Trump perdu dans le désert de l’Arizona ?

Ce bastion républicain pourrait bien causer la perte de Donald Trump.

Crédit :L'actualité

Si vous fermez les yeux et que l’on vous demande les premières images qui vous traversent l’esprit en entendant le mot « Arizona », il y a fort à parier qu’il s’agira de vastes paysages désertiques. Cactus, soleil, peut-être le Grand Canyon.

Or, en 2020, il pourrait également s’agir de l’État le mieux placé pour décider l’élection présidentielle américaine.

Le scrutin de 2016 nous a rappelé de façon spectaculaire que ce sont les États, via le Collège électoral, et non le vote populaire national, qui détermine le gagnant.

Le Collège électoral, souvent vu de ce côté-ci de la frontière comme une institution plutôt complexe, est dans les faits assez simple. Chaque État, en fonction de sa population, possède un certain nombre de grands électeurs. Le candidat remportant le plus de voix dans un État remporte la totalité de ses grands électeurs. Le but ultime est d’obtenir la majorité à l’échelle nationale (270 sur 538 grands électeurs en jeu, répartis sur 50 États et le District de Columbia).

Si vous êtes démocrate, vous misez d’abord sur des États acquis comme la Californie et le Vermont ; si vous êtes républicain, vous vous tournez plutôt vers des États comme l’Oklahoma et le Wyoming. Plus on s’éloigne des châteaux forts de part et d’autre, plus on approche des États clés ou États pivots — et, ultimement, de l’État qui fournira le 270e grand électeur tant escompté.

C’est ce que Philippe J. Fournier illustrait dans un récent article :

Quel État est le plus susceptible de jouer ce rôle ? Cela dépend des années.

En 2000, c’est la Floride qui a tranché en faveur de George W. Bush face à Al Gore. Quatre ans plus tard, Bush n’aurait pas été réélu sans l’Ohio. En 2016, la Pennsylvanie et le Wisconsin donnèrent une marge de victoire identique (0,7 %) à Donald Trump et firent basculer la course en faveur de ce dernier.

En regardant la carte électorale de 2020, il y a fort à parier que ces deux mêmes États seront une fois de plus parmi les plus susceptibles d’accorder à Trump ou à son adversaire démocrate, Joe Biden, le 270e grand électeur décisif.

Cela dit, un troisième État, négligé depuis des années, a de réelles chances de leur faire concurrence à ce chapitre : l’Arizona.

Une transformation rapide signée Trump

Depuis le milieu du XXe siècle, un seul candidat présidentiel démocrate est parvenu à ravir l’Arizona : Bill Clinton, lors de sa campagne de réélection en 1996. Autrement, l’État a largement servi d’abattoir électoral pour les démocrates.

Résultats présidentiels en Arizona, 1952 à 2016 (excluant les tiers partis)

En 2012, même s’il a été réélu pour un second mandat, Barack Obama a perdu l’Arizona par un peu plus de 10 points. Dans la foulée, le républicain Jeff Flake remportait un siège au Sénat, alors que l’autre siège de l’État y était occupé depuis le milieu des années 1980 par un autre républicain, le maintenant défunt John McCain. Même alors que d’autres États voisins — le Colorado, le Nevada et le Nouveau-Mexique — passaient graduellement aux démocrates, ayant tous appuyé Obama à deux reprises après avoir également appuyé Bush deux fois, l’Arizona restait indéfectiblement dans le camp républicain.

Jusqu’à l’arrivée de Donald Trump.

Dès la campagne de 2016, les plaques tectoniques ont commencé à bouger. Sentant une possibilité de percer, Hillary Clinton a fait campagne sur le terrain à une semaine du scrutin. Dans la surprise qui a suivi sa défaite pour la Maison-Blanche, peu ont réalisé que Clinton était passée plus près de rafler l’Arizona que quiconque de son parti depuis son mari, 20 ans plus tôt. En fait, aucun candidat républicain victorieux n’avait gagné l’Arizona avec un pourcentage aussi faible que Trump depuis Calvin Coolidge en 1924.

Les électeurs de l’Arizona n’étaient pas les seuls à exprimer un certain blocage face au milliardaire de Manhattan : les deux sénateurs de l’État sont sans doute devenus dès son arrivée à Washington ses plus virulents critiques au sein du Parti républicain.

L’affrontement avec McCain, culminant dans l’attaque de Trump en 2015 suggérant que l’ancien combattant du Viêt Nam n’était pas un héros de guerre parce qu’il avait été fait prisonnier, a perduré jusqu’à la mort du sénateur en 2018. Dans ses dernières volontés, McCain avait explicitement demandé que le président n’assiste pas à son service funéraire… et Trump a continué à l’insulter à titre posthume.

Jeff Flake, quant à lui, a publié un manifeste anti-Trump et, après que le président a souhaité sa défaite lors de sa campagne de réélection en 2018, a décidé de tirer sa révérence de la vie politique. Son siège a été alors remporté par Kyrsten Sinema, la première démocrate élue dans cet État depuis 1988. 

Quand au siège de John McCain, occupé sur une base intérimaire jusqu’en novembre 2020 par la républicaine Martha McSally, il semble lui aussi sur le point de basculer dans le camp démocrate. Elle tire de l’arrière par une dizaine de points face à l’astronaute Mark Kelly, mari de l’ex-élue Gabrielle Giffords, rendue tristement célèbre en 2011 après avoir été atteinte à la tête par un tireur fou.

Trump, pour sa part, n’a pas mené dans un seul sondage face à Biden dans la course présidentielle en Arizona depuis le début de l’année.

Et si Trump devait s’incliner là-bas en novembre, il s’agirait d’un renversement spectaculaire dans la région en l’espace d’à peine 15 ans. En 2004, George W. Bush, le dernier président républicain ayant brigué un second mandat, avait en effet quasiment balayé le Sud-ouest américain, ne cédant que la Californie. Trump, lui, se verrait plutôt quasi balayé, ne gagnant vraisemblablement que l’Utah.

Le vote présidentiel dans les États du sud-ouest américain, 2004 et 2020 

Là où le bât blesse

En quoi l’ère Trump semble-t-elle rendre les choses si difficiles pour le Parti républicain en Arizona ?

Un élément de réponse fondamental réside en fait dans la topographie de l’État évoquée au tout début. Entre autres parce que sa nature et son climat sont si difficiles à dompter, l’Arizona est l’un des États américains les plus urbanisés. Environ 90 % de sa population se masse dans les zones urbaines. Le plus populeux des 15 comtés de l’État, celui de Maricopa, abrite quelque 60 % des électeurs.

Maricopa, avec sa capitale Phoenix et toutes ses grandes banlieues — Chandler, Mesa, Scottsdale, Sun City, Tempe —, constitue le cœur de l’Arizona ; il s’agit du quatrième comté le plus peuplé sur les quelque 3 000 que comptent les États-Unis, après ceux de Los Angeles en Californie, de Cook (englobant Chicago) en Illinois, et de Harris (englobant Houston) au Texas. C’est énorme.

Et, comme à peu près tous les centres urbains américains et leurs banlieues cossues, Maricopa éprouve de l’aversion pour le style populiste et pugiliste de Trump.

Les cartes électorales des deux derniers démocrates à avoir gagné une course fédérale sont particulièrement éloquentes à cet égard.

En 1996 (carte de gauche), Bill Clinton gagnait l’Arizona comme il gagnait l’ensemble du pays : grâce à une combinaison de performances solides dans les régions rurales et urbaines. Il remportait une majorité de comtés, incluant ceux moins peuplés du centre de l’État, mais perdait le comté de Maricopa, dont les banlieues continuaient à tourner le dos à son parti.

Or, dans sa course sénatoriale en 2018, Kyrsten Sinema a remporté l’Arizona pratiquement par la même marge que Clinton en 1996. Mais alors que ce dernier avait triomphé dans le tiers des comtés et dans certaines régions plus rurales (devenues de plus en plus républicaines, y compris sous Trump), Sinema est parvenue, contrairement à Clinton, à ravir le cœur de l’État : le comté de Maricopa.

Et c’est précisément la même dynamique qui semble opérer actuellement en Arizona, où les tous derniers sondages montrent que le président accuse un léger retard… en raison de difficultés qu’il éprouve dans le comté de Maricopa.

Dans ce contexte, à cinq mois du scrutin, la suggestion suivante s’impose :

Vous voulez savoir si Donald Trump remportera l’Arizona ? Surveillez Maricopa.

Vous voulez savoir si Donald Trump remportera un second mandat ? Surveillez l’Arizona.

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Si la tendance devait se maintenir — pour paraphraser Bernard Derome -, presqu’aucun État n’est actuellement sûr pour le camp Républicain, même le Texas pourrait basculer dans le camp Biden et je ne donne pas très cher de la Floride pour Trump.

Je ne sais pas si le récent passage du président des États-Unis devant le mur de fer en Arizona et son autographe sur une pancarte commémorative auront l’effet de fouetter les troupes pour novembre prochain.

J’ai idée qu’il y aura dans la balance d’autres arguments, comme le taux de chômage qui malgré la reprise en « V » prétendue, continue de grimper avec pour celles et ceux qui ont retrouvé un emploi son lot de travail à temps partiel. La lutte contre toutes formes d’épidémies. L’accès au système de santé. Des services publics universels neutres. Ce qui veut dire sans exclusions ou toutes formes de discriminations.

Les rapports tendus de l’exécutif américain avec plusieurs partenaires commerciaux, la Chine notamment. Ce ne sont pas non plus des points d’électorats favorables au président. Il est possible que beaucoup d’électrices et d’électeurs modérés se tournent vers un candidat qui leur ressemble, plutôt que vers un candidat assez polarisant qui tout compte fait n’a pas grand-chose en ce moment de bien réconfortant.