En ce matin frisquet de début septembre, il n’y a pas âme qui vive sur la vaste esplanade construite sur les hauteurs de Koupiansk, malgré la vue imprenable sur la plaine qui s’étale à ses pieds.
Cette plaine est coupée par une ligne de front qui s’approche dangereusement des faubourgs est de la ville, traversés par la rivière Oskil. Ligne qui s’approche aussi d’un labyrinthe de tranchées défensives occupées par des volontaires. Deux obstacles que les Russes devront franchir.
Au loin, une épaisse fumée s’élève dans le ciel encombré de nuages gris. Et le silence n’est entrecoupé que par les sons des tirs d’artillerie ou de mortiers et les détonations d’obus.
Tous les bâtiments qui bordent l’esplanade et les rues environnantes sont abandonnés, meurtris par des combats incessants, des frappes de l’aviation et des bombardements aveugles. L’édifice massif du conseil municipal, l’école aux murs vert pastel, la bibliothèque, le musée, le marché et des dizaines d’habitations et de commerces sont méconnaissables.
Même la statue en résine d’une marmotte, symbole de la ville, est criblée d’impacts. Seul son voisin, un fier cosaque en métal gris-beige, sabre en main, les épaules couvertes par un drapeau jaune et bleu, a été épargné.


« Koupiansk est une ville très ancienne, fondée au XVIIe siècle par des cosaques ukrainiens. En la détruisant, c’est notre patrimoine culturel, notre identité et l’histoire de l’Ukraine que les Russes cherchent à effacer », déplore Max, 30 ans, officier au sein du « 123e Bataillon séparé de Koupiansk ». C’est lui qui nous guide dans les rues de ce qui fut autrefois le cœur historique de la ville, avec ses édifices multicentenaires, mais aussi son centre administratif et politique.
À quelques pas de là, des employés municipaux nettoient consciencieusement la rue tandis qu’un balai mécanique longe lentement le trottoir devant un édifice ravagé. Scène irréelle, mais à haute portée symbolique, selon Max. « Il est important de maintenir notre ville propre, malgré les bombardements quotidiens, pour montrer aux Russes que la guerre ne peut pas nous briser. C’est aussi un message d’espoir pour les habitants qui sont toujours là. »

Nul ne peut dire exactement combien d’habitants sur les quelque 24 000 recensés avant la guerre ont refusé de quitter Koupiansk, qui n’est qu’à 30 km de la frontière russe, pour se réfugier en sécurité, loin des combats. Façon pour ceux qui sont restés de défier Moscou et ses 100 000 soldats, dotés de 900 chars d’assaut et de près de 500 pièces d’artillerie. Des équipements qui, selon les forces armées ukrainiennes, auraient été déployés depuis cet été sur la centaine de kilomètres du front nord-est, autour de Koupiansk et dans le secteur de Lyman. Après des assauts infructueux au cours de l’hiver, les Russes auraient aussi accru l’intensité de leurs attaques.
Serveuse dans un café minuscule qu’elle surnomme le « Front Line Cafe », Maria, 17 ans, fait partie de ces irréductibles qui ont décidé de rester malgré l’ordre d’évacuation lancé au début du mois d’août par les autorités militaires locales, valable pour Koupiansk et pour d’autres villes et villages de la région.
« C’est chez moi ici, dit-elle. Avant [l’invasion], la vie y était agréable, mais aujourd’hui, elle est grise et monotone. La moitié de la ville est détruite. Le plus long sans bombardement, c’est une journée. »
Peu après, nous croisons une sexagénaire qui marche d’un pas assuré, lourds sacs de plastique à la main, vers la petite épicerie-restaurant où elle prépare des hot-dogs à la garniture copieuse et des poulets rôtis, en particulier pour les soldats de passage. « Je reste pour eux. Le meilleur moment de mes journées, c’est lorsque ces soldats me disent merci », confie-t-elle, les yeux mouillés par des larmes. Elle ajoute, après quelques secondes de pause : « Ils combattent pour que Koupiansk ne devienne pas un autre Bakhmout. Ça n’arrivera jamais ! »

À quelques dizaines de kilomètres plus au sud, dans la région de Lyman, des soldats de la 1re Batterie de la « 21e Brigade mécanisée », jeune unité créée au début de 2023, ne ménagent justement pas leurs efforts.
Domovoï, 43 ans, le commandant du groupe, et ses hommes ont établi leurs quartiers il y a un mois et demi dans une petite maison en piteux état, qui sert aussi de refuge à une flopée de chatons.
« Défensive, défensive », répond le militaire lorsque L’actualité lui demande de résumer sa mission ces jours-ci. Il lève à peine les yeux de sa tablette en attendant un prochain ordre de tir.

Domovoï semble faire peu de cas de l’offensive russe menée sur le front jusqu’à Koupiansk. « On est en guerre depuis un an et demi, alors ce n’est pas plus difficile qu’avant, même s’ils sont plus actifs », commente cet officier plutôt taciturne.
Ses artilleurs se relaient tous les deux jours depuis le début de l’été sur des positions de tir situées dans des secteurs boisés sur des kilomètres alentour. Aussi près que trois kilomètres de la « ligne zéro » et de la première ligne russe.
Pour les rejoindre dans un vieux 4 x 4 poussiéreux recouvert d’un filet de camouflage, il faut attendre l’autorisation du commandement, qui doit d’abord s’assurer auprès des unités de renseignement que le ciel au-dessus du trajet, sur des chemins et dans les broussailles à travers champs, est « propre », c’est-à-dire sans drones russes. Des drones qui peuvent surtout découvrir la localisation de ces batteries d’artillerie, puis diriger une frappe.
Toujours par précaution, les artilleurs de la 21e Brigade changent souvent de position. Chaque fois en suivant la même routine : creuser une large fosse pour stationner leur blindé soviétique 2S1 Gvozdika des années 1970 sous des branches de feuillus. Et aussi aménager leurs abris de repos spartiates. « À la pelle », souligne Ilya, 21 ans.


Cet ancien étudiant en management charge désormais plusieurs fois par jour des obus de 122 mm (le nombre est confidentiel) dans leur blindé positionné en contrebas d’un petit sentier. Des obus qui peuvent atteindre leur objectif — en général des véhicules ou des soldats regroupés en vue d’un assaut — jusqu’à 15 km de distance. Des tirs « préventifs » ciblés, précise Ilya. « Nous n’avons pas assez de munitions pour arroser leur secteur avec une pluie d’obus comme eux le font contre nous. »
Dans ce jeu de poker qu’est la guerre, personne ne peut dire si cette poussée russe au nord a pour but principal de détourner une partie des effectifs ukrainiens de leurs deux contre-offensives, qui progressent favorablement autour de Bakhmout, à l’est, et surtout dans la région de Zaporijia, au sud.
Il semble que ce soit désormais l’occupant qui doive déplacer des troupes de l’axe Koupiansk-Lyman pour tenter de colmater en urgence la brèche créée par les forces ukrainiennes dans ses lignes de défense, à Robotyne et Verbove. Peut-être un peu de répit pour Koupiansk et pour les combattants de la 21e Brigade.
« La contre-offensive dans le sud du pays nous donne de l’espoir », dit Ilya, lui qui en attendant une victoire tant espérée rêve déjà à ses 17 prochains jours de repos. Son premier congé depuis huit mois.
Elle ne le sera pas ,Poutine ne vise que les régions riches ou Russophones , mais vous le savez !