Joe Biden, favori de la primaire démocrate. Vraiment?

Dans un duel hypothétique contre Donald Trump, c’est lui qui ferait meilleure figure. Pourtant, Joe Biden peine à séduire l’ensemble des électeurs démocrates et sa position de favori à l’investiture pourrait être remise en question.

Photo : La Presse canadienne

Philadelphie, 30 octobre 2007. Alors que s’achève le second mandat de George W. Bush à la Maison-Blanche, les projecteurs semblent n’avoir d’yeux que pour une personne : Hillary Clinton. La sénatrice de New York domine en effet la longue campagne pour l’investiture présidentielle démocrate, si bien que lorsque les candidats débarquent à l’Université Drexel pour débattre, elle détient alors près de 25 points d’avance sur son plus proche compétiteur – un certain Barack Obama.
Puis, en plein cœur d’un débat peu enlevant, vient l’épineuse question des permis de conduire des immigrants clandestins. Politiquement, la proposition est problématique pour Clinton car la base de gauche du Parti démocrate appuie l’idée d’octroyer des permis de conduire aux immigrants illégaux – alors que l’ensemble de l’électorat américain s’y oppose. Se positionnant déjà en vue de l’élection générale, sans vouloir pour autant s’attirer les foudres des électeurs de son propre parti, Clinton tergiverse. Elle souffle le chaud et le froid. À la fin de sa réponse difficile à suivre, l’un de ses adversaires, l’ex-sénateur John Edwards, lance : « à moins que j’aie manqué quelque chose, la sénatrice Clinton vient de dire deux choses différentes en l’espace de deux minutes ».

Tandis qu’elle était jusque-là considérée comme invincible, l’armure de la meneuse semble se fissurer. En trois semaines, son avance dans le premier État qui votera, l’Iowa, fond comme neige au soleil. Quelques semaines plus tard, elle perd les caucus de l’Iowa, terminant troisième derrière Obama et Edwards – et, même si elle s’accroche jusqu’à la fin du calendrier des primaires, elle finit par se retirer, défaite.

Douze ans plus tard, on a droit à des airs de déjà-vu. Avant même l’annonce formelle de sa candidature en vue de l’élection de 2020, un candidat démocrate domine la course de façon singulière : Joe Biden. À l’échelle nationale, l’avance de l’ex-vice-président de Barack Obama sur son plus important rival s’est maintenue entre 10 et 25 points – un fait remarquable dans un contexte où plus d’une vingtaine candidats sont actuellement en lice. Il a visiblement survécu aux allégations lancées contre lui de comportements inappropriés envers des femmes plus tôt au printemps et a, jusqu’à présent, fait preuve d’une discipline que peu lui reconnaissent d’ordinaire. Et depuis des mois, les sondages sont clairs : dans un duel hypothétique contre Donald Trump, c’est lui qui ferait meilleure figure. Ce n’est pas un mince atout dans un contexte où la première qualité recherchée par les électeurs démocrates est la capacité à battre le président républicain sortant.

En plus de son âge – il a 76 ans, et en aurait 78 au moment de son inauguration s’il devait être élu –, la principale faiblesse perçue de Biden comme candidat aux primaires démocrates est de ne plus être arrimé idéologiquement à son parti. Le déplacement du Parti démocrate vers la gauche au cours des dernières années a de quoi déstabiliser Biden qui, loin d’être un conservateur, s’est maintenu au centre politique de son parti du début à la fin de sa longue carrière au Sénat – appuyant notamment le retour à l’équilibre budgétaire et des peines de prison plus sévères pour les criminels sous la présidence Clinton, mais également la réforme majeure pro-immigration et l’interdiction des armes d’assaut sous la présidence Bush fils.

Alors qu’une douzaine de ses collègues démocrates plus conservateurs se joignaient aux Républicains pour adopter les baisses d’impôt de George W. Bush, Biden votait contre. Des huit derniers juges nommés à la Cour suprême par des présidents républicains, de Ronald Reagan à Donald Trump, Biden s’est opposé à six.

Or, le centre de gravité au sein du Parti démocrate a basculé au point tel où même un enjeu qui faisait largement l’objet de consensus par les deux partis depuis des décennies comme l’interdiction d’utiliser des fonds publics fédéraux pour financer l’avortement a été formellement rejeté lors de l’adoption du programme officiel du parti en 2016. Malaimée par la base de gauche démocrate mais toujours soutenue par près de 60% des Américains, cette politique pose problème pour un candidat voulant à la fois survivre à des primaires démocrates et à une élection générale subséquente.

Ainsi, après avoir lui-même appuyé l’interdiction tout au long de sa carrière, Biden a soudainement déclaré le mois dernier qu’il voulait désormais la lever. Sommée de s’expliquer, l’équipe de campagne de Biden a par la suite précisé que l’ex-vice-président soutenait toujours l’interdiction… avant que Biden en personne vienne à nouveau modifier sa position quelques heures plus tard en annonçant qu’il ne l’appuyait plus. Le tout – trois changements de position sur le même enjeu en l’espace de cinq semaines – a même poussé l’ex-conseiller principal de la campagne de réélection Obama-Biden en 2012, à mettre publiquement en doute la capacité pour l’ex-vice-président de se rendre au bout de la course.

Contrairement à Clinton, Biden a eu l’avantage de ne pas commettre cette bourde en plein débat national. Il continue de surcroît à être le seul candidat de premier plan à s’adresser à la tranche la plus modérée de l’électorat démocrate, lui permettant de pouvoir espérer gagner en misant sur la division du vote chez ses rivaux situés plus à gauche de l’échiquier démocrate.

Cela dit, le financement de l’avortement ne sera pas le seul enjeu sur lequel Biden sera appelé à clarifier, sinon à justifier, sa position. La campagne s’annonce longue. Et elle pourrait l’être encore plus pour le principal intéressé s’il continue à trébucher de la sorte et qu’il finit par décevoir en Iowa. Un État qui donnera le ton et où son avance, comme Hillary Clinton avant lui, paraît déjà plus précaire qu’à l’échelle nationale.

En route vers la Maison-Blanche 2020

Donald Trump remportera-t-il un second mandat? Qui devra-t-il affronter? Quels seront les enjeux et les facteurs déterminants? Dans le cadre de la campagne présidentielle américaine se dessinant à l’horizon, L’actualité publiera, sur une base bimensuelle, un regard analytique de la course.  Au cours des 18 prochains mois se suivront les débats et les primaires démocrates (de juin 2019 à juin 2020) ; les conventions nationales démocrates et républicaines (juillet et août 2020) ; les débats présidentiels (septembre et octobre 2020) ; puis, le 3 novembre 2020, l’élection présidentielle. Tout au long de ce parcours fascinant, Rafael Jacob nous offrira d’aller au-delà des manchettes, des réactions spontanées et des réflexes partisans – afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette campagne qui s’annonce déjà historique.