L’arme économique de la Chine

L’empire du Milieu s’inspire de son passé afin d’étendre son influence. Une menace pour l’Occident ? Entretien avec Barthélémy Courmont, coauteur de l’essai À la croisée des nouvelles routes de la soie.

Sources : Courrier International ; Research Gate ; The World Bank ; "Sources : Courrier International ; Research Gate ; The World Bank ; montage : L’actualité

Il y a maintenant 10 ans, le président chinois, Xi Jinping, lançait un immense chantier mondial portant sur la construction d’autoroutes, de chemins de fer, de ports, d’aéroports, de barrages et d’oléoducs. Une sorte de route de la soie des temps modernes, cette route mythique qui, pendant des siècles jusqu’au XVe, a favorisé le commerce entre l’Asie et l’Europe. Aujourd’hui, ce vaste réseau terrestre et maritime est la pierre angulaire d’une grande stratégie de la Chine, qui s’est jetée dans l’acquisition d’entreprises à l’étranger pour diversifier son économie. 

Près de 150 pays ont à ce jour bénéficié de dons et de prêts pour financer leurs infrastructures par l’intermédiaire de l’initiative la Ceinture et la Route (BRI, pour Belt and Road Initiative), rebaptisée « nouvelles routes de la soie » par le gouvernement chinois. Cela soulève les craintes de gouvernements occidentaux, qui y voient les prémisses d’une domination sur le monde. 

Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris et coauteur avec Frédéric Lasserre et Éric Mottet d’À la croisée des nouvelles routes de la soie (Presses de l’Université du Québec, 2022), dresse pour L’actualité un bilan de cette initiative pharaonique.

En quoi consiste l’initiative la Ceinture et la Route ?

Elle a été officiellement lancée en 2013, mais dans les faits, les investissements de la Chine dans différentes régions du monde remontent au début des années 2000, et n’ont cessé de s’intensifier. La BRI formalise une stratégie d’investissements, dans les infrastructures surtout, qui fait de la Chine le principal bailleur de fonds dans les pays de son voisinage, mais également dans des régions en développement, comme l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Amérique latine. Le nombre de projets et le total des sommes engagées (par l’État, mais aussi par des entreprises, souvent avec des financements assurés par des banques chinoises) en font la plus importante initiative d’investissements à l’international jamais mise en place.

Il s’agit surtout de prêts, mais y a-t-il aussi des dons ?

On trouve les deux. Au départ, c’étaient des dons, particulièrement à des pays d’Asie du Sud-Est proches de Pékin. Ainsi, au Cambodge, la Chine a financé la construction d’un immense palais pour le premier ministre, un homme fidèle au régime chinois. En Afrique, des stades, des hôpitaux et d’autres infrastructures ont été construits aux frais de la Chine. Rapidement, les prêts ont suivi les dons. Par exemple, la Chine construisait une centrale électrique et prêtait de l’argent pour l’édification du réseau. Les dons sont souvent associés aux prêts. On calcule que l’initiative a déjà englouti de 1 000 à 2 000 milliards de dollars en 10 ans.

Quelles raisons poussent la Chine à s’investir auprès d’un pays en particulier ?

La Chine cherche à se désenclaver vers le sud et l’ouest tout en diversifiant son commerce. Elle a tracé des corridors : à l’ouest vers les pays d’Asie centrale, dont le Kazakhstan, vers le golfe Persique en passant par le Pakistan, et vers le sud à travers le Laos et plus tard la Thaïlande. Ainsi, elle évite d’être prisonnière de son débouché maritime de la mer de Chine. C’est aussi une façon de diminuer sa dépendance commerciale envers les États-Unis. Pour son développement économique, la Chine a besoin de matières premières qu’elle va chercher sur tous les continents. Elle vise donc certains pays en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine qui sont producteurs de ces matières.

Le Pakistan est un pivot spécialement important. Qu’est-ce qui explique cela ?

Sa situation géographique. La Chine est trop dépendante du détroit de Malacca [NDLR : entre la Malaisie et l’île indonésienne de Sumatra] pour ses approvisionnements en gaz et en pétrole en provenance des pays du golfe Persique. C’est pourquoi, depuis des années, les Chinois investissent des milliards dans le port de Gwadar, au Pakistan. Ils ont construit des chemins de fer, des oléoducs, des routes pour le relier à la province du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. L’initiative va donc permettre à la Chine de contourner le détroit de Malacca tout en assurant le développement de ses provinces de l’Ouest. C’est un chantier titanesque, qui se heurte à des obstacles tels que la corruption du régime pakistanais, l’insécurité dans ce pays.

La BRI profite-t-elle aux partenaires de la Chine ou à celle-ci ?

Les autorités chinoises présentent la BRI comme un système gagnant-gagnant. C’est en partie vrai, car les pays récipiendaires éprouvent souvent de grandes difficultés à obtenir des prêts du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale. L’offre chinoise leur permet de s’arrimer à l’économie mondiale avec une croissance à la clé. Mais ce système sert plutôt les intérêts de la Chine, qui s’impose comme le principal artisan de la mondialisation et le porteur de la croissance mondiale, en plus de développer de nouveaux marchés pour exporter ses productions. Pékin souhaite s’affirmer en tant que première puissance économique mondiale, et la BRI est un outil de puissance redoutable en ce qu’elle extériorise la force de frappe financière chinoise.

L’initiative se concentre surtout dans l’Indo-Pacifique. A-t-elle pour objectif d’assurer la domination de la Chine dans cette région ?

La BRI a, en toute logique, d’abord été exportée dans le voisinage de la Chine, afin de répondre à la volonté de désenclaver les provinces de l’ouest du pays et de stimuler la croissance économique chinoise en ouvrant de nouveaux marchés à l’export. L’Asie du Sud-Est et l’Asie centrale sont ainsi les laboratoires de cette stratégie expansionniste. C’est aussi dans ces régions que l’on constate, de la part de la population et de certaines élites, de vives résistances aux projets chinois, qui sont associées au piège de la dette et à la crainte d’une domination chinoise. Ces résistances forcent Pékin à adapter son offre dans ce qui devient une sorte de BRI 2.0 plus sélective, et elles minimisent dans le même temps la perception d’une Chine toute-puissante qui est en mesure d’imposer son bon vouloir à ses voisins.

Les États-Unis, l’Inde et l’Europe commencent à réagir et offrent d’autres options. Sont-elles crédibles et concurrentielles ?

Les réactions restent à ce jour mal définies et mal coordonnées. Mal définies, car la confusion entre enjeux économiques et stratégiques est omniprésente. C’est le cas dans les stratégies indo-pacifiques publiées récemment par plusieurs pays occidentaux, dont il est difficile de savoir si la finalité est de contenir la Chine en imposant une nouvelle guerre froide, ou de concurrencer les investissements chinois en proposant d’autres options. Les réactions sont par ailleurs mal coordonnées, parce que les puissances ont des stratégies qui leur sont propres, souvent non concertées et même concurrentielles. Et ensuite, parce que la coordination n’est pas structurée par une association ou une organisation crédible.

Par ses prêts, la Chine est-elle en train de créer une relation de dépendance avec les emprunteurs ?

Le piège de la dette est fréquemment mentionné pour expliquer les grandes difficultés économiques éprouvées par des pays dont Pékin est le principal bailleur de fonds. C’est le cas du Sri Lanka, dont la dette envers la Chine s’élèverait à 30 milliards de dollars. Mais les exemples de pays en situation de dépendance des puissances occidentales sont aussi nombreux, en Asie et en Afrique surtout. C’est sur le plan politique que cette dépendance doit faire l’objet d’une attention plus soutenue, car Pékin a le pouvoir de profiter de la BRI pour imposer aux pays endettés un alignement sur sa politique. On le voit notamment dans la non-reconnaissance de Taïwan par un certain nombre d’États, qui est étroitement associée à l’octroi de prêts à différents pays en grande difficulté financière.


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Bonjour

La puissance de la Chine réside dans le fait qu’elle n’a aucune obligation, le Président Xi comprend les avantages du capitalisme,
mais interdit la moindre critique, mais la race jaune n’est pas belliqueuse, contrairement aux USA, on verra si Xi est un authentique homme de paix.

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