Lorsqu’il a appris qu’il était sur la liste des diplomates potentiels du président Joe Biden, David L. Cohen a vite mentionné que le Canada constituait son premier choix. « Je voulais servir dans un pays dont le président se soucie », lance l’ambassadeur de 68 ans.
En poste depuis décembre 2021, il veut faire oublier les relations canado-américaines houleuses sous Donald Trump, quand le président menaçait de déchirer l’ALENA, imposait des tarifs douaniers sans précédent sur l’acier et l’aluminium canadiens, et insultait Justin Trudeau sur Twitter.
David L. Cohen a un parcours hors norme. De 1992 à 1997, comme chef de cabinet du maire de Philadelphie Ed Rendell, au moment où la ville vivait une grave crise financière, il s’est forgé la réputation d’être celui qui trouvait des solutions à tout. En 2002, il s’est joint à Comcast, propriétaire de NBC, où il a grimpé jusqu’à numéro deux du géant médiatique. Parallèlement, il est devenu une star comme solliciteur de fonds chez les démocrates. Hillary Clinton et Barack Obama figurent dans son carnet d’adresses personnelles.
Même s’il est novice en diplomatie internationale, David L. Cohen joue comme un vétéran. Ses réseaux sociaux débordent de poutines et de chandails de hockey, de photos avec des politiciens canadiens et québécois (dont François Legault, Valérie Plante et Yves-François Blanchet) ainsi que d’images de sa présence aux manifestations culturelles majeures du Canada.
En septembre dernier, sa visite de la Baie-James l’a convaincu du lien stratégique que représente le Québec pour l’avenir énergétique des États-Unis. Une donnée importante pour le gouvernement Legault, puisque ce diplômé en sciences politiques, en histoire et en économie a l’oreille du président.
L’actualité l’a rencontré en février au consulat américain à Québec.
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Dès le début, vous avez émis le souhait de rebâtir la confiance entre le Canada et les États-Unis, mise à mal sous l’administration Trump. Quel est votre bilan ?
Dans ma première année, en dépit des mois de COVID, j’ai parcouru 55 000 km, visité une trentaine de villes, rencontré chaque premier ministre provincial et presque chaque ministre au fédéral. J’ai aussi visité chacun de nos consulats, rencontré des centaines de groupes. Je suis surpris d’être encore debout ! Comme ancien chef de cabinet d’un maire, j’attache énormément d’importance aux élus locaux, aux médias, aux organisations de la société civile, aux PME. J’ai discuté avec des milliers de personnes pour connaître leurs priorités, savoir ce qui les préoccupe, ce qui fonctionne, ce qui cloche. La réponse la plus fréquente : « Qu’est-il arrivé de notre relation ? Nous faisions confiance aux États-Unis, nous étions proches, et cette relation s’est érodée. » Le Canada, à l’instar d’autres pays, a eu l’impression que les États-Unis n’étaient plus là pour lui.
Et comment comptez-vous réparer ce lien ?
Le président Biden prend cette relation au sérieux. La feuille de route pour un partenariat renouvelé, que nous avons dévoilée il y a un an, en est un exemple probant. Ma stratégie est calquée sur celle du président, qui a dit que les États-Unis n’ont pas de meilleur ami, allié ou partenaire que le Canada. C’est ainsi que nous voyons et que nous traitons le Canada. Comme ambassadeur, je ne peux pas passer de loi ou adopter de traité. Mais j’ai de l’influence, je peux parler fort, et souvent, du respect que nous avons pour le Canada, de son importance dans notre constellation d’alliés.
Et plusieurs indicateurs me montrent que ça fonctionne. La maison EKOS sonde les Canadiens sur leur perception des États-Unis depuis une cinquantaine d’années. Vers la fin du second mandat d’Obama, la confiance avait atteint un sommet à 62 %. À la fin du mandat de Trump, ç’avait chuté à 10 %. Lors du dernier coup de sonde, en janvier, ç’a remonté au-dessus des 50 %. C’est grâce au président Biden, bien sûr. Sauf que j’essaie de me faire l’écho le plus fort de son message.
Les États de New York et du Maine comptent sur l’énergie du Québec pour s’approvisionner dans les prochaines décennies, surtout s’ils souhaitent remplir leurs engagements envers le climat. Mais le gouvernement Legault veut désormais plutôt attirer des entreprises sur son territoire avec de l’énergie à bas prix. Comment réagissez-vous ?
Je préfère regarder ça de façon plus large que seulement une entreprise et un type d’énergie. N’oubliez pas qu’il y a d’autres capacités hydroélectriques avec l’Atlantique, Manitoba Hydro et le fleuve Columbia, en Colombie-Britannique. Ils vendent aussi de l’énergie aux États-Unis — les lignes fonctionnent dans les deux sens, donc nous pouvons également leur en vendre. De plus, il y a des projets d’énergie éolienne, solaire, et même l’hydrogène se développe. Tout ça joue dans la transition énergétique.
Vous voulez dire que d’autres options qu’Hydro-Québec sont possibles ?
Plusieurs autres options existent. Mais comme ambassadeur, ce n’est pas mon rôle de m’ingérer dans le débat entre le gouvernement et la direction d’Hydro-Québec.
Je ne crois pas qu’Hydro-Québec pourrait cesser de vendre de l’électricité aux États-Unis, parce qu’il y a beaucoup d’argent à faire. Surtout dans l’optique où de nouveaux barrages seront construits, comme l’a annoncé votre premier ministre. Il faut de l’argent pour bâtir tout ça.
Selon ce que je comprends, cet intérêt du Québec pour le développement des industries sur son territoire peut coexister avec davantage d’exportations. Je crois qu’au final, l’approche sera plus équilibrée, que le marché dictera la suite.
Il y a deux ans, l’administration Biden a abandonné le projet d’oléoduc Keystone XL, qui devait faciliter l’exportation du pétrole albertain vers les États-Unis. Or, la guerre en Ukraine a montré que l’approvisionnement mondial est fragile. Avec le recul, était-ce une erreur d’annuler Keystone ?
Non, car la transition énergétique doit se faire. En matière d’énergie, le Canada et les États-Unis constituent l’une des relations commerciales les plus importantes au monde. Le Canada, principalement l’Alberta, fournit déjà 62 % des importations de pétrole des États-Unis. Je ne crois pas que les États-Unis vont cesser l’achat d’énergies fossiles de notre vivant. Mais le Canada est en excellente position pour développer le secteur des énergies vertes.
Le Québec presse le Canada de renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis pour qu’elle s’applique en dehors des postes frontaliers, afin de colmater la brèche du chemin Roxham. C’est une priorité ?
Vous savez, l’immigration irrégulière est un problème sérieux depuis mon premier jour en poste. Tant à la Maison-Blanche qu’au Canada et en Amérique latine, c’est un sujet de préoccupation. Et bien sûr, le chemin Roxham revient constamment, parce que c’est l’endroit entre les deux pays où le plus de migrants passent de façon irrégulière. Jusqu’à 90 % des entrées dans les dernières années.
C’est tellement important qu’une déclaration commune sur l’immigration irrégulière avait été publiée au Sommet des Amériques l’an dernier, à Los Angeles. On reconnaissait le problème, sa gravité, et la nécessité de trouver des solutions.
Mais on ne peut pas empêcher l’immigration irrégulière uniquement avec des lois. C’est un problème mondial et il faut s’attaquer aux causes sous-jacentes, soit la pauvreté et l’insécurité qui règnent dans les pays d’origine. C’est pourquoi le président Biden a confié à la vice-présidente Kamala Harris le mandat de plancher sur des solutions.
Par ailleurs, il y a en ce moment même des négociations concernant l’Entente sur les tiers pays sûrs. Le Canada et les États-Unis travaillent de très près sur ce dossier, c’est une discussion qui a cours depuis longtemps.
On a récemment appris que des agents de douane américains conduisent des migrants de New York vers Roxham contre de l’argent…
J’ai lu les reportages dont vous parlez. Le département de la Sécurité intérieure est au courant et il enquête sur ces informations.
Dans son discours sur l’état de l’Union, le président Biden a promis que son plan d’infrastructure miserait sur l’approvisionnement en produits américains. Quel message envoie-t-il aux partenaires d’affaires canadiens ?
Je veux calmer un peu le jeu là-dessus. Buy American est un programme qui concerne uniquement les approvisionnements du gouvernement fédéral américain, pas les relations commerciales privées. Et il est en vigueur depuis 1933… ce n’est pas nouveau !
Dans ce discours, le président Biden parlait du bois, de l’aluminium, de l’asphalte, il évoquait les approvisionnements fédéraux dans le cadre de son plan Build Back Better. C’est moins de 1 % de nos échanges commerciaux. Sur les 25 produits les plus exportés par le Canada aux États-Unis, seulement 2 sont visés par le programme, soit le bois et l’aluminium. Et une exception est toujours possible si le coût pour acheter américain dépasse de 25 % celui de l’importation.
La peur du Buy American est exagérée. En 2021, nos échanges atteignaient 2,6 milliards de dollars américains par jour, générant des millions d’emplois de part et d’autre de la frontière. Et selon le département du Commerce, les échanges de produits ont augmenté de 19 % en 2022. Dans les faits, la relation commerciale Canada–États-Unis n’a jamais été aussi solide.
J’aimerais ajouter qu’il existe également des Buy Canadian ou Buy European. À peu près tous les pays ont des politiques qui privilégient les achats locaux dans certaines sphères, pour protéger leur industrie locale. Au début de la pandémie, le Canada a instauré une clause similaire, excluant des entreprises américaines lors de certains appels d’offres.
Ça va dans les deux sens. Ça me fâche quand les gens appellent ça du protectionnisme. On ne peut pas qualifier de protectionniste une relation où 38 États ont le Canada comme principal partenaire commercial.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2023 de L’actualité.
Il faudrait faire cet article à Pierre Poilièvre…