non seulement pour le Parti républicain, mais pour Trump personnellement.

Car au milieu de ce champ de ruines jonché de candidats trumpistes, dont bon nombre niaient les résultats de 2020 — de Don Bolduc au New Hampshire à Kari Lake en Arizona, en passant par Doug Mastriano en Pennsylvanie, qui était littéralement sur place à Washington le jour de l’insurrection au Capitole —, des étoiles républicaines majeures ont brillé.

Le nom de Ron DeSantis est le plus souvent cité — et pour cause : avec une marge de près de 20 points, la victoire du gouverneur de la Floride est la plus éclatante en 40 ans dans cet État. Son homologue de la Géorgie, Brian Kemp, a été réélu avec une majorité cinq fois plus importante qu’il y a quatre ans. Chris Sununu, gouverneur républicain du New Hampshire, a été reporté au pouvoir avec une avance de 16 points, et Mike DeWine, gouverneur républicain de l’Ohio, a fini 25 points devant son adversaire.

Ces candidats avaient tous au moins deux points en commun. Le premier est qu’ils représentent des États hautement stratégiques où les luttes avec les démocrates sont habituellement chaudes. Mais surtout : ils avaient tous pris leurs distances avec Trump très publiquement avant les élections. Encore plus remarquable, Kemp a carrément fait l’objet d’une campagne de destruction lancée par Trump après avoir tenu tête au 45e président lorsque ce dernier lui intimait l’ordre de modifier en sa faveur les résultats de 2020 en Géorgie.

Trump était si déterminé à voir Kemp se faire battre qu’il a, pour la toute première fois dans une course de mi-mandat, injecté de l’argent personnel dans la candidature d’un adversaire républicain trumpiste lors des primaires. Kemp a terrassé ce dernier par plus de 50 points, avant d’être réélu confortablement en novembre par l’ensemble de l’électorat de l’État.

Ces victoires n’effacent pas le fait que huit des dix représentants républicains qui avaient voté pour la destitution de Trump après l’insurrection au Capitole ne siégeront pas au nouveau Congrès — pas plus qu’elles ne changent le fait que plus de 70 % des électeurs républicains ont toujours une opinion positive de Trump, selon les sondages nationaux menés à la sortie des bureaux de vote en 2022.

Reste qu’un chemin vient peut-être d’être tracé : peut-être est-il possible pour un républicain non seulement de défier Trump… mais aussi d’en sortir gagnant. La table est mise pour 2024.

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Une des premières controverses de la candidature initiale de Donald Trump, qui a poussé un grand nombre de commentateurs à lui prédire une défaite à l’investiture républicaine, s’est produite en juillet 2015, un mois après le lancement de sa campagne. Donald Trump s’en était pris au sénateur républicain John McCain, considéré depuis 30 ans comme un véritable héros de guerre dans son parti, mais aussi dans l’ensemble de la population américaine.

McCain jouissait de ce statut pour avoir renoncé, par solidarité avec ses frères d’armes, à être libéré alors qu’il était prisonnier de guerre au Vietnam. Or, lors d’un rassemblement partisan en Iowa, Trump, qui n’a jamais servi dans l’armée, avait laissé entendre que McCain n’était pas « un héros de guerre » et affirmé que lui « [préférait] les gens qui ne se sont pas fait capturer ».

Tout juste avant ces paroles, Trump y était aussi allé d’une déclaration qui prend une tout autre couleur sept ans plus tard. Évoquant la défaite de McCain à l’élection présidentielle de 2008 face à Barack Obama, Trump avait lancé : « Je l’ai appuyé, il a perdu. Il nous a déçus, il a perdu. Alors je ne l’ai plus aimé autant après coup, parce que je n’aime pas les perdants. »

On se demande souvent, depuis le début de l’ère Trump, quand ses électeurs « verront la lumière » — ce qu’il faudra pour qu’ils cessent d’accepter les mensonges du chef de leur parti, pour qu’ils atteignent leur limite après les innombrables controverses et scandales.

À l’approche de 2024, c’est une question pratico-pratique qui pourrait se poser pour eux : sommes-nous suffisamment tannés de perdre ?