Une troisième voie est-elle possible aux États-Unis ?

L’émergence d’un nouveau parti centriste ravive le rêve de voir autre chose qu’un républicain ou un démocrate à la Maison-Blanche, à la faveur de l’impopularité record des candidatures de Trump et de Biden.

Batareykin / Getty Images / montage : L’actualité

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

Une question revient périodiquement aux États-Unis : peut-on élire autre chose qu’un président démocrate ou républicain ? Dans ce que les Américains projettent comme la plus vieille démocratie continue de la planète, ou la plus grande, la réponse est implacable : non.

Ainsi, les Américains semblent condamnés au bipartisme. Aucun parti, aucune entité ou personne quelque part ne paraît être en mesure d’offrir une solution de rechange.

Cela n’empêche pas des membres d’un groupe d’activistes politiques de revenir à la charge ces temps-ci avec la proposition d’un tiers parti en 2024, sous la bannière No Labels (pas d’étiquettes). Jouissant d’un coffre de campagne de plusieurs dizaines de millions de dollars et d’un effort musclé pour se qualifier afin d’apparaître sur les bulletins de vote à la grandeur du pays, cette formation pourrait bientôt faire office de troisième voie.

À première vue, l’idée semble se tenir. Face à deux candidats, Biden et Trump, rejetés de part et d’autre, tant ils polarisent l’opinion publique, on viendrait présenter un duo modéré composé d’un candidat présidentiel et d’un candidat vice-présidentiel de chacun des deux partis, avec un bilan de coopération bipartisane et un programme centriste.

Dans le contexte où 60 % des électeurs ne veulent pas voir à nouveau Donald Trump sur leurs bulletins de vote, et où 70 % souhaitent la retraite de Joe Biden (dont 51 % de démocrates), ce groupe présenterait la candidature de visages moins connus, moins fatigués et, surtout, moins marqués au fer par des années de campagnes acrimonieuses.

L’idée est emballante — en théorie. Or, comme c’est si souvent le cas en politique, c’est en pratique que les choses se compliquent.

Déloger un cartel

Quiconque ose proposer aux électeurs américains une troisième voie doit comprendre qu’un programme plus alléchant que ceux des démocrates et des républicains ne sera pas suffisant.

Ces partisans devront surtout vaincre ce qui est de facto un cartel des deux principaux partis, bâti sur des décennies de politique.

Démocrates et républicains ont beau être en opposition sur à peu près tout, à en rendre le système dysfonctionnel, reste que c’est un secret de Polichinelle qu’ils travaillent main dans la main avec grand succès à l’accomplissement d’une mission fondamentale : empêcher l’émergence d’un tiers parti.

Ce sont, après tout, les deux partis qui décident ensemble des règles qui déterminent quel nom peut figurer sur les bulletins de vote. Ce sont eux qui établissent les critères pour la participation aux débats présidentiels. Et ce sont eux qui, en très grande partie, délimitent les contours du débat public et médiatique pendant la campagne.

Encore là, le but premier non avoué est de mettre en place suffisamment de barrières pour que n’émerge pas un système à plus de deux partis.

L’élection de 2016 en est un cas de figure extraordinaire.

On avait alors les deux candidats, soit Hillary Clinton et Donald Trump, les plus impopulaires depuis l’avènement des sondages modernes. C’était une occasion en or pour une autre option de s’immiscer.

Cette année-là, le plus important tiers parti, le Parti libertarien, a su se doter d’un duo de candidats présidentiel et vice-présidentiel de bon calibre, formé de deux ex-gouverneurs — Gary Johnson et William Weld, du Nouveau-Mexique et du Massachusetts — qui avaient occupé leurs fonctions pendant huit ans chacun.

Johnson et Weld sont parvenus à obtenir le meilleur score au suffrage universel de l’histoire du Parti libertarien : 3,3 %.

Cette même année, le Parti vert a pour sa part connu la deuxième performance de son histoire en ce qui a trait au résultat : 1,1 % du vote.

Le seul pouvoir réaliste

Bien sûr, le lecteur averti notera que les élections présidentielles ne se gagnent pas au suffrage universel, mais bien avec le collège électoral.

Encore là, quand on analyse les résultats du candidat indépendant qui a obtenu le meilleur score au suffrage universel au cours du dernier demi-siècle, Ross Perot en 1992, ça laisse peu d’espoir : avec près de 20 % du vote contre George Bush et Bill Clinton, il n’est pas parvenu à remporter un seul grand électeur.

Il existe deux façons principales de marquer des points au collège électoral : avoir une base régionale extrêmement forte et concentrée (comme c’était le cas du ségrégationniste George Wallace, qui avait obtenu 46 grands électeurs en 1968, en raflant des États du Sud profond)… ou alors jouir d’un appui national très prononcé.

Autrement dit, les tiers partis semblent plus ou moins condamnés à espérer, au maximum, détenir le pouvoir de faire basculer l’élection en grugeant une partie suffisante des appuis à l’un ou l’autre des candidats démocrate ou républicain.

C’est ce qui pourrait se produire à l’élection générale de 2024, qui s’annonce chaudement disputée.

Et lequel des deux partis majeurs en bénéficierait ? Aujourd’hui, tous auraient le réflexe de dire que Trump serait le plus susceptible d’en profiter, son électorat lui étant particulièrement fidèle.

La réponse plus prudente : il est encore tôt pour le deviner. On ne connaît ni la portée du mouvement No Labels, ni le ou les candidats qu’il finira par mettre en avant, ni la teneur de son programme et de son positionnement. Reste qu’un tel mouvement pourrait rendre le scrutin de l’an prochain plus imprévisible.

D’ici là, une leçon demeure claire : après qu’on lui eut demandé en 2021 s’il tenterait de retourner à la Maison-Blanche en lançant un nouveau parti, Donald Trump a répondu sans hésiter qu’il possédait déjà ce véhicule pouvant le reconduire au pouvoir : l’emprise sur un des deux partis majeurs.

Sur ce point, « le Donald » avait raison.

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M. Jacob,

Je suis d’accord avec vous que l’apparition d’un troisième parti lors de la présidentielle américaine ne changerait pas grand-chose. Ce que je ne comprends pas, et j’aimerais bien avoir une chronique sur le sujet de votre part, c’est pourquoi une troisième voie n’est jamais apparu lors d’élections au Sénat ou au Congrès.

Il est assez clair qu’une telle troisième voie ne prendrait pas le contrôle ni du Sénat, ni de la Chambre des Représentant (à tout le moins pas à court terme). Mais comme les Démocrates et les Républicains se retrouvent souvent à quasi-égalité dans chacune des Chambres, un troisième parti pourrait potentiellement détenir la balance du pouvoir, et donc avoir un poids décisionnel supérieur à leur représentation. Ils bénéficieraient alors d’une plus grande tribune ou faire la promotion de leurs idées/programme. J’ai parfois l’impression que le Freedom Caucus joue un peu rôle. Mais ils sont tellement à droite de tout ce que l’ont retrouve dans la politique américaine que l’on peut difficilement les qualifier de troisième voie.

Alain Prince

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