L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Donald Trump vient de marquer l’histoire une fois de plus ! Ce coup-ci, il est devenu le premier ex-président des États-Unis à être inculpé d’un crime. Et qui plus est, dans une cause impliquant des paiements à une actrice porno (Stormy Daniels) ainsi qu’à une playmate (Karen McDougal). Depuis mardi, les questions se bousculent. En voici cinq principales, accompagnées de quelques pistes de réponses, car, comme à l’habitude, rien n’est jamais simple avec le 45e locataire de la Maison-Blanche.
Trump sera-t-il condamné ?
Impossible de le prédire, surtout aussi tôt dans le processus. À moins que le procès ne soit déplacé dans un autre district judiciaire, Trump devrait vraisemblablement affronter un jury tiré d’un bassin de candidats lui étant probablement hostile, celui du comté de Queens (où se situe Manhattan), qui a voté à plus de 70 % pour Joe Biden en 2020.
En même temps, le procureur Alvin Bragg et ses associés sont déjà aux prises avec de réelles questions par rapport à la solidité de leur cause, allant de la crédibilité douteuse de leurs témoins clés (Stormy Daniels et l’ex-avocat de Trump Michael Cohen) au manque de précédents de condamnation d’une figure politique pour ce genre d’accusation, en passant par le fait élémentaire que cette cause, datant de 2016, aura pris plus de six ans avant de déboucher sur une inculpation. C’est donc loin d’être gagné d’avance.
Trump sera-t-il condamné… dans l’opinion publique ?
Ça ne sera pas facile pour la partie poursuivante en cour de justice, et ça ne le sera pas plus pour les adversaires de Donald Trump sur le plan politique. Comme prévu, les républicains se sont massivement ralliés à Trump, et ce, bien avant l’inculpation. Mais il n’y a pas seulement l’électorat républicain. Ce qui arrive au magna de l’immobilier laisse aussi un peu dubitatif l’ensemble de la population américaine.
Dans son plus récent sondage national, la maison YouGov a demandé aux Américains si l’inculpation de Trump était animée d’un souhait sincère des autorités judiciaires de rendre Donald Trump responsable de ses crimes, ou plutôt d’un biais politique contre lui. Seulement 42 % des personnes sondées ont répondu qu’elles croyaient à un authentique désir de faire régner la justice, contre 43 % qui estiment que les motivations sont avant tout politiques. Les indécis sont en revanche nombreux pour un sondage sur Trump, qui a plutôt l’habitude de polariser l’opinion à outrance : 15 % des répondants ne savaient quoi répondre.
Quelqu’un peut-il être à la fois condamné pour un crime et candidat pour la Maison-Blanche ?
Non seulement c’est possible, mais il y a déjà eu un cas important. En 1920, l’éternel candidat socialiste Eugene Debs — il en était à sa cinquième campagne présidentielle — a été arrêté, accusé, condamné et même incarcéré pour avoir, comme pacifiste, défié la loi signée par le président Woodrow Wilson censurant toute critique de l’effort de guerre américain pendant la Première Guerre mondiale.
Debs a été envoyé à un établissement carcéral en Virginie occidentale, puis à un autre à Atlanta, d’où il a mené sa campagne, soulignant à la blague que ses conseillers savaient désormais toujours où le trouver. Il a obtenu le plus grand nombre de votes jamais accordés à un candidat socialiste dans l’histoire américaine, terminant avec près de 4 % des suffrages.
Qu’en est-il des autres causes impliquant Trump ?
Cette inculpation est issue de l’enquête qui portait sur les allégations les moins graves pointant Donald Trump. Est-ce dire que d’autres accusations suivront ? Pas nécessairement.
Reste que la pression est appelée à s’accentuer sur la procureure du comté de Fulton, en Géorgie, assise depuis maintenant plus de deux ans sur cet appel tristement célèbre de Trump demandant à Brad Raffensperger, responsable électoral de l’État, au lendemain de l’élection présidentielle de 2020, de « trouver » quelque 11 000 voix pour lui permettre d’invalider les résultats du scrutin. Cette conversation téléphonique irait à l’encontre d’au moins quatre lois criminelles, dont certaines pourraient théoriquement le condamner à 10 ans de prison.
Bien d’autres enquêtes, notamment liées à l’insurrection du 6 janvier 2021 ou encore à l’affaire des documents ultrasecrets retrouvés à Mar-a-Lago, sont en cours. Ainsi, Trump pourrait en théorie faire l’objet de dizaines de chefs d’accusation dans de multiples causes différentes, à la fois comme candidat et comme président… même si, le cas échéant, il y a fort à parier qu’il tenterait de se gracier s’il redevenait président — là aussi, une première historique.
Un verdict final sera-t-il rendu avant l’élection de 2024 ?
À moins que l’équipe juridique de Trump parvienne à faire tomber les accusations d’ici là, la réponse est probablement non. Juste pour la prochaine comparution devant le tribunal, il faudra attendre pas moins de huit mois, soit en décembre 2023.
En considérant non seulement la durée normale d’un procès, mais aussi les nombreux points de droit qui risquent d’être soulevés et les appels dont chacun fera l’objet, puis, après un premier verdict, la certitude que cette décision sera portée en appel (et qu’elle sera suivie d’appels jusqu’à plus soif…), le scénario le plus probable demeure que le verdict final appartiendra en fin de compte aux électeurs américains.
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Une question en prime : avec toute cette attention sur Trump, de quoi a-t-on oublié de parler cette semaine ?
- Un nouveau pied de nez majeur de l’Arabie saoudite aux États-Unis, dans la plus récente manifestation de changements tectoniques sur le plan géopolitique, le royaume pétrolier ayant conclu un accord pour la reprise des relations diplomatiques avec l’Iran, sous l’égide de la Chine.
- L’accession de la Finlande à l’OTAN, parrainée par les États-Unis, après 75 ans de neutralité — et la fin officielle de la « finlandisation », ce statut de neutralité de la petite nation nordique qui lui a permis de calmer le jeu avec son puissant voisin d’abord soviétique, puis russe.
- La visite, sévèrement condamnée par la Chine, de la présidente de Taïwan à Washington pour rencontrer le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, quelques mois à peine après la visite, aussi fustigée par Pékin, de la prédécesseure de McCarthy, Nancy Pelosi, à Taipei.
- Deux victoires idéologiques majeures pour la gauche américaine. À la mairie de Chicago, le démocrate progressiste Brandon Johnson l’a emporté sur le favori Paul Vallas, un démocrate accusé par plusieurs d’être un républicain déguisé ; et à la Cour suprême du Wisconsin, l’élection pour un siège vacant a permis de donner une majorité démocrate à cette cour pour la première fois en 15 ans, ce qui aura une incidence cruciale sur le droit à l’avortement et le découpage électoral.
Avec le cirque Trump qui menace de consommer une partie considérable de la campagne de 2024, combien d’autres enjeux de la sorte seront négligés ?