
Au cœur de Melville, quartier bohème et branché de Johannesburg, on attend avec enthousiasme la Coupe du monde de soccer, du 11 juin au 11 juillet. Ici, Noirs, Blancs et métis de la classe moyenne se côtoient dans les boutiques et les cafés à la mode. Jean-Luc Urbani s’y est établi en janvier et y a ouvert un restaurant, espérant profiter de la manne que fera retomber le Mondial. Ce quinquagénaire, Français d’origine, s’est vite épris de l’Afrique du Sud : verre de mousseux à la main, chemise ouverte, il profite du soleil tous les jours sur la terrasse du Saint-Germain.
« J’ai vécu la Coupe en France, en 1998, raconte-t-il. Elle attire un public énorme et j’ai gagné beaucoup d’argent avec ma boîte de nuit, à Saint-Étienne. Cet été, nos profits devraient être multipliés par 10. L’Afrique du Sud est en pleine expansion et il y a tout ici ! Les vins sont exceptionnels, à la hauteur des vins français. Les femmes sont belles. Dans une dizaine d’années, ce sera saturé de visiteurs. »
Encore marqué par les cicatrices de l’apartheid, le pays espère rallier les 50 millions de Sud-Africains derrière le « beau jeu ». « La Coupe est un cadeau qui ne se représentera pas de sitôt », dit Goolam Ballim, économiste en chef de la Standard Bank, une des plus grandes banques sud-africaines, dont le siège est à Johannesburg. « C’est un peu comme la Chine, qui s’est affirmée en tant que force émergente grâce aux Jeux olympiques. » Pour la population, la Coupe suscite en effet d’immenses espoirs. « Ke Nako ! » (il est temps, en langue indigène), dit le slogan.
Dans le centre-ville, les publicités de Coca-Cola, McDonald’s, Visa, Sony et Budweiser, commanditaires de la compétition, placardent des bâtiments entiers. Dans les boutiques comme à l’aéroport, on ne compte plus les produits dérivés à l’effigie de la mascotte Zakumi, un léopard à la crinière verte : chaussures, vêtements, peluches, trompettes en plastique…
La Coupe, qui accueillera 32 équipes qui se disputeront 64 matchs dans 10 stades répartis dans 7 villes, a été l’occasion de renouveler les infrastructures et d’attirer des investisseurs étrangers. La cure de rajeunissement a coûté huit milliards de dollars américains : 6 stades tout neufs, de nouvelles routes, de nouveaux réseaux ferroviaires, des aéroports ultramodernes et 26 nouveaux hôtels pour héberger le demi-million de touristes attendus. Le pays doit voir ces dépenses comme un investissement, dit Goolam Ballim, grand homme élancé d’origine indienne. « La richesse que générera le Mondial pourrait équivaloir à trois, quatre, cinq fois les sommes déboursées », prévoit-il.
À l’instar des Jeux olympiques de Montréal, toutefois, la Coupe risque d’engendrer une dette qui persistera pendant des décennies. « Le résultat de ce genre de mégamanifestation a toujours été le même : un énorme déficit », dit Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université du Witwatersrand, à Johannesburg. Pour ce quinquagénaire d’origine camerounaise, le défi consistera à rebondir après la Coupe.
L’Afrique du Sud n’a pas été épargnée par la crise financière de 2009. Pour la première fois depuis l’élection de Mandela, il y a 17 ans, elle est entrée en récession. Elle a même perdu son titre de premier producteur d’or mondial, se rangeant derrière la Chine et les États-Unis.
Les autorités comptent donc sur le championnat pour stimuler la croissance du pays. « Des investisseurs et des entrepreneurs vont nous rendre visite pendant un mois, dit le chef des communications de l’ANC, Jackson Mthembu. Ils assisteront aux matchs, ils feront des safaris et ils chercheront aussi des secteurs où investir leur argent. »
Mais la crise n’a pas non plus épargné le Mondial. À la mi-avril, le comité organisateur n’attendait plus que 300 000 touristes étrangers, au lieu des 450 000 prévus au départ. « Il est plus difficile de justifier un congé d’un mois pour voyager à l’autre bout de la planète lorsqu’on craint de perdre son emploi », explique l’économiste Goolam Ballim. Il reproche en outre à la presse internationale d’avoir émis des doutes sur la capacité de l’Afrique du Sud d’accueillir la Coupe. « En avril, le meurtre d’Eugène Terre’Blanche, un militant pour l’apartheid, a encore donné l’impression que notre pays était dangereux. »
Le comité organisateur local de la Coupe veut justement changer le branding du pays grâce à ce grand championnat. « Nous tentons d’établir une image de marque, dit le porte-parole, Rich Mkhondo. Nous attendons 18 000 journalistes des quatre coins de la planète. Nous voulons qu’ils rafraîchissent notre réputation pour que les touristes viennent ensuite nous rendre visite. »
Le vice-président pour l’Afrique au développement des affaires de Rio Tinto Alcan, le Québécois Guy Larin, croit aussi que la Coupe est un catalyseur de l’économie sud-africaine. La multinationale négocie actuellement avec le gouvernement sud-africain pour installer une usine de production d’aluminium par électrolyse dans la région de Port Elizabeth. « Grâce au Mondial, les investisseurs étrangers se rendront compte que le climat est propice aux affaires en Afrique du Sud, dit-il. Les infrastructures sont bonnes, notamment sur les côtes. Et la population est beaucoup plus instruite qu’ailleurs en Afrique. »
La piste canadienneL’Afrique du Sud est le premier partenaire du Canada en Afrique subsaharienne. Le ministère canadien des Affaires étrangères estime que les échanges entre les deux pays se chiffrent à 1,1 milliard de dollars en 2009. Le Canada est le sixième investisseur en importance en Afrique du Sud. À l’occasion de la Coupe du monde, le Haut-Commissariat d’Afrique du Sud au Canada en profitera pour faire la promotion de produits sud-africains, comme les vins et la liqueur de fruit Amarula, des jus et des thés. |
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L’Afrique du Sud reste toutefois rongée par la criminalité : une cinquantaine de meurtres y sont commis chaque jour. « Notre société est violente, mais l’expérience touristique de la Coupe sera fantastique, dit le directeur de l’Institut sud-africain des relations raciales, Frans Cronje. Si les forces de sécurité ne sont pas très compétentes pour faire aboutir des enquêtes, elles sont efficaces lors de grandes manifestations. »
Avec ses gratte-ciels et son trafic, le centre-ville de Johannesburg ressemble à celui d’une grande métropole américaine. « Peu de gens savent que la structure économique du pays est à peu près semblable à celle des États-Unis, de la Grande-Bretagne ou du Japon », explique Goolam Ballim, dont le bureau à sécurité maximale surplombe le quartier des affaires de la métropole. « Le secteur des services équivaut à environ 60 % du PIB, alors que l’agriculture n’en représente que 5 %. »
L’Afrique du Sud est la plus importante économie du continent : son produit intérieur brut dépasse les 257 milliards de dollars américains. C’est aussi la première destination touristique subsaharienne. Seul membre africain du G20, cet État veut être reconnu comme un interlocuteur sérieux par les pays développés. Le président, Jacob Zuma, en a d’ailleurs fait la preuve à la conférence sur le climat de Copenhague. En parlant haut et fort pour son continent, il proposait de limiter les émissions de CO2 à la condition que les pays développés partagent leur savoir-faire et apportent un soutien financier et technique. Avec les dirigeants chinois, américain, indien et brésilien, Jacob Zuma a élaboré à huis clos le communiqué final de la conférence.
Le pays accueille d’ailleurs la Coupe du monde au nom de l’ensemble du continent, soutient Goolam Ballim. Selon lui, les retombées des investissements se feront sentir du détroit de Gibraltar jusqu’au cap de Bonne-Espérance. « Chaque point de pourcentage de croissance en Afrique du Sud équivaudra à une croissance d’environ un demi-point pour le reste de l’Afrique. La Coupe fera voir aux investisseurs que le continent doit être jugé différemment. Elle fournit aux Africains des raisons d’être fiers. »
Donald Lee, député et critique en matière de sport pour l’Alliance démocratique, un parti d’opposition, est persuadé que le Mondial sera l’occasion de montrer la démocratie sud-africaine à l’œuvre. « Les gens verront qu’au moins, ici, il y a la paix, la démocratie, un État de droit et une Constitution. L’Afrique n’est pas seulement peuplée de fanatiques comme le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. »
Même si l’Afrique du Sud est le moteur de l’économie continentale, la course au développement n’est pas gagnée, selon Frans Cronje. Celui-ci estime que le pays risque de se faire doubler dans cette course au cours des prochaines années. « Plusieurs pays, dont le Ghana, deviennent plus riches et plus démocratiques. Avec ses réserves en pétrole, l’Angola, par exemple, qui accueillait en janvier la Coupe d’Afrique des nations, a fait un incroyable bond en 30 ans. La concurrence pour savoir qui deviendra la locomotive de l’Afrique dans les prochaines années est forte. »
Les autres métropoles qui montentL’Afrique du Sud est la plus importante économie du continent. Mais peut-être plus pour longtemps. Voici les métropoles africaines à surveiller. Accra (Ghana) Luanda (Angola) Lagos (Nigeria) |
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