La guerre en Ukraine n’en finit pas de nous surprendre. Le jeudi 23 février, à l’Assemblée générale de l’ONU, le vote d’une résolution demandant le retrait de l’armée russe a passé, mais l’Ukraine n’a pas gagné de nouveaux appuis. La résolution a obtenu un large soutien parmi les 193 États membres : 141 ont voté oui, 7 non, 32 se sont abstenus et 13 n’ont pas participé au vote.
C’est un score presque identique à celui de l’an dernier, dans les heures suivant l’invasion russe, mais la résolution de 2022 était nettement plus dure que celle de 2023. Entre autres différences, cette fois-ci, les alliés de l’Ukraine avaient demandé à Kyiv de diluer ses critiques envers la Russie pour recueillir encore plus de votes. Ça a échoué.
Mais le plus intéressant, c’est la persistance de l’abstention parmi les États du Sud, même chez des pays démocratiques comme l’Afrique du Sud et l’Inde, ou des alliés des Américains comme le Pakistan. De plus, il ne faut pas oublier que seulement 33 pays, essentiellement occidentaux, ont adopté des sanctions contre la Russie.
Pourquoi ce fossé entre les pays du Nord et ceux de ce que l’on appelle maintenant le « Sud global » ? Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde est la réponse qu’apportent, sous la direction de l’ex-ambassadeur de France Michel Duclos, 22 experts internationaux de tous les horizons géographiques, culturels et politiques.
Leurs analyses et réflexions permettent d’apprécier des nuances autrement jamais présentes dans les médias occidentaux, au risque de masquer les réalités de cette guerre et son ressenti en dehors de la sphère occidentale.
Rassurez-vous, aucun des experts réunis dans cet ouvrage n’applaudit à l’invasion. Au contraire. L’agresseur et l’agressé sont bien identifiés, mais certains contributeurs se demandent si l’Occident ne porte pas une forme de responsabilité dans les hostilités actuelles.
Là n’est pourtant pas l’essentiel de ce recueil. Michel Duclos a eu le courage de rassembler des plumes dont les opinions diffèrent sur les conséquences mondiales de la guerre en Ukraine. Il s’en dégage deux tendances. Les Occidentaux s’interrogent sur la solidité de leur alliance et de leurs relations avec le reste de la planète, alors qu’une forte méfiance envers ces mêmes Occidentaux teinte les contributions non occidentales.
Ainsi, les États-Unis, écrit Mary Kissel, ancienne conseillère de Donald Trump, voient le conflit « comme un nouvel éclatement du monde en blocs : le monde libre d’un côté, contre les autocraties de l’autre ». Elle ne fait pas dans la nuance quant à savoir comment trouver une solution à cet affrontement : il faut abattre les autocraties et intimider les autres pays, comme l’Inde, pour qu’ils choisissent le bon camp. Le Bulgare Ivan Krastev relève, lui, la fracture au sein de l’Europe entre l’Ouest, représenté par le tandem franco-allemand, qui face à la Russie a fait preuve d’une certaine naïveté, et l’Est, représenté par la Pologne, qui a toujours été au premier rang pour dénoncer Moscou. Le centre de gravité européen s’est déplacé vers l’Est, car « Paris et Berlin ne savent dans quelle mesure ils doivent diriger l’Europe et quel cap lui donner », écrit-il. Enfin, pour le journaliste Philip Stevens du Financial Times, l’hégémonie de l’Occident arrive à son terme. Nous étions habitués à un monde ordonné autour de l’ordre occidental, mais aujourd’hui et demain, ce monde « se reconfigure rapidement, des montagnes se dressent et des ravins se creusent ».
Ces montagnes et ces ravins, il faut les trouver dans le « Sud global », cette vaste partie du monde où se retrouvent pêle-mêle les puissances émergentes comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, mais aussi la Turquie, l’Indonésie, l’Arabie saoudite, l’Égypte et bien d’autres, et dont la caractéristique est de ne plus suivre aveuglément l’une ou l’autre des grandes puissances.
Ce « Sud global » est dans une situation paradoxale. Il est profondément attaché à la Charte des Nations unies qui fait du respect de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale la pierre angulaire du système international né au lendemain de la guerre de 1939-1945. Logiquement, les pays du Sud devraient condamner sans hésitation l’agression russe. En même temps, ils refusent d’être entraînés dans une guerre que plusieurs estiment être une affaire européenne. Ils ont développé une lecture des rapports internationaux leur permettant de choisir leurs relations.
En fait, l’ordre mondial actuel, plus personne ne le veut, selon plusieurs des collaborateurs de l’ambassadeur de France. Nous sommes face à un processus « de désoccidentalisation du monde », écrit Michel Duclos.
Et c’est bien ce qui est en train de se produire. Pour l’Indien Ram Madhav, l’Occident « lui-même est responsable de l’échec de sa propre hégémonie », tous les idéaux propres au libéralisme ayant été battus en brèche au cours des 20 dernières années, comme le libre-échange et la promotion des droits de la personne.
Quant au Malaisien Chandran Nair, il estime que « la guerre russo-ukrainienne n’est pas le pire cataclysme géopolitique qui soit survenu depuis la Seconde Guerre mondiale ». C’est un événement comme tant d’autres, et le monde poursuit sa course, écrit-il. Si la crise concerne bien entendu l’Afrique, l’économiste béninois Gilles Yabi est d’avis que celle-ci a d’autres priorités. Les changements climatiques sont, pour lui, bien plus importants pour le continent africain que la guerre en Ukraine, d’où les abstentions africaines à l’ONU.
Si quelques contributeurs se risquent à prédire dans quel état se retrouvera le monde après ce conflit, tous s’entendent pour dire qu’une relation avec la Russie devra être reconstruite.
Michel Duclos tente un scénario aux accents wilsoniens. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le président américain Woodrow Wilson avait présenté une refonte de l’ordre mondial en 14 propositions. Duclos n’est pas aussi ambitieux, certainement plus réaliste. Le point de départ, écrit-il, « ne pourrait-il être une déclaration politique des pays soutenant l’Ukraine, formulant les buts de guerre en termes de sécurité européenne, certes, mais aussi en termes d’un vaste dessein associant le Sud et le Nord pour l’instauration d’un ordre du monde plus équitable et plus capable d’affronter les enjeux globaux » ?
Il reste maintenant à savoir qui voudra lancer ce chantier.

Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde, sous la direction de Michel Duclos, Éditions de l’Observatoire / Institut Montaigne, 2023, 332 p.
Bonjour: Je me suis demandé, en lisant ce compte-rendu de livre plutôt intéressant, ce que valent vraiment les catégories, «sud global» «pays émerveant» et surt, « occident». la Chine, pays émergeant? bin voyons donc, et qu’aurait en commun parmi les pays du sud grobal, l’inde et l’afrique du sud, à part la colonisation anglaise? et puis, la culture russe me paraît souvent comme étant très occidentale! Bref, toutes ces catégories, ces étiquettes qu’on manipules pour le besoin de nos démonstration m’apparaissent comme plus confondante qu’éclairante pour décrypté la géopolitique. L’inde s’abstient de voter contre la russie car elle est devenu de plus en plus dépendante de son pétrole, un peu normal mais rien à voir avec la catérorie sud global. Enfin, le tout à l’économie de marché, es-ce vraiment un phénomène occidental? j’en doute énormément.