L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
«Ils écrivent encore des livres sur le premier George W. », se plaisait à dire George W. Bush au sujet du premier président américain, George Washington. Dans ce contexte, « le 43e n’a pas besoin de s’inquiéter du jugement de l’histoire », fallait-il valoir quand il logeait à la Maison-Blanche.
Il le devrait. En observant l’état des relations internationales des États-Unis aujourd’hui, l’histoire est peut-être déjà en train de le juger sévèrement. Avec le recul d’un peu plus d’une décennie depuis la fin de sa présidence, le constat semble clair : Bush et son vice-président Dick Cheney auront causé à leur pays des dommages hors du commun, dont les effets se font encore sentir fortement et persisteront pendant des années.
Parmi les conséquences du désastre Bush-Cheney, il y a la menace à la paix en Europe, la plus importante depuis la guerre froide, que constitue la crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine.
Ça a commencé avec l’Irak
Après les attentats du 11 septembre 2001, le président Bush, qui avait initialement fait campagne en 2000 sur la promesse de mener une politique étrangère « humble », est devenu porteur d’une vision quasi messianique du rôle des États-Unis, soit celui de « libérer » les peuples aux prises avec des régimes autocratiques.
Il y a d’abord eu l’invasion de l’Afghanistan — qui a abouti à une guerre de 20 ans qui s’est soldée par une catastrophe monumentale, avec bien peu de gains durables.
Et on se rappelle, bien sûr, celle de l’Irak. La décision la plus marquante et la plus controversée de la Maison-Blanche Bush-Cheney — qui a conduit à un autre bourbier, duquel a fini par jaillir non pas « l’ordre libéral »… mais l’État islamique. Le motif — éliminer la menace terroriste que représentait le régime de Saddam Hussein — était faux.
Ce dont on se souvient un peu moins, c’est que l’Afghanistan et l’Irak n’étaient que les deux premiers morceaux d’un plan plus vaste. Alors que les États-Unis s’enlisaient en Irak après la chute de Saddam Hussein, la Maison-Blanche planchait aussi sur une invasion de l’Iran.
Une fois cette idée écartée en raison des déboires évidents dans les deux autres théâtres des opérations, Bush a tourné son attention vers le nord… et la Russie.
Les conséquences de cette approche hantent le monde aujourd’hui.
Après avoir complètement fait fi des objections clairement énoncées par la Russie quant à une invasion de l’Irak (Vladimir Poutine avait offert sa collaboration à Bush après le 11 Septembre), les États-Unis ont appuyé activement l’expansion de l’OTAN, ainsi que la « révolution orange » en Ukraine au milieu des années 2000. Le Kremlin a été convaincu de la volonté américaine de soutenir des « révolutions de couleur » jusqu’à Moscou. La situation était si menaçante pour la sécurité du régime russe qu’un conseiller de Poutine en parlait comme de « [leur] propre 11 Septembre ».
Puis, en avril 2008, à sa dernière année à la Maison-Blanche, Bush a utilisé le sommet de l’OTAN tenu à Bucarest pour pousser l’alliance militaire à accueillir la Géorgie… et l’Ukraine, malgré l’avis défavorable des services de renseignements américains. Ces deux anciens territoires soviétiques étaient chers à Moscou… et de surcroît partageaient leur frontière avec la Russie. Et l’OTAN, doit-on le rappeler, est la plus importante coalition internationale formée avec une vocation fondamentale : l’opposition à l’Union soviétique (donc aujourd’hui la Russie).
Quatre mois plus tard, en août 2008, la Russie a envahi la Géorgie. Il s’agissait de la première guerre du XXIe siècle en Europe. Le risque d’une seconde apparaît maintenant, au sujet de l’admission au sein de l’OTAN… de l’Ukraine.
Pendant ce temps, en Extrême-Orient
Ces aventures militaires au Moyen-Orient ont tôt fait de dilapider les importants surplus budgétaires accumulés sous Bill Clinton, puis d’entraîner le pays dans une spirale de surendettement public sans précédent dans l’histoire américaine, dont les répercussions constituent une des sources importantes des problèmes d’inflation d’aujourd’hui.
Et en parallèle, l’administration Bush ouvrait les portes de l’économie des États-Unis… à la Chine, persuadée qu’en permettant à l’empire du Milieu de participer à l’économie mondiale, il adopterait les mœurs et les valeurs démocratiques occidentales. Le tout basé sur le principe que les démocraties qui font des affaires les unes avec les autres ne s’attaquent pas entre elles, ce qui allait renforcer du coup la sécurité de l’Amérique.
Dès sa première année en fonction, Bush a appuyé l’admission de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la « régularisation » des échanges avec les États-Unis. Par le fait même, les Américains subventionnaient alors, directement ou non, consciemment ou non, la construction de la plus importante menace à leur sécurité — et à l’ordre démocratique libéral occidental — depuis la chute de l’Union soviétique.
Et à force d’écarter la Russie, la présidence de Bush fils a poussé la Russie dans les bras de cette menace.
Dans les mois suivant le départ de Bush, Donald Trump, alors simple citoyen songeant à lancer sa propre campagne présidentielle, a déclaré que les Chinois « croient qu’on est les enfants de chienne les plus stupides » au monde. C’est un thème qu’il n’allait pas lâcher.
Cela ne sonne pas tout à fait comme les paroles distinguées d’un grand historien… mais il s’agit quand même d’un constat qu’on ne devrait pas prendre deux siècles à reconnaître.
Tellement éclairant votre article. Le lien est fait entre des gestes politiques qui me semblaient assez isolés les uns des autres, mais plus maintenant. Primordial de voir venir le nouvel ordre mondial grandement inquiétant. J’apprécie toutes vos interventions écrites ou télévisuelles. Grand merci à vous.
Je rejoins l’exposé de Rafael Jacob. George W. Bush, son vice-président et les Donald Rumsfeld de ce monde s’inscrivent dans ce groupe d’idéologues qui s’étaient donnés pour mission de reconfigurer l’ensemble du Moyen-Orient, on parle ici d’un remodelage.
Lors de la Première guerre du Golfe (1990-91), suite à l’invasion du Koweït par l’Irak, plusieurs hauts gradés estimaient qu’on aurait dû mener les forces engagées jusqu’à Bagdad, déposer Saddam Hussein, prendre le contrôle de leur pétrole et forcer les pays voisins à adopter les pratiques de l’Occident.
À l’époque l’Irak était le pays le plus développé de cette région. Trente ans plus tard, tous les acquis sont perdus, y compris les acquis économiques. Les attentats du 9/11 ont été « l’occasion » de reprendre le travail là où on l’avait laissé avec les résultats désastreux qui nous connaissons.
Quant au « vaste plan » auquel Rafael Jacob fait allusion, il aura bien servi à déstabiliser tout le Moyen-Orient.
Les choix économiques de George W. Bush sont parfaitement discutables. Ce n’est pas un hasard si ses deux mandats s’achèvent avec la crise financière de 2008. Comme le démontre Rafael Jacob le support économique à la Chine, comme la dépendance aux produits chinois, tout cela n’a pas eu les effets positifs escomptés.
Dans le même temps, plusieurs économistes dont Paul Krugman connu entre autre pour sa Nouvelle théorie des échanges commerciaux, démontrait que les gains de productivité apportaient un avantage comparatif important en matière de commerce.
Il estimait avec raison que la productivité américaine était inférieure à ce qu’elle devrait, que la production du pays était très en deçà de sa capacité réelle de production, il considérait que la qualité des produits américains était supérieure aux produits chinois, qu’un accroissement de la production compensée par un baisse des marges bénéficiaires, que cela aurait entrainé une plus forte demande sur les produits américains.
Ce qui dans le cadre de l’Alena aurait apporté des retombées positives pour le Canada.
À la place de cela George W. Bush a laissé l’ingénierie financière concocter toujours plus de produits dérivés. Donnant à Wall-Street et aux banques d’affaires plein pouvoir pour rendre justifiable l’impression de toujours plus de dollars américains. Contribuant par le fait même à former une économie mondiale dopée qui telle un « junky » préfère la recherche constante de nouveaux expédients en lieu et place de favoriser les intrants productifs, les bienfaits de l’investissement dans les ressources humaines et toutes entités susceptibles d’accroitre la qualité de la production.
Votre article commence justement avec les attaques du 11 septembre 2001 et, donc, l’éléphant dans cette histoire c’est Osama ben Laden et Al-Qaïda. Ce sont ces derniers qui ont provoqué le géant aux pieds d’argile que sont les ÉU et qui ont gagné leur pari, de déstabiliser l’Empire et la discréditer dans le monde.
Non seulement la réaction américaine aux attaques de septembre 2001 fut un échec retentissant, tuant des dizaines de milliers de civils, mais ils ont donné une chance aux islamistes de prendre encore plus de pouvoir, avec la naissance de daech et la résurgence des talibans et aux dictateurs comme Bashar al Assad de s’accrocher et de livrer le pays à la Russie qui l’a appuyé. Cette dernière s’est engouffré dans cette porte ouverte au Moyen-Orient et cela a pu lui donner l’envergure nécessaire pour oser s’emparer de la Crimée en 2014 suite à un référendum bidon aux résultats très «soviétiques»…
Vingt ans après les attaques du 11 septembre 2001 force est de constater que ben Laden a gagné son pari malgré qu’il y ait laissé sa vie.