
Visage fatigué, noirci par la fumée, démarche traînante, une vingtaine d’hommes en tenue de pompier enlèvent leur attirail. Il est 1 h du matin à Adana, en Turquie. L’exercice est terminé. Plus tôt dans la journée, ils ont appris à retirer un corps des décombres et à le manipuler correctement. Une formation de pompier en accéléré pour de simples civils qui, de l’autre côté de la frontière, en Syrie, sont en première ligne après chaque bombardement.
La Défense civile syrienne est le principal groupe de volontaires à porter secours aux blessés de guerre dans les villes où ils habitent. Avec un équipement de fortune et des outils de bricolage, tandis que tout le monde fuit pour trouver un abri, ils s’engouffrent dans les débris pour chercher les rescapés et leur prodiguer les premiers soins avant de les amener au plus proche hôpital.
La Défense civile syrienne est née en 2013, à Alep. À ce moment, les services de secours — pompiers, ambulanciers, etc. — ont disparu depuis plusieurs mois déjà, supprimés par l’État. Parce qu’il y a nécessité de secourir les survivants, quelques volontaires, sans équipement ni formation, se regroupent après chaque bombardement pour déblayer les gravats. Mais la bonne volonté ne suffit pas, le manque d’outils et de connaissances médicales pose problème. Ils n’ont rien pour transporter les corps, ne connaissent pas les soins d’urgence et se blessent dans leurs efforts. « Mais personne ne se chargeait de ce travail. Au moins, ces bénévoles tentaient de faire quelque chose », dit le Britannique James Le Mesurier, 44 ans, directeur de Mayday Rescue, une des ONG qui assurent aujourd’hui leur formation.
Consciente du problème, une délégation de volontaires se rend à Istanbul pour rencontrer diverses organisations afin de trouver une solution. Akut, une ONG turque spécialisée depuis 1996 dans la recherche et le sauvetage après les séismes, et Mayday Rescue, une ONG internationale forte de son expertise dans les environnements de guerre, acceptent de les aider. Mayday prépare la formation et Akut donne les cours. « L’état d’un bâtiment après un bombardement est très proche de celui d’un immeuble après un tremblement de terre, explique James Le Mesurier. Sur la base des connaissances d’Akut et en s’adaptant au contexte syrien, on pouvait mettre au point un programme de formation sur mesure. »
Un premier stage est organisé en mars 2013, auquel participent une cinquantaine de volontaires. Le résultat dépasse toutes les espérances. « Cela marchait ! Ils sauvaient des vies et protégeaient la leur. C’est ainsi que la Défense civile syrienne est née. » La première pièce d’équipement qu’elle achète est un casque blanc de chantier, le moins cher du marché. « Lorsque nous sortions les corps des décombres, on nous appelait les anges blancs », se souvient Khaled, 19 ans, le cadet de l’organisation. Le nom est resté. Pour tous les Syriens, ils sont devenus les casques blancs, aujourd’hui au nombre de 2 500, répartis en une centaine d’équipes.
Deux ans ont passé, tous les membres de l’organisation reçoivent des formations. Pendant 10 jours, trois stages s’enchaînent : lutte contre les incendies, premiers soins, techniques de recherche et sauvetage. À la dernière session, en mars, 50 volontaires, dont cinq femmes, venus de toutes les villes de Syrie ont réussi à se rendre à Adana, à 200 km de la frontière. Ils ont dû marcher plus de 20 heures, traverser des zones contrôlées par l’État islamique, passer des marais et se cacher des gardes-frontières avant d’enfin arriver en Turquie. Une détermination qui en dit long sur leur engagement.
Aucun des volontaires n’est payé, aucun n’envisage de quitter son pays, quelles que soient ses conditions de vie. « Si nous ne prenons pas en charge ce qui se passe chez nous, qui le fera ? » demande une volontaire, Safir, 24 ans, institutrice à Hama, dans l’ouest de la Syrie. Inscrite au stage de soins d’urgence, elle a appris, le premier jour de la formation, que son jeune fils venait d’être blessé dans un bombardement. Elle a tenu à rester. « Apprendre à réduire une fracture, à faire des bandages, c’est ce que je peux faire de plus utile pour les miens », affirme-t-elle.
Le dévouement est le principal dénominateur commun des volontaires. « Les casques blancs, c’est de loin ce qui se fait de mieux en Syrie », confirme Zouhier, 29 ans. Cet ingénieur dirige l’un des trois centres de casques blancs à Hama. Lieutenant dans l’armée syrienne, il a déserté afin de se battre pour la révolution. Mais déçu par les luttes de pouvoir entre groupes, il s’est joint à la Défense civile. Sa ville, Kafr Zita, au nord de Hama, n’a jamais fait les titres des journaux. Détruite à 80 %, elle est le lieu d’intenses pilonnages. « Par mauvais temps, nous recevons deux ou trois bombes-barils par jour. Cela peut monter à 30 lorsqu’il fait beau. »

Ces bombes sont la hantise de la population syrienne : des barils, des conteneurs ou même des poubelles chargés de TNT, de morceaux de métal ou de capsules de chlore largués par hélicoptère. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, on leur devrait la majorité des 220 000 morts, civils et combattants confondus. L’an dernier, Zouhier a perdu son jeune fils dans un bombardement chimique. Sa femme projette de se joindre prochainement aux casques blancs.
Mais l’organisation ne se contente pas de sauver des vies. Parce qu’elle est indépendante de tout parti politique, parce qu’elle secourt indistinctement tous ceux qui en ont besoin, la Défense civile a gagné la confiance de la population. Les volontaires mènent maintenant des actions de sensibilisation aux gestes de protection dans les écoles, ils reconstruisent des routes, rétablissent l’électricité, apportent de l’eau. Ils interviennent même dans certaines zones contrôlées par les groupes islamistes radicaux.
Depuis 2013, les casques blancs affirment avoir sauvé plus de 15 000 vies. Ils ont aussi payé leur tribut à la guerre : 87 d’entre eux sont morts en mission.
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Pour en savoir plus :
whitehelmets.org
Très intéressant.
Merci