L’auteur est chercheur postdoctoral à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Depuis l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, le 7 juillet dernier, il n’existe pas de consensus quant au rôle que pourraient — ou devraient — jouer les États-Unis pour restaurer l’ordre dans le pays. S’il est vrai que le gouvernement haïtien a demandé une intervention de la part de la communauté internationale, toute forme d’aide américaine le moindrement musclée à la perle des Antilles risque de se heurter à un lourd bagage historique largement méconnu du public américain.
La « refonte » américaine
Au début du XXe siècle, alors que les États-Unis émergent comme une véritable puissance mondiale, Haïti est secouée par une grave instabilité : de 1911 à 1915, pas moins de sept de ses présidents sont assassinés. Se donnant le rôle de sauveur en voulant mettre fin à ce chaos, les États-Unis, sous le commandement du président Woodrow Wilson, interviennent en envoyant des centaines de marines en 1915. L’opération se transforme rapidement en occupation, et l’occupation, en tentative de quasi-colonisation.
À la suite de l’adoption du traité du 16 septembre 1915, les finances haïtiennes sont de facto placées sous le contrôle du gouvernement américain, tout comme l’est la nouvelle gendarmerie haïtienne, « supervisée » par des officiers américains.
Deux ans plus tard, en 1917, alors qu’il obtient une déclaration de guerre contre l’Allemagne de la part du Congrès afin d’envoyer les soldats américains en Europe, Wilson dépêche le secrétaire adjoint de la Marine à Haïti pour réécrire la Constitution du pays. Il s’agit, en quelque sorte, d’une manœuvre additionnelle contre l’Allemagne : bien que peu nombreux sur l’île d’Hispaniola, les Allemands dominent largement le commerce d’Haïti au début des années 1910.
Craignant l’influence allemande si près du territoire américain, et ce, bien avant le déclenchement de la Grande Guerre en 1914, les Américains voient dans cette « reconstruction » d’Haïti quelques années plus tard l’occasion rêvée d’asseoir leur pouvoir dans la région et de refouler une des plus importantes puissances de l’époque.
Une Constitution parrainée par les États-Unis est donc écrite et adoptée, contre la volonté des législateurs haïtiens. Ce texte, entre autres choses, ouvre explicitement la porte à l’achat de terres par des intérêts américains, transaction jusque-là vivement prohibée, et instaure un système d’exploitation du labeur haïtien par des entreprises américaines. En guise de représailles contre les députés qui se sont dressés contre cette Constitution, le nouveau président haïtien, mis en place par Washington, dissout l’assemblée législative du pays… qui demeurera ainsi pendant plus de 10 ans.
À son retour d’Haïti, le secrétaire adjoint de la Marine est sélectionné comme candidat vice-présidentiel du Parti démocrate en vue des élections de 1920. Pendant la campagne, il se vante activement et à répétition d’avoir personnellement écrit la Constitution d’un pays étranger. « Et, si je puis dire, c’est une assez bonne Constitution », se félicite-t-il dans ses discours.
Bien que mordant la poussière dans sa tentative d’accéder à la vice-présidence en 1920, il fait flèche de tout bois lorsqu’il lance sa campagne présidentielle, une décennie plus tard. En 1932, il est élu président des États-Unis dans un raz-de-marée électoral, et devient l’un des plus importants dirigeants politiques du XXe siècle sur la planète. Il s’appelle Franklin Delano Roosevelt.
Et lorsqu’il est assermenté, en mars 1933, les Marines américains occupent toujours Haïti.
L’aide contemporaine
L’occupation américaine aura duré 17 ans, de 1917 à 1934. Bien qu’il ait pris fin il y a plus de trois quarts de siècle, ce contrôle a laissé des traces dans l’imaginaire haïtien, à telle enseigne que toutes les administrations qui se sont succédé à la Maison-Blanche depuis s’en sont surtout tenues à de l’aide financière pour le pays. Les États-Unis ont sans doute donné davantage à Haïti, en aide directe et indirecte, que tout autre État du monde.
Lorsque le terrible séisme a dévasté le pays, en 2010, le président Barack Obama a demandé à ses deux prédécesseurs immédiats, Bill Clinton et George W. Bush, de mener un vaste effort de sensibilisation et de collecte de fonds (Clinton et Bush ont amassé plus de 50 millions de dollars américains). Et dans les années qui ont suivi, ce sont des centaines de millions de dollars qui ont été investis annuellement par le Trésor américain en aide à Haïti.
C’est pour cette raison que, le 15 juillet, le président Biden a formellement refusé d’y envoyer des soldats américains : ce ne sont pas tous les Haïtiens qui les accueilleraient à bras ouverts, et l’issue d’une telle mission serait de toute façon incertaine.
Et l’histoire n’est pas dépourvue d’un sens de l’ironie. Au moment de faire son annonce, le président américain était flanqué, dans un point de presse commun… de la chancelière allemande.
Y a-t-il un endroit dans le monde oû les USA n’ont pas de passé trouble? Le $ Us domine sur toutes les relations possibles. Et les gens ne vivent pas seulement de pains…
Encore de l’anti-américanisme … Les EU ne sont pas nécessairement des anges … par contre … leur passage au Japon et en Corée du Sud a été plutôt bénéfique. Pourquoi la différence? Est-ce parce que ces deux pays avaient déjà une certaine cohésion sociale avant l’arrivée des Américains? Est-ce parce que ces deux pays ont assumé la responsabilité de leur propre développement?
L’auteur de l’article ne fait qu’adopter la pratique d’excuser l’incompétence du gouvernement en place en jetant tout le blâme sur la présence antérieure des EUs. C’est aux habitants du pays à prendre en main leur destinée … les occupants ne seront jamais autres que des exploiteurs, au pire, ou, au mieux, des incompétents eux-mêmes, n’ayant pas ce qu’il faut pour bien se débrouiller dans leur propre pays.
Le Japon et la Corée du Sud étaient et sont toujours des pays fortement industrialisés qui sont retombés sur leurs pieds après une guerre dévastatrice. Ces deux pays n’ont pas connu le type de colonialisme qu’Haïti a connu et sont relativement loin des ÉU. Haïti est nettement dans la zone proche des ÉU qui voient ces pays comme faisant partie de son empire. La paranoïa américaine est montée au sommet avec la révolution cubaine et s’il y a un peuple qui leur a tenu tête ce sont les Cubains qui sont bien moins mal en point que les Haïtiens (j’ai été dans les 2 pays et la différence est notable). Donc, le but des ÉU c’est d’empêcher un autre Cuba dans l’hémisphère, pas d’aider.
Depuis l’invasion d’Haïti en 1917 les ÉU n’ont eu de cesse de contrôler le pays avec les résultats que l’on connaît. Ils appuient les oligarques et ne veillent en réalité qu’à leurs propres intérêts. Prenez par exemple l’aide suite au séisme de 2010: les ÉU on inondé le pays de riz gratuit qu’ils ont acheté des producteurs américains qui ont été grassement payés; pendant ce temps, ce riz gratuit qui servait à diminuer la famine dans le pays a aussi mis en faillite les producteurs haïtiens qui se sont retrouvés sans marché et dans la dèche. Les ONG ont injecté beaucoup d’argent dans l’aide à HaÏti en payant surtout des «volontaires» étrangers qui avaient des solutions à tout (trop souvent inadaptées aux conditions haïtiennes) mais peu de cet argent s’est retrouvé dans les poches des gens du peuple qui vivent toujours dans une pauvreté extrême. On a enrichi les oligarques et les politiciens mais pas le peuple. C’est le genre d’aide américaine qui fait qu’un pays devient un vassal d’un autre, faute de pouvoir se sortir lui-même de cette ornière d’aide à sens unique.
Quel beau punch à la fin de votre article, monsieur Jacob ! Cet arrogant Américain qui se vantait d’avoir écrit la constitution d’un autre pays, c’était le grand FDR lui-même !
On sait que Franklin Roosevelt n’aimait pas le général De Gaulle, avec qui il s’est entretenu avec réticence pendant la seconde guerre mondiale. Roosevelt craignait que De Gaulle profite du premier entretien qu’il lui a accordé pour l’assassiner, aussi avait-il posté derrière De Gaulle un tireur d’élite qui le visait pendant toute l’entrevue, prêt à l’abattre s’il faisait mine de s’en prendre au Président.
«Dans l’oeil de l’aigle», un essai de Jean-François LIsée, nous apprend aussi que Roosevelt avait écrit une lettre à Mackenzie King pour suggérer à ce dernier d’encourager fortement les francophones du Québec à migrer vers l’Ouest canadien, pour favoriser leur assimilation et faire du Canada un pays entièrement anglophone, comme l’étaient les États-Unis. Mackenzie King n’a pas répondu : peut-être conversait-il avec les esprits des morts, mais il savait qu’un tel projet était irréalisable.
Les Américains sont extrêmement critiquables pour leur façon de s’ingérer dans les affaires des autres bien qu’hélas à mon avis, les Russes et, dorénavant, les Chinois soient encore pires qu’eux.
Je ne partage évidemment pas l’admiration de monsieur Brideau, qui a commenté l’article avant moi, pour les Américains, mais je lui concède que l’incapacité d’Haïti à sortir de son état de misère et d’anarchie est avant tout de sa propre faute. Même le tremblement de terre de 2010, une catastrophe naturelle, aurait eu bien moins de conséquences dans un pays qui aurait construit ses édifices en tenant compte des facteurs sismiques, comme le fait le Japon.
Ben ouais! Et c’était exactement la même chose avec Staline, Churchill, et autres politiciens qui étaient rencontrés à ces époques là. Le Grand Charles de Gaule comme les autres. Aujourd’hui cette pratique est encore en vigueur… Si vous croyez qu’un petit « politicien » d’un autre pays peu rencontrer le Président sans être super-surveillé avec ordre de l’abattre s’il esquive un moindre geste suspect… Hé bien… vous êtes dans un monde bucolique M. Sauvé…
Les autres politiciens, eux-aussi et pour la majorité de ceux-ci. ont des agents qui sont prêt intervenir… Et possiblement de tirer « dret là » sur la « cible » qui cause un danger potentiel…
M. Jacob, j’ai un peu de misère lorsque vous jetez une portion du blâme sur les Américains, pour la situation chaotique d’Haiti.
On parle d’interventions américaines de plus de 75 à 100 ans dans ce pays et depuis ce temps, les USA y ont consacrés énormément d’aide de toutes sortes (y incluant le Canada d’ailleurs!) sans que rien ne change vraiment dans ce pays
Dans le contexte actuel du 21ième siècle, on doit absolument trouver un coupable qui ne soit pas notre pour les situations difficiles que l’on vit. On n’est plus capable d’assumer nos responsabilités et faire un effort pour se prendre en main et améliorer notre situation. On blâme alors ceux qui ont réussi, blancs de préférence, tout en jouant à la victimite de façon exponentielle..
Voilà ma compréhension de la situation en Haïti et j’aurais envie de dire: Maususse, qu’est que vous attendez pour vous prendre en mains ?
Excellente chronique de Rafael Jacob, bien présentée, qui illustre très bien toute la délicatesse du sujet.