L’autre anniversaire du 11 Septembre

La doctrine qui a justifié l’implication des États-Unis dans la chute du gouvernement Allende au Chili il y a 50 ans cette semaine a eu, et a toujours, des adeptes bien encombrants.

Des Chiliens regardent une image de l'ancien président Salvador Allende et de son épouse Hortensia Bussi projetée sur le palais présidentiel de la Moneda dans le cadre des commémorations du 50e anniversaire du coup d'État mené par Augusto Pinochet, le 9 septembre 2023 à Santiago au Chili. (Photo : John Moore / Getty Images)

Depuis 21 ans, tous les 11 septembre, le président des États-Unis s’adresse à la nation — et au reste du monde — pour souligner l’anniversaire des pires attentats terroristes à avoir frappé le sol du pays, histoire de ne jamais oublier.

Cette année, le président Joe Biden a pris la peine de scinder son voyage de retour du sommet du G20, tenu en Asie, pour prononcer un discours solennel en Alaska à ce sujet. La rhétorique était de la même nature que celle employée au sommet, où il a fait la promotion de la démocratie face à l’autocratie, de la paix face à l’agression, des droits de la personne face à la terreur.

Et pourtant, le 11 septembre de cette année marque aussi un anniversaire symboliquement plus important, et dont presque personne ne parlera aux États-Unis : le 50e anniversaire du coup militaire au Chili qui a renversé le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende et porté au pouvoir le général Augusto Pinochet.

Allende s’était levé, le matin du 11 septembre 1973, en ayant bon espoir que son gouvernement allait survivre aux tensions croissantes dans le pays ; le soir venu, il s’est donné la mort alors que le palais présidentiel était bombardé. L’une des dictatures les plus brutales de l’histoire moderne de l’Amérique latine avait pris sa place.

Et le changement de régime avait un commanditaire de taille : le gouvernement des États-Unis d’Amérique.

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S’il y a ce triste 50e anniversaire, c’est qu’il y a aussi un 200e anniversaire : celui de la naissance de la doctrine à la base de la politique étrangère des États-Unis, laquelle a servi de justificatif, entre autres, à l’appui au coup d’État du 11 septembre 1973. Il s’agit de la doctrine Monroe.

En 1823, le président James Monroe a évoqué le droit inhérent des États-Unis d’empêcher toute menace perçue à leur sécurité dans l’hémisphère Ouest. Autrement dit, les pays allant du Mexique à l’Argentine constituaient la « cour arrière » des États-Unis, et ces derniers allaient se réserver le droit d’y intervenir — comme bon leur semble — pour y freiner une influence étrangère jugée problématique, particulièrement de la part d’autres grandes puissances.

Au Chili, c’était la menace perçue de l’influence soviétique au sein du gouvernement Allende qui avait été jugée inacceptable. Les États-Unis ont donc appuyé un changement de régime — comme ils l’avaient fait en Bolivie (1971) et allaient le faire plus tard en Argentine (1976). Sans compter qu’avant et après cette période, il y a eu aussi des interventions en République dominicaine, au Guatemala, au Nicaragua, au Panamá et, bien sûr, à Cuba. En remontant le temps jusqu’à l’énonciation de la doctrine Monroe, il est plus facile de faire la liste des pays de l’hémisphère Ouest dans lesquels les États-Unis ne sont pas intervenus que l’inverse.

Cette doctrine s’est naturellement mariée à une autre en vogue à l’époque : celle de la « destinée manifeste », selon laquelle les États-Unis étaient investis du devoir divin de peupler l’ensemble du territoire nord-américain.

Le territoire des États-Unis de James Monroe n’était pas, doit-on le souligner, celui d’aujourd’hui.

Carte de l’Amérique du Nord en 1800

Wikimedia Commons ; montage : L’actualité

Les États-Unis se trouvaient à cette époque encerclés par de grandes puissances : l’Espagne au sud, la France à l’ouest et, évidemment, la Grande-Bretagne au nord.

Et c’était sans compter les nombreuses nations autochtones avec lesquelles les relations n’étaient pas toujours optimales — et qui étaient largement vues par les dirigeants de la nouvelle capitale, Washington, comme des pantins des grandes puissances voisines, susceptibles d’être utilisés pour déstabiliser les États-Unis. Ce qui a donné le coup d’envoi à des décennies de conquêtes territoriales, soit par l’achat de territoires, soit par des invasions.

Si les États-Unis peuvent aujourd’hui se présenter comme les champions du respect de la démocratie, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des nations, c’est qu’ils se sont assurés, par tous les moyens dont ils disposaient au cours des deux derniers siècles, de l’élimination de toute menace, réelle ou potentielle, à leur hégémonie régionale.

Lorsque le général Andrew Jackson a pénétré en territoire floridien en 1814, il a offert le même choix aux Premières Nations qui y habitaient, entre autres les Séminoles, que celui présenté à d’innombrables autres peuples dans la grande expansion américaine : « La moindre résistance entraînera la mort immédiate des opposants. Écoutez, mes frères, mes hommes sont prêts à écraser tous les ennemis des États-Unis. […] Il est impossible que vous puissiez vous épanouir au milieu d’une communauté civilisée. Mais vous avez un remède à votre portée. Et c’est de partir. »

Une fois devenu président en 1829, Jackson décrivait ainsi, dans son discours annuel au Congrès en 1833, les peuples autochtones tantôt évacués de force de leur demeure, tantôt abattus par centaines de milliers : « Ils n’ont ni l’intelligence, ni l’assiduité, ni les habitudes morales ou le désir d’amélioration qui sont essentiels à tout changement favorable de leur condition. Établis parmi une autre race leur étant supérieure […] ils doivent nécessairement disparaître. »

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Depuis l’invasion de l’Ukraine, on a entendu à maintes reprises aux États-Unis des voix comparer Vladimir Poutine à Adolf Hitler. Ces mêmes voix omettent par contre de rappeler que le chancelier du IIIe Reich disait lui-même s’inspirer de l’histoire américaine alors qu’il envahissait la Russie en 1941.

« Ici, dans l’Est, a-t-il déclaré, un processus semblable se répétera pour la deuxième fois, comme lors de la conquête de l’Amérique. »

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Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a pour credo de dire que la Chine et la Russie se sont fixées pour objectif de détruire l’ordre mondial qui depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, est régulé par les États-Unis d’Amérique. Que par cette présence bénéfique des troupes sur tous les continents, le monde est relativement en paix ; ce qui ne peut être le cas si les Chinois et les Russes se mêlent de ce qui n’est pas de leurs affaires.

Dans cette chronique monsieur Jacob évoque la soi-disant menace soviétique qui aurait justifié le renversement du président Allende (un parangon d’humanisme pourtant) par le général Pinochet. En pratique, ce sont le plus souvent des intérêts économiques et géopolitiques qui justifient l’intervention des Américains. Dans les années 70, diverses compagnies minières étaient bien implantées au Chili, les États-Unis craignaient que ces entités soient nationalisées, occasionnant ainsi une perte potentielle d’approvisionnement.

Dans cette même optique tout récemment encore, les États-Unis soutenaient Juan Guaidó, le président de l’Assemblée nationale vénézuélienne comme président du pays, espérant que ce coup d’état allait marcher contre Maduro. Les Américains ont d’ailleurs envoyé des troupes pour soutenir Guaidó. Ici bien sûr, c’est le contrôle des immenses ressources pétrolières qui était en jeu.

La même mécanique est de mise en Syrie notamment où les États-Unis contrôlent toujours les réserves pétrolières et gazières du pays sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Il pourrait être aussi fait mention de la supposée révolution ukrainienne de 2014 qui avec l’aide logistique et financière américaine, est parvenue de façon sanglante, à chasser le président Viktor Ianoukovytch du pouvoir, sous le vilain prétexte qu’il avait effectué de dangereux rapprochements avec Vladimir Poutine ; cependant on oublie de dire que c’est aussi le président qui a le mieux œuvré pour l’adhésion de son pays à l’Union-Européenne.

Est-ce que la paix, la prospérité du monde et la démocratie passent obligatoirement par le bouclier militaro-industriel des États-Unis ou par un monde multipolaire qui repose sur la coopération et l’équilibre de nations à nations, concept auquel adhèrent les pays membres des BRICS et ceux qui en nombre croissant leurs sont affiliés ?

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