Ils se paient l’Afrique

Voilà que des pays comme la Chine et l’Inde achètent ou louent des terres agricoles sur le continent noir pour nourrir leur population. Les Africains y trouvent-ils leur compte ?

Culture du riz dans la Réserve d'Anja, près de Ambalavao,Madagascar - photo : Be
Culture du riz dans la Réserve d’Anja, près de Ambalavao,Madagascar – photo : Bernard Gagnon / Wikipedia

 

1- Les élevages du Congo

Des centaines d’agriculteurs d’Afrique du Sud pourraient migrer au Congo, où le climat permet deux récoltes annuelles. Leur principal syndicat, AgriSA, négocie avec les autorités congolaises afin d’exploiter, gratuitement et pendant 99 ans, des millions d’hectares de terres pour la culture et l’élevage. Ces agriculteurs bénéficieraient d’allègements fiscaux. En revanche, ils emploieraient des paysans locaux et leur enseigneraient des techniques agricoles modernes. Leur production serait en bonne partie destinée au marché local. Dévasté par les guerres civiles dans les années 1990, le Congo importe presque toute sa nourriture.

2- Le jatropha de Zambie

La Chine envisage de louer deux millions d’hectares à la Zambie afin d’y cultiver du jatropha, pour en faire
du biocarburant. La Zambie, qui vit de l’industrie du cuivre, souffre de la chute du prix des minerais sur
le marché mondial. Pour diversifier son économie, elle compte louer de plus en plus de terres à des agriculteurs commerciaux étrangers.

3- Le blé du soudan

L’Égypte, qui a été le théâtre d’émeutes de la faim en 2008, s’est entendue avec le Soudan pour y produire deux millions de tonnes de blé par année, qu’elle exportera chez elle. L’État soudanais, qui loue des terres à d’autres pays (Syrie, Jordanie, Libye, Koweït, Qatar, Arabie saoudite, Corée du Sud, Émirats arabes unis), offre des exemptions de taxes.

4- Le thé de l’Éthiopie

L’Inde, le pays le plus populeux après la Chine, a investi quatre milliards de dollars américains en Éthiopie pour y produire, entre autres, du sucre et du thé. Depuis 2004, l’État éthiopien aurait approuvé plus de 150 ententes du genre. On peut y louer des terres à bon marché : de 3 à 10 dollars américains par hectare par année, comparativement à 237 dollars américains en moyenne aux États-Unis.

5- Le potager du Kenya

Le Qatar compte louer 40 000 hectares de terres dans la région du delta de la rivière Tana, dans le nord-est du Kenya, pour y cultiver des fruits et des légumes. En échange, il offre de financer la construction d’un port en eau profonde, estimée à 2,5 millions de dollars américains. Le projet suscite la controverse, les habitants soutenant que ces terres leur appartiennent.

6- Le maïs de Madagascar

La multinationale de Corée du Sud Daewoo Logistics a signé l’an dernier un accord avec Madagascar afin d’y cultiver, gratuitement et pendant 99 ans, du maïs et des palmiers à huile sur 1,3 million d’hectares de terres agricoles. C’est la moitié des surfaces cultivables de l’île ! Lorsque le contrat a été dévoilé, il a attisé la rébellion populaire, ce qui a provoqué, en mars, la chute du président malgache. L’accord a été annulé.

Pourquoi produisent-ils des aliments à l’étranger ?

? Les pays importateurs de denrées alimentaires ont pâti, en 2008, de la flambée des prix du blé, du riz et du soya sur le marché mondial.

? La Chine peine à sustenter sa population, qui consomme de plus en plus de viande. Le bétail, qui se nourrit de grain, gruge le territoire agricole, déjà réduit par l’industrialisation et l’urbanisation.

? Le Japon et la Corée du Sud manquent de terres arables.

? Les pays du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, etc.) ont peu de terres arables et souffrent d’une pénurie d’eau.

Des terres fertiles en problèmes

? Le manque de transparence. Nombre de contrats sont signés sans que les populations aient été consultées, et les détails des accords sont souvent gardés secrets. Un terreau parfait pour la corruption.

? La propriété de la terre. Les droits de propriété sont souvent mal définis dans les pays africains. Ainsi, des États peuvent louer des terres qui, disent-ils, leur appartiennent, mais qui sont cultivées par des paysans depuis des générations.

? L’octroi des « meilleures » terres aux étrangers. C’est ce que craignent les paysans locaux et de nombreuses ONG d’aide au développement.

Les acheteurs

Nombre d’habitants qui se partagent un kilomètre carré de terre cultivée

Arabie saoudite : 759
Chine : 864
Émirats arabes unis : 1 889
Corée du Sud : 2 657
Japon : 2 703
Qatar : 3 815
Canada : 71

Le futur or noir

« Je suis convaincu que l’achat de terres agricoles sera l’un des meilleurs
investissements de notre époque. »

Jim Rogers, gourou américain des investisseurs dans les produits bruts (matières premières). L’oracle, qui se qualifie de « méchant spéculateur », n’est pas le seul à acheter des fermes et des terres agricoles à titre de valeurs refuges. Depuis la crise financière, des sociétés, dont la banque américaine Morgan Stanley, ont acquis des terres en Afrique ainsi qu’en Chine, en Ukraine, au Brésil, etc. L’entreprise albertaine AgCapita offre aux Canadiens d’investir dans un fonds agricole destiné à l’achat de terres dans l’ouest du pays. Elle fait miroiter des rendements de 12,3 % sur 10 ans !

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Sources : Agence pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ; Jean-Yves Carfantan (Choc alimentaire mondial : Ce qui nous attend demain, Albin Michel, 2009) ; Grain ; Philippe Hugon (Géopolitique de l’Afrique, Armand Colin, 2006) ; Institut international de l’environnement et du développement ; International Food Policy Research Institute ; Reuters ; The World Factbook (CIA).