[L’entrevue] L’école après la guerre

Il y a présentement 35 millions d’enfants réfugiés ou déplacés à cause des guerres. Comment les aider à mener leurs études ? L’un des rares spécialistes de l’éducation en situation de crise, le professeur de didactique à l’UQAM Olivier Arvisais, s’attaque à ce défi.

Photo : D.R.

En quoi consiste votre travail ?

Une partie de mes activités se déroulent dans des camps de réfugiés pour observer ce qui se passe dans les classes mises sur pied par les travailleurs humanitaires. Il y a cinq ans, les Nations unies ont reconnu l’importance de créer rapidement des écoles lorsque l’aide d’urgence est mise en œuvre. Entre autres parce que l’éducation joue un rôle de protection essentiel.

De quelle façon ?

Par exemple, les jeunes réfugiés instruits sont moins susceptibles d’être recrutés par des groupes armés ou d’être exploités sexuellement. La structure et la routine imposées par l’école les aident aussi à guérir des traumatismes de la guerre. Malheureusement, beaucoup d’enfants abandonnent leurs études ou ne s’inscrivent pas aux programmes offerts. Ce n’est pas qu’ils manquent de motivation — maîtriser des connaissances de base, comme la lecture et le calcul, revêt souvent une grande importance pour eux. Mais ils se heurtent à plusieurs obstacles, que je documente dans le but de trouver des solutions.

Quelles difficultés relevez-vous ?

Certains camps ne sont pas sûrs ; les jeunes craignent d’être attaqués en se rendant à l’école. Aussi, à plusieurs endroits, les filles sont beaucoup moins présentes en classe, car les familles privilégient l’éducation des garçons, par convention culturelle. Dans des camps d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale, par exemple, celles qui fréquentent l’école reçoivent très peu de soutien. Les enseignants, presque tous des hommes, ne s’adressent pas à elles. Pas forcément par malveillance, mais parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’interagir avec elles et ne savent pas comment les intégrer.

À ce jour, vos recherches ont-elles permis des changements positifs ?

Oui ! Mes collègues et moi avions remarqué qu’au camp de Dadaab, au Kenya, des jeunes devaient s’absenter de l’école une semaine par mois pour ramener à leur famille des denrées du centre de distribution du Programme alimentaire mondial. Ils accumulaient beaucoup de retard et finissaient par abandonner leurs cours. À la suite de nos constats, un projet-pilote a été lancé pour que le ravitaillement puisse se faire en partie dans les marchés locaux, grâce à de l’argent virtuel. Pour l’instant, ça a un effet positif sur l’assiduité scolaire.

Vous analysez aussi le contenu du matériel éducatif en vigueur pendant le règne de l’État islamique, en Irak. Dans quel but ?

Aider les travailleurs humanitaires à mieux intervenir sur le terrain. Des élèves sont allés à l’école pendant trois ans sous ce programme scolaire, des enseignants ont été formés pour le transmettre, mais personne ne veut parler de ce qui s’est passé… Ça crée beaucoup de tensions et d’anxiété au sein des classes. En étudiant les manuels scolaires, on espère mieux comprendre ce qu’ils ont vécu et donner des pistes pour mieux les soutenir.