Trump et une certaine justice aux apparences politiques

Les accusations criminelles contre Donald Trump sont fondées, mais la manière dont elles ont été déposées laisse libre cours aux théories de manipulation politique. Et cela aura des conséquences.

xubingruo / Getty Images ; montage : L’actualité

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Freud avait baptisé ce concept psychanalytique la « compulsion de répétition » : toujours répéter inconsciemment la même erreur en ne se souvenant pas du désastre de la première fois et des fois suivantes.

C’est un peu à cette expérience que se livre un noyau dur et bruyant de détracteurs de Donald Trump. Depuis la première campagne de Trump pour la Maison-Blanche, en 2015-2016, ces gens croient invariablement, avec leur biais antipathique au 45e président, que chaque événement auquel il est mêlé sera l’histoire suprême qui va le mener à sa perte.

Après huit ans, la liste est longue : s’être moqué du statut de héros de guerre du sénateur John McCain, de la famille d’un soldat américain tombé au combat ou d’un journaliste handicapé, alors qu’il briguait la présidence. S’être moqué de soldats américains tombés au combat, dont le fils de son propre chef de cabinet, alors qu’il occupait la présidence. Avoir ouvertement appelé la Russie à s’ingérer dans la campagne de 2016, puis avoir pris la défense de Vladimir Poutine dans ce dossier après la campagne. Les révélations au sujet de vedettes pornos ou de playmates. L’enquête Mueller. Le premier impeachment, puis le deuxième. Depuis les derniers mois, bien sûr, les inculpations ; et pour les mois à venir, les procès criminels.

Chaque fois, à leurs yeux, c’est la bonne, ce sera sa fin.

Ils sont incapables de comprendre comment les problèmes, les controverses et les scandales impliquant Donald Trump sont perçus tout à fait différemment à l’autre extrémité de l’échiquier politique, parmi les gens qui ne partagent pas leur hostilité viscérale envers le personnage.

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Je n’ai pas (ou plutôt, je n’ai plus) de prétention d’objectivité ou de neutralité face à Donald Trump : en ce qui me concerne, il représente une menace existentielle à la démocratie américaine. Reste que le travail d’un analyste politique commande une empathie stratégique : se mettre dans la peau des différents acteurs en opposition, pour mieux comprendre leurs points de vue et leurs choix.

Voici donc certains des éléments que voient bon nombre d’électeurs américains lorsqu’il est question des quatre inculpations des dernières semaines contre Trump, qui accaparent l’attention médiatique :

  • Ces enquêtes duraient respectivement depuis 2016 (Stormy Daniels), 2021 (Géorgie) et 2022 (documents à Mar-a-Lago et insurrection au Capitole, deux causes fédérales). Et subitement, les quatre débouchent sur des inculpations annoncées dans un intervalle d’à peine quatre mois — alors que la campagne présidentielle de 2024 est sur le point de prendre son envol.
  • La veille de l’annonce de l’inculpation de Trump en Géorgie, le site du comté de Fulton publie par erreur les chefs d’accusation auxquels fera face l’ex-président, avant de les effacer.
  • Lorsque la procureure Fani Willis, chargée du dossier de la Géorgie, se fait directement demander, après avoir inculpé Trump, si elle a coordonné ses efforts avec ceux de Jack Smith, le procureur spécial affecté aux deux enquêtes fédérales, elle refuse de répondre.
  • Lorsque l’on dévoile qu’un employé du bureau de Jack Smith a eu une rencontre à la Maison-Blanche avec des conseillers de Joe Biden quelques semaines avant que Smith n’inculpe Trump, le procureur se fait avare de commentaires.
  • Devant une demande du procureur fédéral Jack Smith de faire débuter le premier procès fédéral de Trump le 1er janvier 2024 et une demande de l’équipe de la défense de le faire plutôt débuter en 2026, la juge Tanya Chutkan coupe la poire en deux en ordonnant que le procès commence… le 4 mars 2024. Or, cette journée s’adonne tout bonnement à être la veille du « Super Mardi », la plus importante date de tout le calendrier des primaires républicaines de 2024, pour lesquelles Trump est actuellement favori. Et Chutkan a été nommée à son poste… par Barack Obama.

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Les juges et procureurs affectés à ces différentes causes peuvent tous être animés des intentions les plus nobles — ne serait-ce que sur le plan de la perception, il ne devrait pas être si difficile de voir comment une personne aussi versée dans l’art de la communication et de la manipulation que Donald Trump peut se présenter comme victime d’un système truqué et trouver un auditoire au moins partiellement réceptif plus large que seulement sa base militante.

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Un événement m’avait réellement semblé fatal pour Trump : la diffusion, à un mois du vote en 2016, de la vidéo Access Hollywood.

Et comment Trump s’en est-il sauvé, contre toute attente ? En se présentant, lors du débat tenu deux jours plus tard, en victime d’un système hypocrite dans lequel, d’un côté, on le condamnait pour ses propos au sujet des femmes alors que, de l’autre, des allégations avaient été faites contre Bill Clinton par plusieurs femmes, et Hillary Clinton avait pris le parti de son mari contre ces dernières.

Ajoutons à cela que Bill Clinton s’est à l’évidence parjuré. Que Hillary a contourné les lois sur l’accès à l’information, détruit des preuves, en plus de s’être elle-même possiblement parjurée. Que Joe Biden et Mike Pence avaient tous deux illégalement en leur possession des documents gouvernementaux après avoir quitté leurs fonctions.

Et, bien sûr, les allégations qui se multiplient au sujet de Hunter Biden ne touchent pas seulement ses problèmes documentés de consommation ou même son trafic d’influence à l’étranger, mais la collaboration à tout le moins indirecte de son père dans ce trafic d’influence, qu’il a pourtant catégoriquement niée.

« Fausses équivalences ! Trump a fait pire ! » criera-t-on. Vrai ! En fait, non seulement Trump a fait pire, mais il a fait le pire : tenter de faire sauter le système démocratique constitutionnel.

Là n’est pas la question. À partir du moment où la justice commence à être administrée de façon discrétionnaire, cela prête flanc à la critique et ouvre la porte aux accusations de biais et d’hypocrisie.

Et Donald Trump est outillé pour ouvrir cette porte toute grande. 

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À ce stade-ci, il ne s’agit plus de savoir si la candidature de Trump à l’investiture républicaine sera torpillée par ses démêlés avec la justice. Ceux qui comptent là-dessus rappellent un peu les soldats japonais, coincés sur les îles du Pacifique, qui croyaient que la Deuxième Guerre mondiale n’était pas encore terminée.

La question suivante est plus intéressante, et plus épineuse : à quel point les inculpations nuisent-elles réellement à Trump auprès de l’ensemble de l’électorat américain ? Elles ne l’aident assurément pas. Mais lui seront-elles fatales ?

À l’échelle nationale, Trump se trouve en moyenne à un point de pourcentage de Biden — un résultat qui, s’il devait se concrétiser le jour du vote, donnerait sans doute une victoire de Trump au collège électoral. Dans des sondages menés pendant la période de sa dernière inculpation en Géorgie, il est au coude-à-coude avec Biden au Michigan et en Pennsylvanie — des États que Trump pourrait ne même pas être obligé de remporter pour être élu.

En regardant le portrait d’ensemble, il est indéniablement en meilleure posture électorale qu’il ne l’était à ce stade de sa campagne de réélection en 2020 — il a perdu, doit-on le rappeler, par moins de 45 000 voix au total dans trois États.

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Vous écrivez ceci: en ce qui me concerne, il représente une menace existentielle à la démocratie américaine. Pourtant, vous ne parlez jamais de cela! vous préférez discourir longuement avec un beau luxe de détail sur une certaine justice … En fait, à vous lire on reÇoit l’impression que Trump c’est les états-unis! et que, nous pauvre bougre, on ne comprends pas les partisans de ce gran-ole party divin; et maintenant, ce sont les adversaires viscéraux qui ont des problèmes psychanalytiques. Tout à fait possible après tout. Pas Donald bien sûr! «grand manipulateur dites-vous? là encore, vous n’en parlez pas préférant de loin mettre en avant, tout les torts de Bydon, pas divin du tout, et Hilary Clinton. Je sais, pour ma part, que je continuerai à vous lire parce que, les afirmations que vous nous proposez sont des faits. Je trouves juste que la manière dont vous les organisés trahie le manque d’objectivité dont vous vous réclamer. Et ce, dans le sens contraire de l’afirmation que j’ai cité en ouverture de mon commentaire. Du reste, j’aurais aimé savoir comment il faudrait procéder pour que ce «manipulateur» ne mettent pas en péril la démocratie; ce n’est pourtant pas, ce qui paraît vous intéresser!

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Sigmund Freud fait référence aux actions compulsionnelles — qui aussi futiles et insignifiantes qu’elles puissent être -, reflètent les conflits de la vie. Il convient de préciser que rares sont les personnes qui n’aient aucunes compulsions que ce soit, il y a donc nécessité d’établir une distinction entre ce qui relève de la névrose ou de la psychonévrose et ce qui relève d’actions qui simplement démontrent que l’être humain est tout au cours de sa vie confronté à toutes sortes de dilemmes auxquels il n’est pas toujours facile de faire face.

Bien que cette référence faite aux théories psychanalytiques par monsieur Jacob, soit plutôt habile dans une chronique ayant pour thématique l’ex-président Trump ; puisqu’elle vise à démontrer que ses détracteurs sont conduits par des impératifs tous autres que la prévalence du droit et la pulsion vertueuse de ce qui est juste. Il n’est pas certain que la psychologie soit encore le moteur des actions menées par ses adversaires et que celles-ci relèvent d’une nature inconsciente. Qui se rattacherait plutôt au concept d’inconscient collectif tel qu’appréhendé par le psychanalyste Carl Gustav Jung.

Qui plus est, il faudrait qu’il existât en Amérique deux inconscients collectifs ; l’un d’origine « trumpienne », quant au second qui serait d’origine « bidenienne », lesquels se livrent sans le savoir, une lutte de tous les instants. Or l’inconscient collectif n’a probablement ni parti ni pays puisque selon Jung, cela s’inscrit dans la famille des archétypes.

Je pense que ce à quoi nous assistons, relève de toutes formes d’acharnement, que cela est malsain, qu’il se trouve dans ces actions un agenda plus ou moins bien dissimulé — comme en fait état cette chronique -, dont le dessein vise à conserver la Maison-Blanche pour son actuel occupant.

Malgré cela, comme on peut le lire ici, il est possible que monsieur Trump gagne son pari de prendre sa revanche et de gagner la prochaine élection. Cela est-il de bonne guerre ? C’est ce que nous verrons.

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M. Jacob, je respecte énormément vos points de vue, et je les apprécie beaucoup, à chaque fois… Au sujet de ce terrible fléau qu’est le Donald, il ne menace pas seulement la survie de la Démocratie américaine, il est un danger direct au maintien de la Paix dans le monde. Imaginons ce qui ne manquerait pas de se produire, s’il se retrouvait ( à nouveau ) face à « l’autre » fléau Vladimir Poutine, ainsi qu’à tous ces despotes chinois, coréens, etc. La seule solution, dans un cas pareil ( et les Républicains les plus fanatiques l’ont déjà démontré, avec les assassinats ciblés des Kennedy et de Luther King… tout autant que ce despote russe, avec ce « déplorable accident » d’avion — télécommandé, à coup sûr ), c’est d’éliminer le rival « qui devient trop puissant, trop gênant, face à la volonté de puissance du tyran « autoproclamé »… Mais c’est la solution des tyrannies de droite… et Trump, malgré tout, doit remercier la Société américaine, qui le tolère encore et toujours, en le maintenant en vie, malgré tout. En bien des pays, son compte aurait été réglé depuis fort longtemps. y’a du bon… et du moins bon, là dedans…

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