
Zhenya Beliakova, architecte paysagiste de Moscou dans la jeune trentaine, a passé tout son temps libre, l’été dernier, à combattre des incendies forestiers avec des centaines de volontaires.
La Russie était en flammes, comme chaque été. Et comme c’est aussi de plus en plus souvent le cas ces dernières années, les pompiers professionnels ne suffisaient pas à la tâche. « C’était une vraie fournaise », dit la jeune femme, qui a surtout creusé des tranchées et arrosé le sol aux abords de villages menacés. Motivée par le désir de contribuer à sauver ce qui constitue, avec les forêts de l’Amazonie, le poumon de la planète.
« Un été cauchemardesque pour l’ensemble de la Russie », dit Zhenya Beliakova en enjambant les troncs d’arbres calcinés qui jonchent ce qui était, il y a quelques mois à peine, une forêt remplie de bouleaux et de pins. En juillet et août derniers, 52 personnes ont perdu la vie, 15 villages ont été détruits et environ 2 000 familles se sont retrouvées sans logis.
Selon les autorités, un million d’hectares, soit 10 000 km2, se sont envolés en fumée. Les données satellite recueillies par les trois principaux centres de recherche scientifique du secteur forestier montrent plutôt qu’entre quatre et cinq millions d’hectares ont été ravagés… soit une fois et demie la péninsule gaspésienne !
C’est ce qui s’envole en fumée chaque année en Russie depuis près de 10 ans, estime Johann Goldammer, directeur du Centre international de suivi des incendies (GFMC), situé à Fribourg, en Allemagne. Et c’est une catastrophe dont nombre de scientifiques et d’organisations environnementales rendent le gouvernement responsable.
« C’est de la préservation de la forêt la plus importante en superficie du monde qu’il est question », dit Alexei Yaroshenko, coordonnateur du programme forestier au bureau russe de Greenpeace. Ce militant reçoit L’actualité dans le petit local de l’organisation, à Moscou, au troisième étage d’un immeuble d’habitation de l’époque soviétique. Un vrai capharnaüm : les rapports et les études scientifiques sur les feux de cet été forment autant de piles inégales.
L’ancienne république soviétique abrite près du quart (22 %) de la surface forestière de la planète. C’est là qu’on trouve la plus importante superficie de forêts vierges au monde et 70 % des forêts boréales. « La forêt russe occupe un territoire aussi vaste que les États-Unis, plus grand que les forêts du Brésil et du Canada réunies », dit Tatiana Sofronova, géographe d’origine russe spécialisée dans les incendies de forêt et doctorante à l’Université du Michigan.

La forêt russe (en vert sur la carte) occupe un territoire aussi vaste que les États-Unis.
L’été dernier, des millions d’hectares ont été ravagés.
Illustration : Philippe Brochard
Johann Goldammer, le directeur du GFMC, dénonçait carrément cet été, dans une lettre adressée au directeur du Comité des ressources naturelles, de la nature et de l’écologie à la Douma, le laxisme des autorités en matière de gestion forestière. Il s’agit, selon lui, d’un important facteur ayant mené aux incendies des dernières années.
Tatiana Sofronova croit pour sa part que « la Sibérie est particulièrement à risque », à cause des lacunes sur le plan de la gestion et de la préservation des forêts. La Sibérie, qui compte 80 % des forêts du pays, est un des plus grands capteurs de CO2 du monde, en raison du nombre considérable de tourbières qui s’y trouvent, explique-t-elle.
Les importants incendies de forêt qui ont ravagé cette région en 2003 – environ 15 millions d’hectares, selon certaines estimations – avaient émis en un seul été autant de gaz à effet de serre que la totalité des réductions prévues pour l’ensemble de l’Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto…
La Russie doit réinvestir massivement dans le secteur forestier, soutient Johann Goldammer. Au cours des années 1990, explique le scientifique, le Kremlin a réduit considérablement les sommes allouées à la détection, à la maîtrise et à l’extinction des incendies de forêt. Depuis, le nombre de pompiers forestiers est passé de 8 000 à 2 000.
On a aussi sabré les heures de patrouilles aériennes : plus que 15 000 par année, au lieu des 100 000 d’il y a cinq ans. En comparaison, le Canada effectue annuellement 175 000 heures de patrouilles aériennes par an et les États-Unis, 350 000.
L’adoption d’un nouveau Code forestier, en 2007, n’a pas amélioré la situation, selon les deux spécialistes. Au contraire. Jusque-là, le Centre national pour la protection aérienne contre les incendies, l’Avialesookhrana, coordonnait l’ensemble des actions visant la protection des forêts et la lutte contre les incendies.
« Le système était reconnu pour son efficacité », dit Tatiana Sofronova. Il disposait des ressources humaines et matérielles nécessaires pour détecter et éteindre jusqu’à 70 % des feux dès leur phase initiale, selon le Centre international de suivi des incendies. En 2007, le gouvernement a confié la responsabilité de la gestion des forêts aux régions administratives et aux entreprises ayant des concessions forestières. Trois ans plus tard, de nombreuses régions ne peuvent soutenir financièrement le système de prévention.
Le manque de ressources humaines et matérielles engendre un effet domino. La détection tardive des incendies ne permet plus de les éteindre aussi rapidement. Du coup, le nombre d’incendies de grande ampleur a augmenté.
En août dernier, alors que les médias des quatre coins de la planète observaient la Russie, le gouvernement a promis d’agir. Dans le dernier budget, présenté en septembre, il annonçait l’injection de 43 milliards de roubles (1,4 milliard de dollars) dans la lutte contre les incendies de forêt d’ici 2015.
« Ce n’est vraiment pas assez », estime Alexei Yaroshenko, de Greenpeace. Cette somme est destinée à l’achat de matériel et non à l’embauche de ressources humaines, dit-il. Un peu moins de l’équivalent de 100 millions de dollars ira à la gestion du secteur forestier, ce qui ne représente que 7 % du total. « Cela équivaut à acheter des camions-citernes sans prévoir les pompiers qui devront faire fonctionner l’équipement. Et la prévention dans tout cela ? Et les gardes forestiers qui travaillent sur le terrain ? Malheureusement, sur ces plans, rien n’a changé. »